avril 20, 2024
BD

La Nef des Fous

Auteur : Turf

Editeur : Delcourt

Genre : Fantastique

Résumé :

Bienvenue au royaume d’Eauxfolles ! Découvrez son roi Clément XVII et ses colères homériques, ses coloquintes géantes, son fou amoureux des oiseaux et les cauchemars de son Grand Coordinateur. Un monde farfelu à souhait, bardé de rayures et de pois rouges…

Avis :

A la base, La Nef des Fous est un tableau de Jerôme Bosch, qui était un peu le spécialiste des œuvres bizarres et complètement hypnotiques. D’ailleurs, le tableau qui tient ce nom est assez dérangeant, mettant en scène des gens qui ripaillent sur un bateau, avec autour d’eux des personnages étranges sortant de l’eau, d’autres montant aux arbres, bref, un tableau dérangeant qui marque la rétine. Mais là n’est pas notre sujet, si ce n’est que de folie il est question. Né à Marseille, fondu de BD dès l’âge de 12 ans, Turf s’en va à Angoulême pour parfaire son art et obtenir un diplôme. Après moult péripéties, il commence La Nef des Fous, une série complètement barrée qui met en scène des roys et des reines, des princesses, des policiers un peu trop zélés et des robots. Un mélange étrange, très éclectique et qui peut faire peur tant on voit mal comment cette tambouille peut prendre un réel sens. Et pourtant…

On ne va pas passer par quatre chemins, La Nef des Fous est l’une des séries les plus réussies du neuvième art. Turf, qui est l’auteur complet de cette œuvre, est tout simplement un génie, car que ce soit dans son histoire, son déroulement, son humour ou encore son dessin, c’est une réussite totale et chaque tome est un petit plaisir de lecture. Il est vrai que l’on ne comprend pas tout ce qui se passe dès le départ. Les enjeux sont flous, il semble y avoir différents mondes ainsi que plusieurs sous-intrigues. Mais tout cela tient et intéresse le lecteur grâce à un savant mélange de fantastique (on a des monstres, des éléments un peu steampunk, etc…) et de conte, avec ce qu’il faut de roi gentil mais un peu fainéant, de reine volatile et de princesse capricieuse. Les complots vont bon train et on se surprend à apprécier certains personnages comme Clément XVII qui est foncièrement bon, le Prince Putatif qui est à hurler de rire ou encore les deux policiers dont les dialogues sont tout bonne hilarants.

D’ailleurs, l’humour est omniprésent dans cette aventure qui offre parfois des situations complètement loufoques ou des « punchlines » absolument divines. Si Turf joue avec les expressions de la langue française, les détournant avec des mots plus « anciens », c’est aussi dans les doubles sens de certaines phrases que l’on va retrouver des moments savoureux. Au-delà des simples palabres, on aura aussi droit à des situations complètement incongrues mais très drôles. On pense notamment au pétage de plombs d’Ambroise lorsqu’il tue plusieurs fois, de manière différente, le Prince Putatif, montrant alors son montée vers la folie. Il y a dans cette bande-dessinée un humour qui rappelle bien évidemment les Monty Python et c’est vraiment excellent. Mais l’humour n’est pas là comme simple moment d’amusement, il amène aussi des situations très référentielles, comme les Schtroumpfs sauvages et cannibales, ou des sortes de singes qui évoquent Le Grand Pouvoir du Chninkel. Des références parfaitement digérées et qui, elles aussi, amènent sur la fin à une réflexion sur l’être humain, son évolution, et surtout son histoire.

Il y a aussi un réel dynamisme au sein des dessins. Si l’humour passe par les dialogues, il y a aussi beaucoup de choses à regarder dans les dessins de Turf. On trouvera de vraies idées de mise en scène pour rendre le tout ultra vivant et presque proche du cinéma. A titre d’exemple, on peut citer le moment où Ambroise décide de tuer pour la énième fois le Prince Putatif mais où tout est vu à travers le reflet d’un grille-pain. Et des idées comme ça, il y en a à la pelle et c’est tout bonnement excellent. On remarquera que le dessin se complexifie au fur et à mesure des tomes et qu’il devient aussi étonnement plus clair, prenant plus d’espace et étant plus aéré. Turf est aussi un artiste à part, car il se permet de faire du collage sur certaines planches, ou même de faire des posters et autres affiches, voire même des unes de magazines people, et cela ne casse pas le rythme, au contraire, cela offre une implication plus grande au sein de l’univers créé.

Enfin, difficile de ne pas voir les différents messages au sein de La Nef des Fous. Outre le côté politique relativement pertinent bien que caricatural, on aura aussi des interpellations sur l’humain face à la machine, de l’évolution, de l’amour et des dictats des royautés qui veulent que leur fils ou fille se marient avec d’autres enfants de rois. On pourra même voir quelques critiques sur la pollution ou bien sur les éditeurs, vus comme des cagoulards qui complotent secrètement dans l’ombre. Bref, malgré sa folie apparente, La Nef des Fous raconte beaucoup de choses intéressantes et de façon intelligente.

Au final, La Nef des Fous est une série tout simplement géniale et qui est un vrai classique de la bande-dessinée. C’est non seulement très beau et drôle, mais c’est aussi très intelligent dans sa démarche et dans sa finesse. Turf a fait un travail de dingue qui lui a pris plus de 17 ans de sa vie, mais c’est un vrai monument, comme le prouve aussi le hors-série Le Petit Roy, absolument génial. Reste à savoir ce que va nous réserver le deuxième cycle, un triptyque sur fond d’enlèvement et de magie, dont le premier tome s’avère plaisant mais un poil en dessous des autres. Allez, on garde espoir pour la suite qui, de toute façon, ne nuira pas à la qualité incroyable de cette série.

Note : 20/20

Par AqME

AqME

Amateur d'horreur, Métalleux dans l'âme, je succombe facilement à des images de chatons.

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