octobre 10, 2024
BD

Silas Corey

Auteurs : Fabien Nury et Pierre Alary

Editeur : Glénat

Genre : Espionnage

Résumé :

Détective. Espion. Tueur. Héros ou escroc, ça dépend de l’employeur… Avril 1917. La guerre fait rage dans toute la France. À Paris, l’opposition menée par Georges Clémenceau tente de faire tomber le gouvernement Caillaux… Silas Corey, ancien reporter, agent du 2e Bureau, détective et aventurier à plein temps, est engagé par Clémenceau pour retrouver un reporter disparu. Ce dernier aurait recueilli des preuves de la trahison du chef du gouvernement. Corey, non content d’accepter la mission, vend aussitôt ses services au 2e Bureau et à Mme Zarkoff, industrielle de l’armement compromise dans l’affaire. Fort de ses trois salaires, Corey se lance sur la piste du reporter, et ne tarde pas à croiser le chemin du redoutable espion Aquila, qui dirige les opérations du Kaiser en France… L’issue de la guerre pourrait bien dépendre du résultat de son enquête. Mais au fait, quelqu’un sait-il pour qui Silas Corey travaille vraiment ?

Avis :

À bien des égards, la Première Guerre mondiale aura marqué les esprits et l’histoire du XXe siècle. Au terme de la Belle Époque, elle a dessiné les contours du paysage géopolitique des décennies à venir. Celle qu’on espérait comme la Der des Ders a amorcé d’autres conflits ; que ceux-ci présentent un caractère social, économique, politique ou militaire. Dans l’univers de la bande dessinée, on peut évoquer de nombreux récits, comme Notre Mère la guerre, Le Sang des Valentines ou C’Était la guerre des tranchées. Avec Silas Corey, on s’immisce dans le même contexte, mais le traitement n’est pas celui escompté.

Malgré le passif militaire du protagoniste, le présent ouvrage ne s’engage pas dans un brûlot sur les horreurs du premier conflit mondial. Il s’agit plutôt de se confronter à de sombres affaires criminelles qui tendent vers le complot et l’espionnage. Composé de deux cycles, le récit s’ancre dans un cadre civil où la ligne de front est bien éloignée, du moins d’un point de vue géographique. Les affres des champs de bataille résonnent encore dans l’esprit de Silas, personnage atypique et inclassable. Serait-ce dû à ses traumas passés ou son tempérament, il s’avance comme un antihéros qui vient contredire les premiers a priori du lecteur.

En effet, sa rencontre amène à penser à une forte tête, voire un individu asocial. On pourrait y voir une sorte de syncrétisme entre Vidocq, Sherlock Holmes et, dans une moindre mesure, Arsène Lupin. Si l’on retient l’ambivalence, comme trait de caractère commun, Silas Corey s’en éloigne assez rapidement pour développer une personnalité à part entière. Au fil des intrigues, il gagne en complexité et en nuances. On peut également avancer son absence d’éthique et son opportunisme qui confèrent presque à la vénalité. En tant que détective privé, ses méthodes d’investigations détonnent, entre manipulations, exercices cérébraux et confrontations physiques.

On a donc droit à un protagoniste de premier plan marquant, dont les valeurs restent floues et les motivations tout aussi fluctuantes. En l’espace de 4 tomes, on distingue deux enquêtes maîtrisées. Le rythme est équilibré, alternant des échanges et des dialogues recherchés avec des séquences d’action percutantes. Toutefois, ces dernières avancent souvent un cadrage rapproché qui rend la scène d’ensemble peu lisible. Ce choix est néanmoins assumé, car récurrent. Face à l’imminence de ces passages, il pourrait signifier une perte de repères des intervenants, sans oublier de considérer la vitesse des faits et des gestes.

Entre Le Réseau Aquila et Le Testament Zarkoff, on distingue aussi une variation de tonalité. Leurs qualités demeurent équivalentes, notamment en matière de caractérisation et de narration. Ce changement se remarque dans le contexte et les récits. Le premier cycle s’oriente vers le passé, l’espionnage et les conséquences de la guerre sur les individus ; qu’ils soient militaires ou non. Le second cycle, lui, se tourne vers l’avenir et des perspectives peu engageantes, eu égard à la montée des extrémismes. On y évoque la société de Thulé et le climat délétère qui précède la création du NSDAP. Cela sans oublier les symboles détournés du nazisme. La dimension politique est donc très explicite.

Au final, Silas Corey s’avance comme une étonnante incursion au cœur de la Première Guerre mondiale. S’il ne s’agit pas d’un récit historique sur le conflit lui-même, le contexte fait écho à ces enquêtes qui relèvent autant de l’espionnage que du complotisme, sans compter sur les motivations criminelles des antagonistes. Avec un personnage singulier et difficile à cerner, cette série en deux grands cycles se démarque aussi par la qualité de ses intrigues, sa capacité à les ancrer dans un cadre réaliste, eu égard aux évènements périphériques qui se déroulent dans les coulisses du pouvoir. Bien que fictive, cette évocation n’en reste pas moins probante dans son discours et entraînante dans sa progression. 

Note : 16/20

Par Dante

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