
Auteurs : Charlotte Girard, J.M. Omont et Grégory Charlet
Editeur : Oxymore
Genre : Drame
Résumé :
Ernesto est un jeune métis qui vit en Floride avec un père américain et une mère haïtienne. En raison de sa différence, il subit une forme de rejet qui l’incite à s’interroger sur ses origines. Alors, quand son père, Jack, lui propose comme cadeau d’anniversaire un voyage, il rêve d’Haïti mais se voit imposer Cuba dont Fulgencio Batista est le président. Là-bas, Ernesto va faire la connaissance de Paloma, une jeune fille au lourd vécu qui accepte de lui faire découvrir un endroit particulier, la grotte cachée du massif de l’Escambray… Ernesto entame ainsi sans le savoir une quête initiatique et va se confronter à de déroutantes révélations qui risquent de bouleverser sa vie…
Avis :
Le monde du neuvième art est peuplé de nouveautés dans lesquelles il est parfois difficile de faire un choix. Et comme pour toute littérature (j’entends roman, manga, comics, album, etc…), on se fie énormément à la couverture, qui peut donner envie au premier regard. Et si de nombreux lecteurs s’attachent aussi aux auteurs, via des séries qui leur ont plu, on reste souvent du côté de l’esthétique. Et chez les éditions Oxymore, on l’a bien compris. Enchaînant les couvertures toutes plus belles les unes que les autres, on a envie de tout lire, que ce soit en jeunesse (Au Chant des Grenouilles), qu’en ado/adulte, comme ici avec L’Île Crocodile. Promettant un voyage onirique, avec la possibilité de croyances locales inédites, ce premier tome d’un diptyque reste pourtant trop en surface pour pleinement nous convaincre.
Ici, on nous propose de suivre Ernesto, un jeune garçon qui vit en Floride avec son père américain et sa mère haïtienne. Perdu dans ses origines, il rêve d’aller en Haïti pour découvrir le passé de sa mère, mais son père, homme d’affaires qui semble avoir un cœur de pierre, décide de l’amener avec lui à Cuba, car les voyages forment la jeunesse. Une fois sur place, et après avoir écumé les lieux huppés de La Havane, son père le laisse dans une grande maison gérée par une femme de chambre d’une rare gentillesse. Alors qu’il se balade sur la plage, et rêve à visiter les grottes préhistoriques de l’Escambray, Ernesto fait la connaissance de Paloma, une jeune fille téméraire qui va lui faire découvrir l’envie de s’émanciper. Ça, c’est pour la petite histoire, celle personnelle d’Ernesto, mais en filigrane, on va voir qu’il y a aussi la grande histoire.
Quand on commence la lecture, nous ne savons pas en quelle année nous sommes, on le devinera lors de l’arrivée à Cuba, puisque pendant que le père vaque à ses occupations (dont on se doute qu’elles sont hors-la-loi), la femme qui s’occupe d’Ernesto livre des vivres et des armes à sa cousine, qui veut que Fidel Castro prenne le pouvoir. C’est à partir de là que nous savons que nous sommes à la fin des années 50, et que la colère gronde dans le pays. Une colère qui prend la forme d’une tension palpable, avec des contrôles routiers, ainsi qu’une corruption qui règne chez les forces de l’ordre. Sans en faire des caisses, afin de ne pas empiéter sur l’histoire personnelle d’Ernesto, les auteurs dressent un portrait peu flatteur du gouvernement de Batista, ainsi qu’une atmosphère assez délétère, qui met en danger des personnages auxquels on va vite s’attacher.

Si l’on met Ernesto de côté, on va se prendre d’affection pour cette femme qui le prend sous son aile, et lui promet de lui faire visiter les grottes de l’Escambray. Elle prend des risques pour aider les révolutionnaires, et en quelques planches seulement, elle attire notre attention par sa simplicité et sa gentillesse. Dans un monde où Ernesto est soumis à l’inconnu et à un père absent, voire parfois virulent, elle est bouffée d’oxygène pour lui. Tout comme Paloma, cette jeune fille de son âge, qui va lui permettre de découvrir des lieux inédits et d’éviter l’ennui. Et cela, même si l’on se doute à la fin de ce premier tome qu’elle va l’amener droit vers les problèmes. Néanmoins, tout n’est pas excellent non plus dans cet album, et cela concerne surtout la tonalité, et un mélange des genres qui ne prend pas forcément.
En effet, le début de l’album nous promet quelque chose d’assez ésotérique, avec un choix d’animal totem, des rêves qui prennent beaucoup de place, et toute une symbolique autour de la tortue et des souvenirs. Malheureusement, le scénario oublie rapidement cela, et même si des pointes poétiques viennent parsemer l’histoire dans sa globalité, on reste plus sur des notes d’intention que sur des choses qui apportent vraiment à l’histoire. De plus, cette mélancolie qui pèse sur Ernesto (et aussi sa mère) rend l’ensemble très triste, presque à l’opposé des dessins de Grégory Charlet (Le Maître de Jeu), qui sont chaleureux. Enfin, là aussi, c’est soumis à l’ambivalence, car si les plans larges sont somptueux, avec notamment une double page sur la ville de La Havane, d’autres relèvent un peu de la fainéantise, surtout les gros plans avec un fond d’une seule couleur.
Au final, L’Île Crocodile est une BD qui fait de belles promesses, et qui s’avère très plaisante à lire. Le fait de mêler l’histoire personnelle d’Ernesto à celle de Cuba alors en pleine préparation de la révolution était un choix risqué, car on aurait pu avoir un déséquilibre avec l’une des histoires qui prend le pas sur l’autre, mais ce n’est pas le cas ici. Les scénaristes trouvent un bel équilibre qui permet de donner du fond aux deux thématiques. Il est juste dommage que ce premier tome ne fasse quasiment que de l’exposition et n’appuie pas plus son aspect fantastique/ésotérique pour donner une autre dimension à cette quête d’identité. Mais en l’état, c’est beau, c’est doux, et cela attise la curiosité pour le prochain et dernier tome, ce qui est déjà pas si mal que ça.
Note : 14/20
Par AqME