octobre 12, 2025

Classe Moyenne – La Comédie Sociale de l’Année ?

De : Anthony Cordier

Avec Laurent Lafitte, Elodie Bouchez, Ramzy Bedia, Laure Calamy

Année : 2025

Pays : France

Genre : Comédie

Résumé :

Mehdi a prévu de passer un été tranquille dans la somptueuse demeure de ses beaux-parents. Mais dès son arrivée, un conflit éclate entre la famille de sa fiancée et le couple de gardiens de la villa. Comme Mehdi est issu d’un milieu modeste, il pense pouvoir mener les négociations entre les deux parties et ramener tout le monde à la raison. Pourtant, tout s’envenime…

Avis :

Je suis la carrière d’Anthony Cordier avec une vraie assiduité depuis le très sensuel « Happy Few« . C’est un réalisateur rare, discret, mais qui a toujours quelque chose de pertinent à raconter. À chaque fois qu’il fait un retour, il nous offre un geste de cinéma singulier, à la fois intime et vibrant. Que ce soit sur grand écran, avec « Happy Few » (2010) ou « Gaspard va au mariage » (2018), ou sur petit écran, avec la série « Ovnis« , Anthony Cordier n’a jamais cessé d’observer la complexité des rapports humains. Il explore les désirs, les maladresses et les contradictions avec une finesse et un humour bien à lui.

En matière de cinéma, on n’avait plus vraiment eu de ses nouvelles depuis justement « Gaspard va au mariage« , sorti il y a sept ans. L’attente fut longue, mais clairement, elle valait le coup. Cinglant, acerbe et d’une intelligence redoutable, le film d’Anthony Cordier se dispute sans mal la première place du podium avec « Le mélange des genres » de Michel Leclerc en termes de comédie de l’année. Certes, « Classe moyenne » met un peu de temps à démarrer, mais une fois lancé, ce duel de familles prend une ampleur folle. C’est un film à la fois drôle, féroce et terriblement actuel dans ses sujets. Il se tient du début à la fin, avec intrigue et sourire aux lèvres, pour nous entraîner jusqu’à un final aussi surprenant que percutant.

«  »Classe moyenne » frappe fort. »

Deux familles, deux mondes. D’un côté, les Trousselard : riches, bourgeois, installés dans leur confort, persuadés que tout leur est dû. Une grande maison, des vacances dans le Lubéron, des brunchs dominicaux à rallonge et des conversations pleines de certitudes. De l’autre, les Azizi : famille plus modeste, vivant dans la petite maison de gardien des Trousselard. Ils sont au service des bourgeois, travaillant depuis sept ans pour eux, serrant les dents face aux humiliations et aux rabaissements. Et puis, un jour, il y a l’humiliation de trop…

Le retour d’Anthony Cordier au cinéma est sûrement l’une des meilleures nouvelles de 2025. Avec ce film, le moins qu’on puisse dire, c’est que « Classe moyenne » frappe fort. Sous ses airs de comédie légère et délirante, le film aborde une multitude de thèmes brûlants : la déconnexion des riches, le mépris de classe, la frustration sociale, la lutte des statuts, les enfants de…, mais aussi l’hypocrisie collective et le poids du paraître. C’est drôle, oui, mais c’est aussi douloureusement lucide.

Le scénario s’amuse à faire exploser tout ce qui sépare deux mondes condamnés à se croiser sans jamais se comprendre. Derrière le rire, Anthony Cordier tire au bazooka. Il dissèque la France d’aujourd’hui, celle qui se croit encore “classe moyenne”, qui essaie de s’en sortir comme elle le peut, alors qu’elle ne sait plus très bien où elle se situe. Et il le fait avec une écriture affûtée, souvent hilarante, parfois cruelle, toujours juste et percutante.

« Anthony Cordier tire sur tout le monde, mais jamais gratuitement. »

Ce film, c’est aussi une bataille d’egos, une guerre de petits chefs où chacun croit avoir raison, où plus personne ne s’écoute. Les dialogues sont irrésistibles. Certaines punchlines sont si bien écrites qu’on les garde en tête à la sortie. « Classe moyenne » est un film qui résonne, qui pique là où ça fait mal, et ça, c’est très bien. Ici, pas de politiquement correct : Anthony Cordier tire sur tout le monde, mais jamais gratuitement. Chaque pic, chaque critique a un sens, une logique, un fond.

