Après un top albums que le monde entier nous envie, l’heure est venue d’inaugurer un nouveau bilan avec le top des meilleures BD de l’année. Alors oui, c’est subjectif. Oui, il a fallu faire du tri mais ce top brasse large dans les registres. Pour coller au mieux à l’actualité BD de l’année, seules les éditions originales sorties en 2025 en France ont été retenues dans mon top. Concernant les rééditions, on peut rajouter le tome 2 de l’intégrale Freak Brothers 2 de Shelton et Mavrides parue chez Revival (checkez cet éditeur qui fait un superbe travail d’archéologie bédéiste) et l’excellentissime réédition définitive de The Crow de James O’Barr avec plusieurs bonus. Et maintenant, place aux fines bulles et pas celles de champagne, et bonne(s) lecture(s)
#30 Dimitri Lernoud – Hour Glass (Les Humanoïdes Associés)

Une entrée en matière de but en blanc, des ellipses nécessaires pour rentrer dans un one-shot, mais qui peuvent dérouter. Avec Hour Glass qui marque son retour à la BD, Dimitri Lernoud ne fait pas dans la simplicité au niveau de la narration. Un écueil compensé par un dessin épuré mais de toute beauté. Pas toujours simple à suivre, la SF de Hour Glass se distingue par un propos intelligent sur les femmes dans la science et les rôles genrés.
#29 Matz / Frédéric Bézian – Les Papillons ne Meurent Pas de Vieillesse (Casterman)

Le haut-garonnais Frédéric Bézian (Docteur Radar, Les Garde-Fous) s’associe à Matz (Balles Perdues (sur un scénario de Walter Hill), Du Plomb dans la Tête (idem), Le Tueur,…) pour l’histoire d’un passionné de papillons parti au Brésil avec sa nièce à la recherche d’un spécimen jamais aperçu. Matz venant du polar, on se retrouve vite avec une histoire d’investisseurs véreux qui envoient des hommes de main aux trousses du héros. Esthétiquement, c’est bien exécuté avec un jeu sur les couleurs (seuls les papillons sont colorés), l’histoire est plutôt prenante avec un message écologique bien emmené.
#28 Karibou / Josselin Duparcmeur – Jeanne et Cierges (Pataquès)

Après Napoléon, Jules Cesar et la Guerre de Troie, le duo Karibou (Dialogues, Dernière Réunion Avant l’Apocalypse, Cinéramdam) / Josselin Duparcmeur s’attaque à la légende de Jeanne d’Arc. Le terrain peut sembler peu propice à la blague et pourtant ça marche. Entre joutes verbales délicieusement décalées, humour absurde et running gags, difficile de ne pas penser à Kaamelott. Amateurs de bons mots, de réflexions pertinentes et d’Histoire (mais aussi d’andouillette chinonaise), les aventures d’une ado de 17 ans devenue chevalière et d’un Dieu cynique et bougon a tout pour plaire.
#27 Joanna Estrela – Pardalita (Éditions Thierry Magnier)

Entre roman et BD, Joana Estrela n’a pas choisi. Pardalita nous plonge dans les pensées d’une adolescente. Pardalita se lit comme un journal intime, Raquel y évoque sa relation avec sa mère, la séparation de ses parents, le trouble amoureux qu’elle ressent pour son amie Pardalita. Tout en finesse et en pudeur, Pardalita permet de parler de plusieurs sujets à des élèves de 4ème/3ème et lycée sans y aller de manière bourrine. C’est à fois intelligent, délicat et bienveillant, et le principe est vraiment cool et original.
#26 Karl Grux – Mon Amie La Gale (VRAOUM)

Karl Grux s’inspire de son expérience avec la gale pour raconter une épopée courte et absurde, la fuite en avant d’un homme affligé de ce très désagréable parasite. Une fuite faite de rencontres improbables. Les traits feraient penser au Larcenet du Retour à la Terre, tout comme le fond aussi poétique qu’humaniste. Mon Amie la Gale, c’est court et vite lu mais c’est passionnant et fort.
#25 Salomé Lahoche – Ancolie (Glénat)

