Auteur : Laurent Genefort
Editeur : Albin Michel
Genre : Steampunk
Résumé :
En débarquant à la capitale en quête d’un emploi d’institutrice, Renée est loin de se douter qu’elle va tomber sur un Martien blessé. Mais ce Paris-là n’est pas le nôtre. Grâce à la découverte de la cavorite, un métal miraculeux, les voitures volent, des paquebots transcontinentaux appontent aux quatre tours Eiffel parisiennes, et Mars est une destination comme une autre. Quand Marie Curie découvre que la cavorite a une durée de vie limitée, elle ignore à quel point le monde va en être bouleversé. Deux ans après le « vendredi noir » de 1923, les empires occidentaux bataillent pour récupérer les dernières miettes de la si précieuse manne. Contre vents et marées, Renée soigne son protégé et décide de le ramener sur sa planète natale. Comme elle, Marthe, une intrépide journaliste, et Georges, un jeune artiste pris dans un mouvement politique qui le dépasse, seront les témoins, mais aussi des acteurs de premier plan, de cette époque-charnière pleine de bruit et de fureur.
Avis :
Si la littérature de l’imaginaire présente un potentiel inépuisable de mondes passés et en devenir, elle n’en répond pas moins à des codes et des fondamentaux à même de dépeindre les genres. En cela, la science-fiction est peut-être l’exercice le plus représentatif de cette propension à s’inspirer de la réalité, d’une période précise, pour en extrapoler les conséquences à plus ou moins long terme. L’uchronie, l’une de ses nombreuses déclinaisons, s’offre quelques manipulations et détours historiques. Ce qui permet de constater de ce qu’il advient lorsque Napoléon meurt au cours de la bataille d’Austerlitz, si la France avait perdu la Première Guerre mondiale ou, a contrario, si Hitler avait écrasé les Alliés en 1945.
À la croisée du steampunk et de l’uchronie, Laurent Genefort se propose de revisiter les années folles avec Les Temps ultramodernes. Le point de divergence historique n’est autre que la découverte d’un métal antigravité : la cavorite. Celle-ci est un vibrant hommage à H.G. Wells qui l’évoque déjà au début du XXe siècle avec Les Premiers hommes dans la Lune. Soutenue par une ambiance rétrofuturiste des plus singulière, l’intrigue déploie un contexte particulièrement dense. Ce dernier se penche autant sur les avancées technologiques que sur l’aspect socio-économique de la France. Dès les premières pages, on constate un véritable travail de fond pour repenser tous les fondamentaux de la société telle qu’on la connaît.
On découvre ainsi l’histoire sous différents angles. Le changement de points de vue entre les protagonistes ne se montre pas déséquilibré ou disparate, comme pour d’autres romans. Leur introduction permet d’aborder cette France alternative avec une approche spécifique. On songe à cette journaliste en quête d’un bon sujet, cette institutrice à la recherche d’un emploi, ce commissaire à l’aune de sa retraite ou ce médecin féru d’eugénisme. À leur manière, ils sont le reflet de leur époque, d’une société en perte d’espoirs, sinon de repères. Il est évident de faire de nombreux parallèles ; qu’ils soient historiques ou contemporains.
Cela vaut pour la montée du national-socialisme et, plus généralement, des extrémismes en Europe, sans oublier un système éducatif mésestimé ou une économie déclinante. Ce dernier aspect est sans doute le plus vivace, car il sous-tend les plus grandes implications et conséquences. Malgré le bond technologique qu’elle a permis, la cavorite n’est pas la panacée que les scientifiques ont avancée. Cela tient notamment à une durée de vie (très) limitée. Dès lors, il est facile de penser à la raréfaction des ressources naturelles, à l’usage irréfléchi des énergies fossiles ou encore au Krach boursier de 1929 qui pointe à l’horizon, tant le contexte se veut incertain.
À cela s’ajoute également une critique vivace sur la politique colonialiste de l’époque. En l’occurrence, le parallèle se fait sous le prisme de l’occupation de Mars. L’occasion est alors donnée de se lancer dans des voyages spatiaux de longue haleine, rappelant ceux réalisés par voies maritimes. D’ailleurs, l’emploi de navires à l’architecture similaire des paquebots n’est guère anodin. À l’égard des martiens, on retrouve ce dédain occidental, cette pseudo-supériorité censée justifier le comportement de la « bonne société » où la condescendance des uns remise les autres au rang de bête de somme. On notera que chaque pan de l’histoire trouve une signification et un lien à travers les différents prismes de la narration.
Au final, Les Temps ultramodernes est un roman uchronique soigné qui se réapproprie les années folles (sans doute au sens littéral) de fort belle manière. Au travers d’une multiplicité d’intrigues, Laurent Genefort tisse le portrait d’une France contradictoire qui aime se bercer d’illusions. Colonialisme, politique, économie… De nombreux problèmes de société sont ici évoqués sous l’angle de la distraction afin de les mettre en exergue. Les parallèles et les allusions sont évidents, mais jamais prédominants pour ne pas supplanter l’histoire elle-même. Pour ne rien gâcher, les personnages sont bien campés, l’ambiance rétrofuturiste est au rendez-vous, sans oublier cette touche d’excentricité qui caractérise l’uchronie, comme le steampunk.
N.B. Pour approfondir l’univers des Temps ultramodernes, l’auteur et l’éditeur proposent L’Abrégé de cavorologie. Un document disponible en téléchargement gratuit, bien fichu qui s’avance comme un « véritable » traité scientifique sur la cavorite et ses implications pour la société moderne.
Note : 16/20
Par Dante