
Auteur : Paul Tremblay
Editeur : Gallmeister
Genre : Fantastique, Thriller
Résumé :
Wen, sept ans, et ses parents, Eric et Andrew, passent leurs vacances dans une cabane isolée sur un lac tranquille du New Hampshire. Aucun voisin à des kilomètres. Un après-midi, alors que Wen attrape des sauterelles dans le jardin, un étranger apparaît dans l’allée. Léonard est l’homme le plus imposant qu’elle a jamais vu, mais il est jeune, amical, et elle le trouve immédiatement sympathique. Ils discutent et jouent jusqu’à ce que ce dernier s’excuse brusquement et dise : “Rien de ce qui va se passer n’est ta faute”. Trois inconnus armés surgissent alors. Tandis que Wen se précipite dans la cabane pour prévenir ses parents, Léonard l’interpelle : “Tes pères ne voudront pas nous laisser entrer, Wen. Mais il le faut. Dis-leur qu’ils le doivent. Nous ne sommes pas venus pour vous faire du mal. Nous avons besoin de votre aide pour sauver le monde. S’il te plaît.”
Avis :
En l’espace d’une dizaine d’années, Paul Tremblay s’est imposé comme l’une des nouvelles figures de proue de la littérature horrifique américaine. Bien moins prolifique que certains de ses confrères, l’auteur originaire du Colorado fait pourtant preuve de constance dans le rythme de ses publications, à tout le moins aux États-Unis. En France, seul Possession a précédé la sortie de La Cabane aux confins du monde. Fort de son succès outre-Atlantique, le présent ouvrage a fait l’objet d’une adaptation cinématographique, sous la direction de M. Night Shyamalan. D’ailleurs, la sortie du roman en France coïncide avec celle du métrage aux États-Unis, à un jour d’intervalle.
Avec ce livre, on s’immerge dans une nature préservée qui, loin d’être sauvage, possède des atours du jardin d’Eden. Preuve en est avec la séquence d’ouverture. Au regard de la tonalité et du sujet principal, l’allusion biblique n’est guère anodine. Cela étant dit, l’exposition du cadre tient davantage à une mise en condition, à présenter le niveau d’isolement des lieux afin de mieux signifier la menace des intrus en devenir. Dans ce contexte, le traitement n’est pas sans rappeler l’exercice du Home Invasion, l’environnement urbain cédant la place aux contrées paisibles du New Hampshire. On ne joue donc pas sur l’aspect survivaliste ou une exploration somme toute inquiétante de la forêt ou des abords du lac.
Pour autant, La Cabane aux confins du monde distille une atmosphère oppressante, et ce, à différentes strates de la narration. Les étrangers surgissent du néant et les intentions restent nébuleuses. Malgré leurs propos et leurs certitudes, leurs motivations demeurent obscures. L’auteur entretient le doute, dissémine de nombreux détails susceptibles d’expliquer leurs actes, leurs comportements. Il est aisé d’avancer une théorie dans un sens, comme dans l’autre. À l’image des protagonistes, on peut se ranger du côté du pragmatisme et du rationnel ou s’orienter progressivement vers des croyances religieuses. Pour le lectorat, les deux points de vue fonctionnent et n’entraînent aucune incohérence.
Au fil des pages, l’histoire multiplie les confrontations, principalement verbales. Les intrus souhaitent convaincre leurs interlocuteurs, malgré la tournure dramatique des évènements. Les dialogues sont fouillés et recèlent de nombreux arguments que l’on peut interpréter à notre convenance. Souvent psychologique, parfois physique, la violence est également un aspect non négligeable pour mettre à mal les certitudes des uns et des autres. On a beau rester dans un espace restreint, à apprécier une situation qui se dégrade inexorablement, la tension demeure palpable, s’appuyant sur des éléments perturbateurs anodins. Ces derniers sont néanmoins crédibles et bien intégrés à l’intrigue.
Il convient aussi d’évoquer la question de la religion, point de mire de cette rencontre improbable, mais pas forcément fortuite. Jusqu’alors, la dimension horrifique tenait à la nature humaine, à ce que notre espèce est capable de commettre. Puis l’explication des antagonistes tend à nuancer le caractère brutal de leurs choix par un mobile altruiste. L’approche peut paraître paradoxale, mais elle apporte une connotation mystique, voire messianique. Sans sombrer dans un sermon sentencieux, elle interpelle et inquiète par l’enchaînement des évènements. Cela sans compter sur les circonstances qui les ont réunis. On peut rester perplexe sur la réalité qu’ils tentent d’imposer, mais surtout sur le sacrifice qu’exige une divinité à son engeance.
Au final, La Cabane aux confins du monde est un thriller horrifique percutant et sans concession dans son discours. Écrit d’une main de maître, le roman de Paul Tremblay interpelle sur la notion de croyance à travers la religion et la crédulité des fidèles. Pour le lecteur, comme pour les personnages, les principes de manipulation et de résilience jouent un rôle non négligeable dans la progression de son intrigue. Entre le huis clos et le récit pré-apocalyptique, l’ouvrage dispose d’une ambiance pesante, voire nihiliste à de nombreux égards.
D’une situation simple et inextricable, l’auteur américain signe une histoire âpre qui malmène nos certitudes, nos sens quant à la finitude d’une existence ou d’une multitude. Il en ressort une vision intimiste et néanmoins universelle sur le devenir de l’humanité, laissant l’ultime interprétation à l’appréciation du lecteur, sans pour autant créer un sentiment de frustration. Une œuvre forte et exceptionnelle qui force le respect par la qualité de son écriture et la justesse de sa caractérisation, de son propos.
Note : 18/20
Par Dante