J’ai découvert Salomé Lahoche avec une pochette d’album pour Joey Glüten. Graphiquement, c’est un dessin faussement sommaire mais c’est plutôt fun. Ancolie, sa toute dernière BD, est l’histoire d’une sorcière cynique, trash, oisive et pleine de défauts mais étrangement attachante. BD inclusive par excellence, tous les personnages sont plus ou moins queer, et on retrouve un vampire breton, une fantôme pot de colle, des elfes baboss chiants, des orcs punks etc. C’est frais, plutôt drôle, un brin foutraque mais très original et plutôt bien emmené.
#24 Pierre-Emmanuel Barré / Delom / Damien Geffroy / Etienne Le Roux / Loic Chevallier/ Drac / Arsen – Les Chroniques de Saint Roustan tome 1 (Delcourt)

Il y a un an, Pierre-Emmanuel Barré inaugurait un running gag devenu culte dans l’émission La Dernière sur Radio Nova, avec son faux courrier des lecteurs venus d’un bled qui n’existe pas. Après avoir conclu ce long sketch à la fin de la saison 1 de l’émission, il a mis en BD ses textes avec son co-auteur Arsen et plusieurs dessinateurs dont Delom (Le Traquemage), un tel collectif que les dessinateurs ont décidé que seul le nom de Barré apparait en couverture. On redécouvre avec beaucoup de plaisir ces textes, superbement mis en dessin avec cette BD hyper drôle qui fait du bien en ces temps de morosité extrême. C’est bien fichu, plein de private jokes (l’équipe de l’émission a du bien se marrer) et addictif. Si vous avez des questions sur le bouquin, posez-les à des proches et si vous n’avez pas de proches, posez-vous des questions.
#23 James Harren – Ultra Mega, tome 2 (Delcourt)

Harren rend hommage aux kaïjus, ces monstres géants japonais auxquels il oppose ce qui s’apparenterait à des sentais. Deux icones de la geek culture nipponnes sont reprises façon comics. Au menu donc, un gros posage de cerveau avec des bastons dévastatrices, cependant c’est pas pour tout public. Les nostalgiques des sages Bioman en seront pour leur frais. Ici, les mutations en kaijus sont bien sales et les parties de manivelles terminent façon Mortal Kombat avec arrachages de membres et autres joyeusetés. Sur le tome 2, qui couvre les épisodes 5 à 9, revient sur les origines du phénomène et confère aux deux « tribus » belligérantes un rôle plus ambivalent, alternant entre victimes et prédateurs, les deux étant animées par un insatiable appétit de vaincre. Un peu plus complexes, le tome 2 offre des passages plus contemplatifs mais aussi une initiation dans la douleur avant un combat final épique digne des Dragon Ball les plus énervés. On retrouve ce qui fait le sel du comics, à savoir une inspiration de la geek culture japonaise allant jusqu’à des designs de créatures faisant des clins d’œil aux Pokemons et surtout de l’action débridée où kaijus et ultramegas se foutent de bonnes grosses peignées. Le tout encore une fois bénéficiant d’un dessin de haut niveau et d’une colorimétrie folle.
#22 Skottie Young / Jorge Corona – Aucune Tombe Assez Profonde (Urban)

Après Middlewest, Skottie Young (I Hate Fairyland) et Jorge Corona (Les Incroyables Aventures de l’Enfant Plume) unissent leur force pour un western fantastique autour du pitch improbable d’une ancienne hors-la-loi condamnée par une maladie incurable et qui décide d’aller buter la Mort elle-même. De Skottie Young, on retrouve son goût pour les héroïnes badass, les punchlines et la violence presque cartoonesque. On peut parfois être dérouté par un récit qui manque par moments de lisibilité mais le dessin léché de Corona qui confère à l’ensemble un côté très cinématographique finit par forcer l’adhésion et faire de ce western crépusculaire et désespéré un des incontournables de l’année.
#21 Danilo Beyruth – Corso (Soleil)

Un pilote abattu par la flotte ennemie atterrit sur une planète en apparence hostile et sera capturé par une tribu au contact de laquelle il apprendra à cohabiter, co-exister et sympathiser. Le ressort est connu, mais Danilo Beyruth le tourne avec des animaux anthropomorphes. Ici, le pilote est un chien rebelle envoyé au casse-pipe par la république des Chiens et abattu par la flotte de la monarchie des Chats. Corso ne reste pas dans la SF pure mais lorgne du côté de l’aventure, du récit d’initiation et même du chanbara. Poids lourd de la BD d’aventure brésilienne, Danilo Beyruth en plus du traitement original d’un postulat de base classique, nous offre une épopée rythmée, généreuse et superbement dessinée avec un coup de crayon qui emprunte même, par moments, au manga dans les mouvements des personnages. Pour tout amateur des différents genres cités, Corso est une bouffée d’air frais.
#20 Marc Bati – L’Entremonde tome 1 : Docteur, Je Vois des Choses que les Autres ne Voient Pas (Massot Éditions)

