De : Frédéric Tellier
Avec Benjamin Lavernhe, Emmanuelle Bercot, Michel Vuillermoz, Antoine Laurent
Année : 2023
Pays : France
Genre : Biopic
Résumé :
Né dans une famille aisée, Henri Grouès a été à la fois résistant, député, défenseur des sans-abris, révolutionnaire et iconoclaste. Des bancs de l’Assemblée Nationale aux bidonvilles de la banlieue parisienne, son engagement auprès des plus faibles lui a valu une renommée internationale. La création d’Emmaüs et le raz de marée de son inoubliable appel de l’hiver 54 ont fait de lui une icône. Pourtant, chaque jour, il a douté de son action. Ses fragilités, ses souffrances, sa vie intime à peine crédibles sont restées inconnues du grand public. Révolté par la misère et les injustices, souvent critiqué, parfois trahi, Henri Grouès a eu mille vies et a mené mille combats. Il a marqué l’Histoire sous le nom qu’il s’était choisi : l’Abbé Pierre.
Avis :
Frédéric Tellier est un des cinéastes actuels qui sur lequel on peut compter à chaque fois qu’il sort un film. Après avoir roulé sa bosse pendant une quinzaine d’années dans la publicité, des films d’entreprises, puis des clips, des courts, des téléfilms ou encore de la série, c’est en 2014 qu’il réalise son premier film, et quel premier film, puisqu’il s’agit de « L’affaire Sk1« . Depuis, il a réalisé « Sauver ou périr » et « Goliath« . En gros, sa récente filmographie parle déjà pour lui et aujourd’hui, son « … Abbé Pierre, une vie de combats » vient enrichir sa carrière.
Après s’être intéressé à l’écologie, Frédéric Tellier, qui aime le cinéma et les histoires politiques, a décidé de brosser le portrait d’un homme qu’on connaît tous, l’Abbé Pierre. Enfin, quand je dis qu’on connaît tous, ce n’est pas totalement vrai, car bien souvent, de l’Abbé, on en connaît que les grandes lignes finalement, avec son combat contre la misère, et bien sûr la communauté Emmaüs. Le film de Frédéric Tellier, même s’il ne va pas révolutionner le genre du biopic, va nous raconter bien plus que ça, s’arrêtant sur des pans de la vie de l’Abbé Pierre, ou plutôt d’Henri Grouès, qui furent passionnants à découvrir, un peu comme tout le film d’ailleurs.
« Classique d’un côté, le film de Frédéric Tellier est aussi très émouvant. »
Classique d’un côté, le film de Frédéric Tellier est aussi très émouvant, on ne voit pas le temps passer alors qu’il fait presque deux heures et vingt minutes, et avec ça, cet « … Abbé Pierre, une vie de combats » est tenu par un Benjamin Lavernhe qui, en toute logique, devrait aller chercher son César du meilleur acteur en 2024.
Venant d’une famille bourgeoise de Lyon, Henri Grouès a toujours voulu être prêtre. Pour cela, il a alors tout abandonné et il fait sa profession religieuse chez les Capucins. Mais jugé fragile, il ne restera pas au couvent. Après quelques années, il est alors ordonné prêtre, mais il va peu exercer car la guerre contre les allemands fait rage. Et après la signature de l’armistice par le Maréchal Pétain, Henri Groués s’enrôle dans la résistance et c’est là qu’il va faire la rencontre de sa vie, celle qui va tout changer et petit à petit l’amener bien après la guerre à être l’Abbé que tout le monde connaît.
Le biopic est un genre qui est très codifié, et alors qu’on connaît les règles du biopic par cœur, ça reste un genre qui, lorsqu’il est bien tenu et bien raconté, demeure intéressant, enrichissant et parfois même, il donne naissance à des films passionnants, comme ce sera le cas ici.
« Frédéric Tellier livre un film où presque soixante-dix ans de l’histoire de notre pays sont vues à travers les yeux d’un homme. »
Pour son quatrième long-métrage, Frédéric Tellier a voulu rendre hommage à l’Abbé Pierre et surtout, derrière ça, il a voulu nous raconter un homme dont on connaît assez peu le parcours. Racontant des années 20 jusqu’en 2007, année de la mort de l’Abbé, le cinéaste nous entraîne dans une vie extraordinaire. Une vie qui contient plusieurs vies en une seule. Très riche, développé, s’arrêtant sur des rebondissements de vie intéressants, Frédéric Tellier livre un film où presque soixante-dix ans de l’histoire de notre pays sont vues à travers les yeux d’un homme qui va se battre toute sa vie contre la misère, et au-delà de ça, faire en sorte de toujours faire le bien autour de lui.
