octobre 31, 2025

Spectateurs

Auteurs : Brian K. Vaughan et Niko Henrichon

Editeur : Urban Comics

Genre : Fantastique

Résumé :

Val a quarante ans. Fan de soap-opéras et de films pornographiques, elle se rend au cinéma. Là, elle est sauvagement abattue de plusieurs balles dans le corps. Val se retrouve alors bloquée dans un état spectral, sans comprendre ce qui vient de lui arriver. Elle découvre bien vite qu’elle peut hanter le monde des vivants avant de décider de partir vers le monde d’après. En tant que fantôme, elle ne peut entrer en contact avec les vivants, mais il est une chose qu’elle peut faire à volonté : observer.

Avis :

Brian K. Vaughan est un scénariste de talent qui est un véritable touche-à-tout. Il commence son travail en 1996 avec des titres comme Wolverine, Ultimate X-Men ou encore Swamp Thing, à la fois chez Marvel et chez DC. Dans les années 2000, il contribue au scénario de la série à succès Lost, et il travaille aussi sur l’adaptation en série du roman Under the Dome de Stephen King. Cependant, là où il s’éclate le plus, c’est lorsqu’il crée lui-même ses personnages, dans des univers inédits. On peut évoquer The Private Eye ou encore We Stand on Guard. Et c’est exactement dans cette même veine que l’on retrouve Spectateurs, comic qui nous préoccupe entre ces lignes, et qu’il co-signe avec Niko Henrichon, dont le travail graphique a déjà été visible sur Sandman ou Fables.

Dans cette histoire, il est question de Val, une quarantenaire qui se rend dans un cinéma juste après la crise du Covid, et qui va être tuée par un terroriste, dont la seule motivation est de faire le buzz sur les réseaux, et de battre le nombre de mort d’un précédent tueur de masse. Val devient alors un fantôme avec vingt ans de moins, et elle va vite se rendre compte qu’elle ne peut plus interagir avec quoi que ce soit, et qu’elle ne peut qu’être spectatrice du monde des vivants. Après cette introduction brutale qui nous met face à une violence décomplexée et désintéressée, on va faire un bond de deux cents ans, et retrouver Val qui cherche des personnes à suivre, comme s’il s’agissait d’une bonne série télé. Elle rencontre alors Sam, qui est un fantôme depuis le début du vingtième siècle.

Et l’histoire ne sera, au final, qu’une longue discussion entre Val et Sam, qui vont partir en quête d’un trouple, afin d’assouvir un délire scabreux. Mais cette longue discussion va aboutir à des réflexions très profondes, brassant un nombre de thèmes impressionnant, tout en jouant avec les codes de la narration. Ici, il sera bien évidemment question de sexualité, et de liberté, mais aussi de politique, d’humanité et d’humanisme, tout comme de voyeurisme et d’assouvir quelques instincts primaires. La balade que nous offrent les deux fantômes est absolument passionnantes, avec en prime des spectres lubriques, libérés de toute conscience, et qui font alors des concours de vitesse pour agrémenter leurs longues journées. Sans trop en dévoiler, le récit est tout simplement magistral, et on ne peut qu’être touché par ces deux personnages abîmés par la vie, même dans la mort.

Outre des réflexions profondes sur le sens de la vie, et comment les humains continuent malgré tout à se détruire, on a aussi de jolies thématiques autour de l’art, du cinéma et de ses différentes significations. Les références sont nombreuses et plaisantes, avec des points de vue appuyés, quitte à faire tilter le fan de certaines œuvres. Brian K. Vaughan fait parler son expérience dans le monde du septième art et du petit écran, et c’est vraiment jouissif de voir à quel point il tacle. Tout comme il arrive à faire des flashbacks attendrissants autour d’un père protecteur un peu largué, et des souvenirs qu’il peut laisser à sa fille un peu rebelle, luis créant alors, sans le vouloir, une addiction au sexe dans le cinéma. C’est très fort et très malin, d’autant que cela touche aussi le personnage de Sam plus mesuré, mais tout aussi touchant.

La narration est elle aussi absolument extraordinaire, parce que si l’on suit les pérégrinations de deux fantômes qui ne peuvent finalement rien faire hormis observer, on a une autre histoire qui se déroule de façon silencieuse dans le dos des protagonistes. Niko Henrichon donne vie à un monde futuriste qui part à vau-l’eau, où il n’est plus question que de sexe seul, d’individualisme, de consumérisme et d’exhibition d’une violence décomplexée. On sent que la fin du monde est proche, entre des pays qui se bombardent gratuitement, des tueurs qui rêvent de percer sur le net en fonction de leur nombre de morts, ou encore des parties de jambes en l’air en plein parc pour célébrer la fin d’une humanité à bout de souffle. C’est terrifiant, mais ça tient la route, avec l’évolution dramatique de notre humanité actuelle, qui prend totalement l’eau.

A cela, il faut rajouter trois idées de génie. En premier lieu, la colorimétrie est totalement dingue, et permet alors de bien distinguer les deux narrations. Les fantômes, plein de vie, déchargés de leur condition de mortel, sont en couleurs, et la plupart semblent joyeux. La vraie vie, qui se déroule en arrière-plan, et qui est plongée dans une violence sourde et une décadence exacerbée, est en noir et blanc, soulignant son côté froid, triste et nihiliste. Le deuxième point concerne les dessins de Niko Henrichon qui sont tout simplement sublimes, avec des double-planches qui sont des dingueries. C’est d’une beauté ! Et cela contraste avec la froideur de notre humanité. Enfin, la fin est magistrale, avec la rupture du quatrième mur, nous plaçant alors nous aussi comme spectateur entier de cette fin du monde annoncée. C’est tout simplement brillant.

Au final, Spectateurs est un pur bijou, un chef-d’œuvre comme on en voit rarement. La narration est exceptionnelle, les sujets abordés sont profonds et amenés avec une certaine sagesse, la colorimétrie est pensée dans ses moindres détails, et l’histoire, dans sa globalité, et à la fon nihiliste au possible, mais aussi touchante, jusqu’à nous émouvoir dans un dernier acte sublime. Bref, il s’agit-là d’un indispensable dans le monde du comics !

Note : 19/20

Par AqME

AqME

Amateur d'horreur, Métalleux dans l'âme, je succombe facilement à des images de chatons.

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