Auteurs : Lorenzo Palloni et Alessandra Marsili
Editeur : Ankama
Genre : Aventure
Résumé :
La disparition soudaine du vieil Arthur Stiegmann va bouleverser la vie de ses quatre héritiers : Cecil Shermann, cocher sans-le-sou et père de famille indolent ; Magdalena Shermann, irascible noble déchue ; Carl Christ Shermann, armurier à la soif insatiable d’aventures ; et enfin, Wilmina Stiegmann, la seule à vivre à Tourneboussole et à avoir été élevée par cet homme acariâtre et cruel. Réunis pour la première fois par le testament d’Arthur, les quatre cousins vont rapidement découvrir ses effroyables secrets…
Avis :
Grâce aux éditions Ankama, nous avons en France un catalogue de bandes-dessinées qui s’ouvre de plus en plus à l’étrange. Car si on estime que le neuvième art provient surtout de Belgique et de France, on a tendance à oublier que chez nos voisins transalpins, il y a aussi un sacré vivier de talents. On peut bien évidemment citer Saverio Tenuta (La Légende des Nuées Ecarlates), Nora Moretti (Princesse Sara) ou encore Carita Lupatelli (Izunas), mais il en existe bien d’autres. A l’image de ce duo, Lorenzo Palloni à l’écriture et Alessandra Marsili au dessin. Avec Effroyable Shermann, ils signent un récit d’aventures bourré d’humour et de situations ubuesques, qui s’inspire autant de Pirates des Caraïbes que de L’Ile au Trésor de Stevenson ou encore des Goonies. One shot assez dense découpé en six chapitres, on peut dire que cette histoire au rythme relevé est aussi réussie que drôle.
L’histoire débute avec un homme qui semble fuir quelque chose et qui va trouver la mort dans l’explosion d’un phare. Rapidement, on apprend que ce serait l’ancien pirate Arthur Shermann qui aurait trouvé la mort, et sa fille légitime peut recevoir un bel héritage. Sa fille, mais aussi ses trois cousins, qui ignorent complètement son existence. Les quatre personnages, qui ont tous besoin d’argent pour des raisons diverses et variées, vont alors faire équipe pour retrouver le fameux trésor de Shermann. Enfin, faire équipe est un bien grand mot, surtout lorsque certains souhaitent avoir plus que les autres. Comme tout bon récit de pirate, on retrouve alors des alliances, des trahisons, une enquête pour résoudre un mystère et un rebondissement final qui va surprendre tout le monde. Ainsi donc, le pitch promet de belles choses, et concrètement, c’est ce que l’on va avoir.
Chaque personnage sera relativement bien travaillé. On retrouve la fille du pirate, Wilmina, qui ne veut pas entendre parler de son père, car elle a vécu une enfance compliquée avec lui. Néanmoins, avoir cet argent serait une belle revanche sur la vie. Ensuite, parmi les trois cousins, on aura trois personnalités bien différentes. Magdalena, une opulente femme, a besoin de cet argent pour maintenir son niveau de vie avec ses esclaves. Cecil, un coche timide, veut cet argent pour assurer la survie de sa famille, qui vit dans la pauvreté. Quant à Carl, aventurier dans l’âme, il souhaite trouver ce trésor par défi et pour le goût de l’aventure. Ce quatuor de choc va alors s’utiliser l’un l’autre pour découvrir ce mystère et mettre le doigt sur un héritage familial un peu tordu.
Si au départ, les personnages s’apprivoisent et essayent d’apprendre à se connaître, on va vite se rendre compte que chacun va vouloir une plus grosse part du gâteau. De ce fait, Magdalena n’hésitera pas à trahir son propre cousin, enfermé dans un cachot et promis à la potence. Cecil va souhaiter se venger de cet abandon en faisant des recherches de son côté avec le notaire qui gère l’héritage. Bref, on reste dans un récit riche, avec de nombreux rebondissements, et une volonté de perpétuellement nous surprendre. Mais le personnage le plus touchant, au final, c’est Wilmina, cette mère de famille qui subit depuis sa plus tendre enfance le patriarcat et qui va se rebeller pour obtenir son indépendance. Une indépendance par rapport à son héritage de pirate, par rapport à son père, mais aussi par rapport à son mari qui n’hésite pas à la battre.
Derrière ses atours de récit d’aventures et d’humour, la BD possède de jolis messages intéressants, voire nécessaires. On y parle alors de la condition de la femme et de la toxicité masculine. Ici, Wilmina subit les brimades de son père à travers des flashbacks courts et efficaces, mais elle subit aussi un mari tyrannique. Quant à Magdalena, malgré son fort caractère et sa colère légendaire, elle reste tributaire d’esclaves masculins, et ne peut rien faire sans eux. On retrouve aussi un bon message sur le destin. Doit-on forcément faire ce que les autres veulent que l’on fasse. Ici, Wilmina va dépasser sa condition de femme à tout faire, tout comme Magdalena, alors que Cecil va prendre confiance en lui et Carl assumait son homosexualité. Effroyable Shermann va clairement au-delà du simple récit d’aventures, et c’est ce qui lui donne une véritable plus-value.
Une plus-value qui trouve aussi son intérêt dans les dessins d’Alessandra Marsili. Si au départ, on peut trouver cela assez naïf, finalement, les dessins s’intègrent parfaitement au ton voulu. On retrouvera des moments de bravoure, mais surtout des passages très drôles, avec moult explosions et situations marrantes. On pense bien évidemment à Magdalena qui ne peut rentrer dans les maisons du fait de son embonpoint, ou encore les personnages qui s’envolent à cause d’explosions dans des positions ridicules. Le plus surprenant dans tout ça, c’est que la fin est très violente, et ne fait pas dans la dentelle, avec une planche notamment qui n’hésite pas à faire parler poudre et sang. Mais la dessinatrice trouve un parfait équilibre et l’ensemble est à la fois cohérent, et bien fichu.
Au final, Effroyable Shermann est une bande-dessinée fort recommandable et qui est très plaisante à lire et découvrir. Les références sont suffisamment digérées pour ne pas prendre le pas sur l’originalité de l’ensemble, et surtout, l’auteur a l’intelligence d’inclure un fond très moderne sur la condition de la femme. Il en résulte alors une œuvre enlevée, dynamique, drôle, mais aussi profonde où tous les personnages ont des raisons d’exister. Bref, il serait dommage de passer à côté de cette histoire de pirates qui reste dans les codes du genre, tout en proposant de belles nouveautés.
Note : 16/20
Par AqME