Auteur : Patrick Horvath
Editeur : Ankama
Genre : Thriller
Résumé :
Dans la paisible petite ville de Woodbrook, tout le monde se connaît. Mais connaît-on vraiment ses voisins ? Que font-ils quand ils pensent que personne ne les voit ? C’est ce que va tenter de découvrir Samantha Strong, avant que le tueur qui sévit en ville ne mette en péril sa parfaite petite vie…
Avis :
Réalisateur de film d’horreur à ses heures perdues (on lui doit notamment The Devil’s Pact et 666 Road (Southbound), soit deux très mauvais films d’horreur), Patrick Horvath est aussi dessinateur, en plus de son travail de scénariste ou de monteur. Touche-à-tout qui n’a encore rien fait d’extraordinaire, ce qui semble animer l’artiste, c’est l’horreur, ou tout du moins l’horreur qui s’insinue dans les brèches de notre quotidien. Avec Beneath the Trees Where Nobody Sees, il signe son premier comic, paru initialement sous le format de six fascicules, et qui arrive chez dans une intégrale qui prend le format bande-dessinée. Un choix pour le moins audacieux de la part de Ankama, qui joue à fond la carte de l’innocence, avec cette couverture toute guillerette, mais qui cache un terrible secret.
Ici, on nous propose de suivre Samantha, une ourse qui vit dans la petite ville de Woodbrook en tant que gérante d’un magasin de bricolage. Dès le premier chapitre, l’auteur nous glisse dans le quotidien de cette femme qui tout le monde aime, mais qui cache un lourd secret. De temps à autre, elle se rend dans la grande ville voisine, kidnappe une personne au hasard, puis la zigouille dans les bois pour calmer les voix dans sa tête. Son protocole est rodé, elle a tué quarante-trois personnes en vingt ans sans se faire gauler. Mais les choses vont changer lorsque lors de la parade de Woodbrook, un cadavre est découvert sur un char, et que Samantha se sent alors en danger, face à un tueur qui va certainement tout faire pour la faire accuser.
Le postulat de base est assez intéressant, car d’entrée de jeu, Patrick Horvath va jouer sur la différence de tonalités entre son dessin, coloré, chaleureux, innocent, qui fait penser à la bande-dessinée jeunesse, à un récit froid et sanglant, où les fulgurances gores fusent de façon inattendue et bien crade. Le premier chapitre présente l’héroïne de façon claire et concise, une personne lambda qui cache un lourd secret, mettant alors en avant l’un des sujets de prédilection du scénariste, l’élément glauque qui surgit dans un quotidien simple et tout ce qu’il y a de plus normal. Bien évidemment, la fin de ce chapitre appelle à la présence d’un deuxième tueur, qui va rentrer non pas en concurrence, mais qui va mettre en danger le secret de Samantha. La façon de faire est très intelligente, car elle appelle à lire rapidement la suite pour voir le déroulement des choses.
Le deuxième chapitre met en scène alors la panique qui s’empare des habitants, et une nouvelle victime qui sera présentée comme une vraie peau de vache. Ici, on va détester cette bonne femme qui se croit tout permis, et on va prendre un sadique plaisir à la voir se faire trucider. L’une des grandes forces de cette histoire, c’est de faire en sorte que l’on ressente de l’empathie pour Samantha, alors une tueuse, mais aussi pour l’autre assassin qui, à ce moment-là, débarrasse la communauté d’une vraie salope. Heureusement, les chapitres suivants seront plus clairs dans les enjeux du nouveau tueur, qui agit alors comme un véritable psychopathe, trouvant ses raisons dans le fait qu’il semble invisible aux yeux de tous. Là, on est sur le thème de l’isolement, de la solitude qui pèse, alors même que l’on mène une vie paisible en essayant d’être bien sous tout rapport.
Bien évidemment, les derniers chapitres vont jouer sur deux aspects du thriller. Tout d’abord celui de la fuite, où notre ourse va devoir se recentrer sur elle-même, faire un point sur sa nature profonde, et savoir ce qu’elle va faire pour s’en sortir. Si ce passage un peu cauchemardesque n’est pas forcément bien fichu, notamment d’un point de vue graphique (l’auteur reste trop sur sa ligne de dessin), il va permettre à notre tueuse préférée de prendre une décision et de vaincre le mal par le mal. Le dernier chapitre sera alors une confrontation, où l’on va voir la rudesse des deux tueurs, et notamment leur aspect émotionnel qui n’est que très peu évoqué. En faisant cela, Patrick Horvath nous ramène à notre rapport à l’horreur, et à ce qui fait de nous des humains à part entière, à savoir l’amour et le fait que l’on ressente des émotions.
Au final, Beneath the Trees Where Nobody Sees est un récit qui peut sembler classique dans sa démarche, mais qui étonne par son efficacité et le choix radical de l’auteur d’opposer un graphisme enfantin et naïf à des passages gores sans concession. Bien loin de vouloir choquer son lectorat, l’auteur en profite pour parler de thèmes forts tout en jouant sur une certaine innocence graphique, impactant un peu plus sur ses planches sanglantes. Il en résulte alors un comic étrange, addictif et rudement bien mené, qui joue en plus sur l’anthropomorphisme de ses personnages. Une belle réussite qui pourrait presque appeler à une suite.
Note : 17/20
Par AqME