Ce qui frappe, au-delà de l’écriture, ce sont les personnages. Tous sont aussi détestables qu’hilarants. Aucun n’est vraiment “bon”, aucun n’est tout à fait “mauvais”. Ils sont humains, dans ce qu’ils ont de plus grotesque, de plus vaniteux, de plus égoïste, et donc terriblement crédibles. Seul un personnage semble vouloir arranger les choses… mais même là, la manipulation n’est jamais loin.

Côté casting, c’est un festival. Laurent Lafitte est puant à souhait. Il incarne à la perfection ce bourgeois cynique, odieux, déconnecté, sûr de lui et méprisant. Un rôle taillé sur mesure, qu’il habite avec un plaisir coupable. Avec lui, Élodie Bouchez est tordante en bourgeoise perchée, à la fois naïve, lunaire et insupportablement déconnectée. Sa manière de parler “pour ne rien dire” et de s’écouter est un délice. Noée Abita, en fille née avec une cuillère en argent dans la bouche, complète ce trio du mépris avec un naturel désarmant. L’actrice tient une scène criante de vérité sur ses blessures d’enfance.

«  »Classe moyenne » reste ancré dans un réalisme grinçant. »

Du côté de la “famille d’en bas”, Ramzy Bedia est excellent, dans un rôle à la fois tendre et pathétique. Il fait beaucoup rire, mais il émeut aussi, presque malgré lui. Et puis il y a Laure Calamy. Elle est, une fois de plus, exceptionnelle. Moins excessive qu’à l’accoutumée, plus contenue, mais terriblement drôle. Elle parvient à injecter dans chaque réplique un mélange d’ironie et de sincérité désarmant. Tout a l’air si facile pour elle. Elle confirme qu’elle est, aujourd’hui, l’actrice la plus drôle du cinéma français. Enfin, il y a Samy Outalbali, qu’on a rarement vu aussi juste, aussi affûté. Il tient ici son meilleur rôle à ce jour : une bouffée d’air frais et de normalité.

Si « Classe moyenne » fonctionne si bien, c’est aussi grâce à sa mise en scène. Anthony Cordier joue avec notre patience : il prend le temps d’installer ses personnages, de planter le décor, de nous donner envie de voir ces “braves gens” se déchirer. Le début est un peu lent, c’est vrai, mais tout s’enclenche ensuite avec une fluidité folle. Une fois que le film démarre, c’est une autoroute de plaisir : chaque scène est une montée en tension, chaque réplique un projectile. Et dans cette comédie sociale, il parvient à maintenir une tension dramatique digne d’un thriller de mœurs. On sent bien que tout ne peut que finir mal. Reste juste à savoir comment.

Avec ce film, c’est la première fois qu’Anthony Cordier s’aventure aussi frontalement dans la comédie, et il s’en sort haut la main. Mieux encore : c’est sans doute son film le plus accessible. Là où « Gaspard va au mariage » flirtait avec le conte et le surréalisme, « Classe moyenne » reste ancré dans un réalisme grinçant. Il parle de nous, de nos contradictions, de nos jugements, et il le fait avec humour, mais sans complaisance. Bref, c’est terrible, dans le bon sens du terme.

« Classe moyenne » est une comédie sociale comme on en voit trop peu : drôle, féroce, méchante et intelligente, mais surtout incroyablement juste. Anthony Cordier livre ici un film plein de verve, d’esprit et de lucidité sur notre époque. Il observe, il pique, il pointe du doigt, et il fait tout ça avec un humour irrésistible. Le film parle autant du déclassement que de la vanité, autant du mépris que de la peur. Ici, tout le monde en prend pour son grade. Entre rire jaune et malaise délicieux, « Classe moyenne » confirme le talent singulier de son auteur. Et maintenant, il ne reste plus qu’à espérer qu’Anthony Cordier ne nous fasse pas attendre encore sept ans avant de revenir.

Note : 16/20

Par Cinéted

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