Très bien écrit, « L’Abbé Pierre, une vie de combats » est un film qui dresse le portrait d’un homme qui est loin d’être lisse, et c’est ce qui en fait toute la passion et l’intérêt qu’on éprouve. Ici, l’homme pourra être drôle, touchant ou injuste. Ici, l’Abbé sera parfois trop passionné, au point de faire des erreurs. Puis il va être intéressant de découvrir cet homme bien avant les communautés Emmaüs, ou bien après, dans l’intime de sa vie, lorsque celle-ci en était alors au crépuscule.
Avec ça, le film racontera aussi la relation professionnelle et amicale que l’Abbé va entretenir avec Lucie Coutaz, une femme qu’il va rencontrer pendant la guerre, et avec laquelle il va cofonder les communautés Emmaüs. L’histoire a voulu que cette femme reste dans l’ombre et il est vraiment intéressant de découvrir, avec ce film, toute cette partie-là de la vie de l’homme et l’histoire qu’on croyait tous connaître.
« Le film est riche, détaillé, fourni. »
Ce qui est très bon aussi avec ce film, c’est le fait qu’il évoque aussi les doutes de l’Abbé quant à son action. Le film abordera ses excès, ses moments où tout aurait pu aussi s’arrêter. Puis il y a ces moments où toutes les planètes étaient tristement alignées, comme cet appel, un soir d’Hiver 1954. Bref, le film est riche, détaillé, fourni, et s’il ne réinvente pas grand-chose dans le genre, il raconte tellement bien cette histoire qu’il nous cueille dès son ouverture (très étonnante) pour ne jamais nous lâcher, et ça, même quand le film, sur ses derniers instants, peut avoir tendance à s’étirer.
Si le film est formidablement mis en scène, si les reconstitutions de chaque époque, chaque période, sont pointues, si les maquillages sont extraordinaires (César obligé), le film n’est pas exsangue de petits défauts, avec notamment une BO superbe, certes, mais parfois un peu trop envahissante. Ou encore, parfois, on trouve quelques ellipses trop brutes, et parfois même, lors d’un événement, on a du mal à comprendre vraiment ce qui se passe (internement de l’Abbé et ses opérations…).
Heureusement, le film se rattrape toujours, offrant toujours quelque chose d’intéressant et ça, même dans ses dernières minutes, ou s’il s’étire un peu, il se conclut de très belle manière avec un dernier plan qui résume beaucoup de la pensée du film. Ici, tout le monde peut être l’Abbé, comme tout le monde peut un jour perdre pied et tomber dans la misère. Bref, c’est très intelligent et ça raconte tellement de choses.
« Benjamin Lavernhe est tout bonnement impressionnant. »
Enfin, l’autre grande réussite de cet « … Abbé Pierre, une vie de combats« , c’est son acteur principal, Benjamin Lavernhe. On sait Benjamin Lavernhe talentueux, on sait qu’il fait partie de ces comédiens qui sont assurément la relève, et avec ce film, l’acteur trouve un rôle qu’un comédien n’a qu’une seule fois dans une vie, et il est tout bonnement impressionnant. Benjamin impressionne dans chacune des parties de la vie de l’Abbé, que ce soit dans sa jeunesse, ou dans sa vieillesse, que ce soit dans ses moments plus légers, ou dans ses combats, le comédien est l’Abbé à chaque instant et il nous passionne pour la vie de son personnage en permanence. Avec lui, il faut aussi compter sur une impeccable Emmanuelle Bercot, qui est elle aussi habitée par son personnage. Et ensemble, ils sont vraiment touchants.
Ainsi, ce quatrième film pour Frédéric Tellier est une très belle réussite. Certes, comme je le disais, le film demeure classique dans sa forme, mais il est si fort dans ce qu’il raconte et l’on se plaît tant à découvrir un homme qu’on pensait connaître que finalement, le classicisme et les petits défauts évoqués plus haut se posent comme du menu fretin, face à tout ce que le film offre. Profondément humain, sincère et beau, tenu par un acteur incroyable, dressant un état (et un combat) qui demeure tristement d’actualité aujourd’hui, en plein cœur de cette période étrange qu’on traverse, cet « … Abbé Pierre, une vie de combats » est assurément l’un des plus beaux films français sortis cette année, et accessoirement, comme je le disais plus haut, il démontre qu’on peut vraiment compter sur le cinéma de Frédéric Tellier !
Note : 16,5/20
Par Cinéted