Disciple de Moebius, Marc Bati lance une nouvelle série, L’Entremonde, entre fantasy et SF avec un personnage dont on ne sait pas s’il est narcoleptique ou s’il a un pouvoir mais qui est régulièrement happé dans un monde imaginaire où il semble être un héros qui s’ignore appelé à un grand destin alors que, dans la réalité, c’est un mec lambda qui vit dans le XXème arrondissement de Paris. On navigue entre le Paris de nos jours à l’époque de manifs contre le RN et un univers entre Metal Hurlant et Dune, la frontière entre vision extra-lucide et hallucinations se brouille de plus en plus au point que le héros semble perdre contact avec son monde d’origine. Le scénario n’est pas toujours des plus faciles mais les dessins sont superbes et l’univers graphique plaira aux nostalgiques des œuvres sus-citées. On regrettera seulement que ce soit vite lu, mais c’est hyper addictif et ça donne envie d’être au prochain épisode.
#19 Diego Agrimbau/Gabriel Ippoliti – Bienvenue à Pandemonia (Dargaud)

Agrimbau et Ippoliti imaginent l’Enfer comme une grande ville en proie à de graves conflits sociaux et une lutte de pouvoir entre un Lucifer au bord du burn-out et des démons trop ambitieux, terrain de jeu idéal pour un coach motivationnel sans scrupules fraichement décédé. Avec un univers qui fait en partie penser à Zombillénium, Agrimbau et Ippoliti en profitent, avec un humour à propos, pour dresser une satire au vitriol du capitalisme moderne et des nouveaux gourous. C’est frais, superbement illustré et aussi fun qu’intelligent.
#18 José-Luis Munuera – Son Odeur Après La Pluie (Le Lombard)

Adaptation BD du best seller autobiographique de Cédric Sapin-Defour (roman qu’il a écrit pour surmonter le deuil de son chien Ubac), Son Odeur Après la Pluie est l’histoire de l’amour d’un homme féru de montagne pour son chien. Son Odeur Après la Pluie est un récit poignant (si vous craignez la larme, n’y allez pas), touchant et plein d’humanité. Un récit intelligent car prenant le point de vue de l’auteur, de sa compagne mais aussi du chien avec pour ce dernier un jeu sur les couleurs plutôt pertinent. Dans la lignée de films comme Hatchi ou Marley et Moi, Son Odeur Après la Pluie est une œuvre idéale pour les amoureux des chiens et plus généralement pour ceux qui comprennent l’attachement et l’amour qu’on peut avoir pour son animal, aussi fort que pour ses proches.
#17 Foerster – Nécronomickey, Le Livre des Destins Maudits (Fluide Glacial)

Dix petites histoires horrifico-WTF aussi drôles qu’étranges issues du Necronomickey, le livre des destins brisés et racontées par Nyalarpoupeth, voilà le concept de Necronomickey où Foerster rend hommage à Lovecraft, Poe et d’autres maîtres du fantastique et de l’horreur. On retrouve l’esprit des Contes de la Crypte dans cette anthologie absurde blindée d’humour noir et de monstres horribles (Foerster a un imaginaire particulier que n’aurait pas renié le maître de Providence). À bouquiner en se gavant de bonbons pour Halloween.
#16 James Tynion IV / Josh Hixson – Le Déviant : Un Conte de Noël tome 2 (Urban)

James Tynion IV (scénariste des acclamés Derrière la Porte, The Last House by the Sea) collabore avec Josh Hixson (Batman, The Plot) pour un thriller en deux parties. Contrairement à ce que communique maladroitement Urban (ils ont craqué pour le coup), non ça n’a rien à voir avec Terrifier 3, mais on est devant de l’horreur de Noël de bonne qualité. Lorgnant vers Le Silence des Agneaux, Copycat couplés à Silent Night Deadly Night, Le Déviant suit l’enquête d’un scénariste de comics qui veut changer de registre pour le true crime et va connaitre une descente aux enfers en investiguant sur l’affaire du Déviant alors qu’un serial killer suivant le même mode opératoire fait de nouvelles victimes 50 ans après. Traitant de sujets comme l’homophobie, Le Déviant refuse tout manichéisme avec des personnages très ambigus. Thriller tortueux au suspense bien dosé, c’est un petit bijou crépusculaire au dessin réaliste. A recommander aux amateurs du genre.
#15 Michael Walsh – Frankenstein (Urban)

