De : Michael Haneke
Avec Susanne Lothar, Ulrich Mühe, Arno Frish, Franck Giering
Année : 1997
Pays : Autriche
Genre : Thriller
Résumé :
Un couple et leur fils unique passe ses vacances dans une maison au bord d’un lac. Un jour, deux jeunes hommes se présentent chez eux sous un prétexte anodin. Mais les deux garçons vont séquestrer la famille et leur faire subir les pires tortures avec une promesse : celle que le lendemain matin, leur calvaire prendra fin puisqu’ils seront tous les trois morts.
Avis :
Pratiquement chaque année, durant le festival de Cannes, on a des films qui secouent la Croisette et des réalisateurs qui font le buzz. C’est un bon moyen de mettre en avant leur travail, et de susciter l’intérêt du public. On se souvient encore de Maurice Pialat avec Sous le Soleil de Satan, ou encore de la Palme d’or accordée à Julia Ducorneau avec Titane. Reparti bredouille du festoche, c’est en 1997 que Michael Haneke va faire polémique avec son film Funny Games. Thriller à tendance horrifique dans lequel deux jeunes garçons vont torturer à mort une famille tout ce qu’il y a de plus normal, le film se veut virulent, percutant, très proche de la réalité, tout en incluant le spectateur dans ce petit jeu de massacre. Forcément, avec une telle envie d’interpeler le spectateur sur sa consommation de violence sur les écrans, cela ne peut que diviser.
Le pitch du film est très simple. On commence par suivre un couple de trentenaires avec leur fils unique qui se rendent dans leur maison de vacances. Sur place, alors que le mari met le bateau dans l’eau, deux jeunes garçons s’introduisent dans la maison pour demander des œufs afin de dépanner les voisins. Malheureusement, les deux jeunes hommes ne sont pas là pour les œufs, mais pour faire vivre un enfer à cette famille, les séquestrant et leur faisant jouer un jeu macabre. Funny Games est un film très simple dans sa trame. On est à la lisière du thriller et de l’horreur, avec une violence qui peut paraître discrète aujourd’hui, mais qui agit par parcimonie, et surtout avec une haute cruauté. Michael Haneke a longuement pensé son script pour y injecter un fond important, interrogeant notre rapport à la violence.
« Pour mieux percuter et faire réfléchir, le cinéaste propose une mise en scène minimaliste. »
Car oui, derrière le déroulement simple et linéaire du film, on va avoir droit à une réelle réflexion sur ce que l’on consomme, et sur ce que l’on regarde. Pour mieux percuter et faire réfléchir, le cinéaste propose une mise en scène minimaliste, très réaliste, avec une violence qui ne peut laisser indifférent. D’ailleurs, le film va jusqu’au bout de son concept, notamment lors du premier plot twist qui se termine par une image fixe de plusieurs minutes, démontrant la détresse des parents et la violence qui peut frapper à n’importe quelle porte. Le calvaire provient aussi d’un sentiment d’insécurité permanent, avec des objets essentiels qui ne marchent plus, ou encore avec un mari qui se retrouve dans une situation de handicap et qui doit laisser sa femme faire les choses. Une inversion des rôles qui ajoute comme si quelque chose d’inéluctable allait arriver.
Face à ce fatalisme hyper réaliste et étouffant, Michael Haneke va aussi mettre quelques éléments fantastiques inattendus qui surprennent. C’est-à-dire que l’un des deux personnages est omnipotent, et a conscience d’être dans un film. Il brise par deux fois le quatrième mur, s’adressant directement aux spectateurs, nous confrontant alors à notre propre voyeurisme. Même si on déteste ces deux tueurs, on ne peut décrocher notre regard des atrocités qu’ils commettent. Et en ce sens, nous sommes témoins et complices des crimes qu’ils sont en train de faire. Le cinéaste pousse sa réflexion très loin, voulant alors montrer aux spectateurs que leur consommation de violence à travers un écran peut être un problème. Une idéologie qui s’oppose presque à celle de Benoît Dumont, qui trouve sain que la violence soit dans l’écran, et pas dans la réalité, agissant ainsi comme une catharsis.
« A-t-on envie que le film se termine « bien » ? Que les méchants soient réellement punis ? »
L’autre élément fantastique intervient vers la fin du film. Il se passe un élément important qui va déstabiliser le tueur le plus bavard, qui va chercher une télécommande pour faire marche arrière. En agissant ainsi, Michael Haneke va encore plus loin que le simple personnage qui s’adresse aux spectateurs. Ici, il le pose presque comme une déité qui peut faire quasiment tout ce qu’il veut au sein de l’histoire. Il est l’un des tueurs, mais il semble être aussi le réalisateur et le spectateur de sa propre histoire. Cet élément « fantastique » contrebalance complètement le côté très réaliste de la mise en scène, et peut dédramatiser les actes que l’on voit. Cependant, c’est assez malin de la part du réalisateur car il n’oublie qu’il fait un film pour démontrer les vices de ce que l’on regarde, et des spectacles souvent morbides que l’on demande.
En ce sens, il pose une question intéressante : a-t-on envie que le film se termine « bien » ? Que les méchants soient réellement punis ? Et cela pose un vrai cas de conscience, aussi bien sur la force du cinéma, que sur ce qu’il peut apporter comme conscience morale. Afin de servir ce raisonnement glacial, le cinéaste autrichien s’est entouré de quatre acteurs absolument formidables. A la ville comme à la scène, le couple est joué par Susanne Lothar et Ulrich Mühe, et ils sont d’une justesse incroyable. La longue scène fixe après le premier drame est d’une force magistrale et nous laisse cloués sur place. Du côté des méchants, Arno Frish vole la vedette à Franck Giering de par sa froideur et l’amusement qu’il affiche clairement à torturer ces personnes, sans aucun raison apparente. Le quatuor fonctionne à merveille et s’insère parfaitement dans ce réalisme souhaité.
Au final, Funny Games n’est pas un film marrant, loin de là. C’est un film froid, austère, qui utilise son ultra réalisme pour percuter le spectateur et le mettre face à ses envies violentes et déviantes. Film devenu culte par la force des choses, il faut tout de même noter qu’à sa sortie, Funny Games n’a pas marqué les esprits des personnes visées, à savoir les américains, et de ce fait, Michael Haneke signera lui-même le remake plan par plan avec des actrices et acteurs américains, où là, le retentissement a été plus fort encore.
Note : 17/20
Par AqME