Urban Comics continue sa série Universal Monsters et, après Dracula et l’Étrange Créature du Lac Noir, c’est au tour de Frankenstein. L’adaptation de Walsh se détache des multiples BDs sur la créature en prenant comme source non le livre de Mary Shelley mais le film de Whale avec Boris Karloff. Et force est de constater que l’hommage rendu est respectueux et fidèle. L’ambiance est parfaitement retranscrite, les dessins sont sublimes, la trame narrative juste et le rendu de la créature à la hauteur de sa légendaire représentation.
#14 James W. Loewen/Nate Powell – Une Histoire Critique des États-Unis (Steinkis)

James W. Loewen adapte son essai best-seller Lies My Teachers Told Me sorti en 1995 et réactualisé mais cette fois, en version roman graphique. On peut faire le lien avec Une Histoire Populaire de l’Empire Américain (de plus, Zinn adoube cet essai), mais cette fois, l’auteur a décortiqué les manuels américains d’Histoire pour en dénoncer un enseignement biaisé de l’Histoire pour coller au roman national, à une héroïsation de certains personnages célèbres, pour en gommer l’aspect sombre et ce, afin d’éviter de développer l’esprit critique. Hasard du calendrier, ce roman graphique est sorti l’année où Trump revient, augurant un des pires retours en arrière que ce soit au niveau des libertés, de la démocratie ou de l’enseignement. C’est un peu aride, il y a beaucoup d’informations mais c’est très bien construit, pertinent, intéressant (et en plus, le dessin ne fait pas injustice à la qualité du propos), bref c’est nécessaire.
#13 Aleš Kot/Tradd Moore – The New World (Hi Comics)

Il aura fallu 6 ans pour que The New World sorte en version française. Aleš Kot (Secret Avengers, Bucky Barnes, Suicide Squad…) et Tradd Moore (Dr Strange, Silver Surfer, Luther Strode….) unissent leurs forces pour un one-shot à la croisée des mondes entre Roméo & Juliette, 2000 AD, Cyberpunk 2077 et des éléments de Truman Show. Un hacker straight edge et une flic star de télé-réalité (et fille de dictateur) tombent amoureux dans une Amérique dystopique postapocalyptique. Le scénario est assez classique et parfois confus dans son dénouement mais c’est compensé par le dessin radical d’une beauté folle d’un Tradd Moore semblant être sous ecstasy, couplé aux couleurs chatoyantes et psychédéliques de Heather Moore. Le tout, ça donne un petit bijou de BD indé à l’esprit punk anarchiste et au dessin léché qui lui confère une vraie identité à part.
#12 Vamille – Fleurs Intestinales (Sarbacane)

Vamille (Greta Sauve le Monde) raconte sa maladie de Crohn. Si Ma Crohn de Vie est plutôt didactique et pratique, Fleurs Intestinales parle plutôt d’acceptation et de cohabitation avec la maladie, ici évoquée avec la figure allégorique utilisée habituellement pour la Mort, une figure qui joue ici le rôle d’accompagnatrice dans le parcours initiatique, entre traitements expérimentaux qui finissent par devenir inefficaces et cycles qui s’apparentent à des combats. Le propos est moins léger que Ma Crohn de Vie sans être plombant grâce à des dessins faussement naïfs tout simplement sublimes.
#11 Jesse Lonergan – Hedra (Les Humanoïdes Associés)

Avant Drome, il y avait Hedra sorti en 2020 mais édité en France en 2025, grâce aux Humanoïdes Associés dans la collection Metal Hurlant. Hedra, c’est un conte de science-fiction, un voyage dans l’espace alors que la Terre se meurt, sans un seul dialogue. Plus expérimental encore que Drome, plus difficile à suivre aussi, Hedra est un bijou graphique autant par la qualité du dessin que de la mise en page. Une BD qui demande un peu de lácher-prise.
#10 Gaet’s/Monier – Fan Man, L’Homme au Ventilo (Petit à Petit)

Gaet’s et Monier, auteurs de la saga RIP, adapte le roman du touche-à-tout William Kotzwinkle, écrit en pleine vague hippie. Fan Man, c’est le récit des pérégrinations de Horse Badorties, doux dingue rêveur, bordélique de l’extrême (probablement atteint du syndrome de Diogène) qui se balade toujours avec un ventilateur, qui s’en sort toujours en baratinant et qui se donne pour objectif de faire un concert avec une chorale de l’amour. Fan Man, c’est un bonbon de BD. Version actuelle du roman d’origine, c’est à la fois une ode au New York de l’Upper East Side et des petits boulots mais surtout à la slow life, l’hédonisme et au do it yourself. Une BD un peu loufoque, superbement dessinée, très drôle et attachante, de celles qui font immédiatement du bien, mec !
#9 Catherine Monnot-Bellanger / Paolo Castaldi – L’Appel des Bouts du Monde, une vie d’humanitaire (La Boîte à Bulles)

Universitaire, chercheuse et anthropologue (mais aussi prof d’histoire-géo), Catherine Monnot-Bellanger nous raconte le témoignage de Joëlle (nom d’emprunt), une collègue de son mari qui a passé 50 ans dans l’humanitaire, de ses débuts dans les années 70 au sein de Médecins Sans Frontières à sa démission récente en passant par divers théâtres de guerre, de Beyrouth à l’Afghanistan, du Congo à Haïti en passant par le Burundi ou le Kurdistan oriental. Elle raconte tout, sans détours et si elle nous donne foi en l’humanité, c’est pas la même pour certaines institutions. Le dessin est un peu académique mais c’est passionnant de bout en bout.
#8 Joey Glüten – Hello Utopia (Autoédition)

Chanteur au sein du groupe Megadef ou en solo, Joey Glüten est avant tout graphiste et illustrateur. Après plusieurs années prolifiques dans la musique, Joey Glüten sort une BD en financement participatif et fruit d’un travail au long cours mené pendant cinq ans. Si je le connaissais pour sa verve et sa plume acide et engagé, je découvre son superbe coup de crayon, précis et subtil pour une histoire commençant comme un drame et finissant comme un thriller, une histoire de chanteuse écorchée vive et hantée par la perte de sa guitariste, une histoire humaniste et pleine d’espoir, faite de rencontres. Avec Hello Utopia, Joey Glüten fait une ode à ceux et celles qui, trop souvent catalogué.e.s à la marge par des citoyens trop propres sur eux, sont les derniers humains libres.
#7 Patrick Horvath – Beneath the Trees Where Nobody Sees (Ankama)

Dans une paisible petite ville, la quincaillère bien aimée et gentille comme tout est aussi une tueuse en série. Ancrée dans sa routine, méthodique et discrète, elle réussit à ne pas éveiller les soupçons jusqu’à ce qu’un deuxième tueur débarque en ville, mettant en péril son petit secret. Sous ses dessins trop mignons avec des animaux anthropomorphes choupinous, Patrick Horvath livre un thriller implacable façon Dexter avec une psychologie plutôt travaillée, des saillies gore et un humour hyper noir, jouant du ressort classique mais efficace du citoyen tranquille dont il vaudrait mieux se méfier. Superbement dessiné, Beneath the Trees Where Nobody Sees est un thriller prenant et malin où on ne voit pas défiler les 160 pages.
#6 Rob Williams/Pye Parr – Petrol Head vol. 1, Bienvenue à la Course du Futur (Komics Initiative)

Derrière ce qui pourrait n’être qu’un BD lambda avec des robots et des bagnoles se cache ce qui pourrait être l’un des tout meilleurs comics de l’année. Le scénario est un brin bateau avec son histoire de robot pilote automobile cynique et bourru (on l’imaginerait bien avec la voix de Patrick Poivey, de Daniel Beretta ou de Alain Dorval) amateur de cigare qui sauve une gamine des griffes d’entités robotiques qui gèrent une ville post-apocalyptique. Mais derrière ce scénario qui lorgne par moment vers Fury Road, Fast & Furious, Doom Patrol autant que les grands classiques de SF robotique et dystopie se cache un comics hyper dynamique, cinématographique à souhait. Le dessin de Pye Parr (Judge Dredd), coloré, cartoonesque, détaillé et proposant des mouvements fluides au service d’une action musclée. Les avis dithyrambiques de Garth Ennis, Scott Snyder, Mark Millar ou Duncan Jones ne sont pas usurpés : Petrol Head a tout d’une franchise prometteuse, c’est fun, d’un beauté graphique folle, nostalgique de la coolitude d’une certaine époque. C’est un must, tout simplement.
#5 Arthur De Pins – Knight Club tome 1 (Dupuis)

Arthur De Pins (La Marche du Crabe, Péchés Mignons, Zombillénium) se lance dans une nouvelTe série avec Knight Club, où une forgeronne recrute des mercenaires pour défendre son petit village contre les croisés. Un air de 7 samouraïs ou de 7 mercenaires avec un joli casting de gueules, parmi lesquels un prisonnier, un templier écossais, un hashashin beau gosse, une nonne agile à l’arc, un chevalier très à cheval sur les codes, une Nordienne mastock et un guerrier Tatar, des mercenaires au caractère bien trempé à deux doigts de se foutre des peignées entre eux avant même le combat final mais qui vont devoir s’allier malgré tout. Knight Club c’est drôle, rythmé, bourré de punchlines, de suspense et d’action, superbement dessiné, mais surtout inventif, tant dans son scénario que dans la narration, le découpage, les plans avec de petits bijoux très agréables à analyser. En mélangeant les genres, De Pins sort un nouveau classique en devenir. Un immanquable de cette année.
#4 Anders Nilsen – Tongues, tome 1 (Atrabile)

Pas franchement facile à décrire, ni même à suivre (c’est peut-être son principal écueil), Tongues nous plonge dans un univers où on navigue entre mythologie (le mythe de Prométhée entre autres), géopolitique et philosophie. En revanche, c’est une merveille graphique, qui bouscule à la fois les codes de la narration et de la mise en page, alternant entre dessin minimaliste et ultra-détaillé, blindé de trouvaille, couché sur un papier épais. Le prix est largement justifié quand on imagine le coût de l’impression. C’est pas une BD pour tout le monde, ça a un côté un peu expérimental mais on est devant une expérience très intense de lecture.
#3 Brian K. Vaughan/Niko Henrichon – Spectateurs (Urban)

Une jeune femme tuée par un terroriste se lie d’amitié avec un cow-boy mélancolique. Ensemble, ils errent en discutant, ne pouvant qu’être spectateurs d’un monde où les tueries de masse perpétrées par des psychopathes qui se croient dans un FPS dégénèrent en guerre mondiale. Alors que l’apocalypse approche, ils assouvissent leurs fantasmes de voyeurs. Brian K. Vaughan (Saga) et Niko Henrichon (Fangs) s’associent pour un bijou philosophique où le cul et la violence sont montrés crûment mais jamais gratuitement et où le premier sert d’échappatoire au second. Spectateurs est brillant, tant dans les thématiques abordées et dans son originalité que d’un point de vue purement esthétique.
#2 Boni/Elene Usdin – Detroit Roma (Sarbacane)

Boni et Elene Usdin nous entrainent dans la fuite en avant de deux jeunes femmes entre Detroit, Michigan et Roma, Georgie. Multipliant les flash-backs mais aussi les séquences introspectives, Elene Usdin expérimente et multiplie les techniques, entre peinture, dessin minimaliste comme hyper détaillé, en couleur ou monochrome, en déconstruisant la mise en page et en entrecoupant avec des portraits. A travers ce destin croisés de deux âmes en fuite, Boni et Elene Usdin montrent une Amérique des fracassés et des laissés pour compte. Detroit Roma lorgne vers le cinéma indépendant et les grands road trips. C’est à la fois très touchant, riche, original et varié, et ça dépasse le cadre simple de la BD.
#1 Jesse Lonergan – Drome (404 Éditions)

Après la SF avec Arca et Hedra, Jesse Lonergan nous plonge dans une cosmogonie où un dieu du chaos et sa compagne déesse de l’ordre créent un univers avec des hommes et des animaux et les cycles de violence qui en découlent jusqu’à ce qu’une demi-déesse soit créée pour apprendre le langage aux hommes. En empruntant à l’Épopée de Gilgamesh et aux mythes grecs de la création, Lonergan nous livre une œuvre d’heroic fantasy épique sur la condition humaine. Surtout, Lonergan, déjà coutumier du fait sur ses précédentes créations, joue avec la structure de mise en page, redéfinissant le gaufrier et exploite toutes les possibilités du support, interrogeant par la même les codes narratifs, jouant sur les notions de temps, de mouvement, d’espace et même de couleur (lorgnant parfois vers Kandinsky), mais aussi sur nos propres réflexes de lecteur. S’il y a peu de dialogues, il faut un lâcher-prise sur les images. Fourmillant d’idées et de trouvailles, Drome est une des BD les plus novatrices de ces dernières années. Une merveille tout simplement.
Par Nikkö
