Titre Original : Dead End
De : William Wyler
Avec Humphrey Bogart, Silvia Sidney, Joel McCrea, Claire Trevor
Année : 1937
Pays : Etats-Unis
Genre : Policier, Drame
Résumé :
Baby Face Martin, un gangster désabusé, revient sur les lieux de sa jeunesse, sur East Side street. Malheureusement pour lui, ce retour ne sera qu’une déception car sa mère le considère comme un meurtrier et son amour d’enfance a sombré dans la prostitution…
Avis :
Lorsqu’on évoque de grands noms du cinéma hollywoodien, il est aisé d’effectuer des raccourcis vers leurs œuvres les plus emblématiques. En l’occurrence, on associe volontiers la carrière de William Wyler à Ben-Hur ou Vacances romaines. Quant à Humphrey Bogart, véritable archétype du film noir, il est difficile de ne pas songer à Casablanca ou au Faucon maltais. Auparavant, les deux hommes ont collaboré sur un projet d’adaptation d’un succès du théâtre. À l’époque, la pièce de Sidney Kingsley, Dead End, s’est avancée comme une critique sociale acerbe sur les conditions de vie déplorables des populations les plus modestes de New York et, plus globalement, des grandes villes américaines.
Avant même d’amorcer son récit, Rue sans issue présente un constat amer sur les écarts de richesses entre les nantis et les pauvres, au sein de la Grosse Pomme. On songe, entre autres, au mal-logement et aux perspectives d’emploi. Tout comme pour l’œuvre originale, les conséquences du krach de 1929 sont encore vivaces. Pourtant, il ne s’agit pas de fustiger le système économique ou la politique gouvernementale. L’histoire vise davantage à sensibiliser le public sur la prolifération des taudis et des bidonvilles de New York, tandis que les immeubles luxueux pullulent et jouxtent l’indigence ambiante. Le contraste est flagrant et demeure présent tout au long du métrage.
« La présence et le charisme d’Humphrey Bogart suffisent à renforcer le discours du métrage. »
Ici, l’élévation sociale ne présente pas qu’un caractère symbolique. Le réalisateur la matérialise à travers une position haute (supérieure ?) des classes aisées, eu égard à leurs appartements privés, leur quotidien sur une terrasse perchée au-dessus des berges de l’Hudson ou les festivités qu’ils organisent. Quant à la base de la population, elle reste cantonnée dans une impasse, au sens propre, comme au figuré. En cela, le traitement est pessimiste, du moins dans l’exposition des faits. L’admiration ne se tourne pas vers les riches, où le dédain est réciproque. Elle s’oriente vers l’argent facile, les grands criminels qui ont « réussi » à se forger une réputation.
En cela, la présence et le charisme d’Humphrey Bogart suffisent à renforcer le discours du métrage. L’interprétation toute en retenue apporte une résonnance particulière à ses propos, à ses choix de vie, a fortiori quand on considère la relation avec d’anciennes connaissances. En parallèle, les séquences avec les Dead End Kids s’avèrent moins percutantes. Certes, ils occupent une place prépondérante dans l’intrigue, mais leurs modiques méfaits et leurs discussions restent en deçà de dialogues plus existentialistes des intervenants adultes. Ils se révèlent alors le reflet d’une enfance perdue qui, peut-être, sont condamnés à réitérer les mêmes erreurs que leurs aînés.
« On peut regretter que le tournage se cantonne à des décors de studios. »
Toute la force de l’histoire tient à sa progression lancinante où les interactions prennent de plus en plus d’ampleur. Ces destins croisés se confrontent de manière morale et physique, rendant le ton plus nuancé qu’un manichéisme de circonstances. Face à une intrigue qui se focalise sur un lieu et une unité temporelle uniques, il en émane une tension évidente pour exacerber les divergences de vie et de points de vue. On peut néanmoins regretter que le tournage se cantonne à des décors de studios, là où le réalisateur lui-même aurait souhaité produire son film dans les rues de New York. Pour autant, cela ne rend pas la mise en scène artificielle. Elle renoue plutôt avec son héritage théâtral.
Au final, Rue sans issue s’avance comme une œuvre engagée pour dénoncer les écarts de richesses et les inégalités sociales au sein de la société occidentale. Cela sans oublier les conséquences de la gentrification sur les populations les plus modestes. À la lisière du film noir pour sa résonnance criminelle et fataliste, ce drame demeure pertinent dans ses propos, et ce, malgré sa brièveté. Afin d’apprécier pleinement le métrage de William Wyler, il convient de passer outre l’exposition laborieuse du quotidien des Dead End Kids. On y distingue alors une histoire aux multiples subtilités qui malmènent les a priori du spectateur et les perspectives restreintes, sinon biaisées, des personnages. Une production à la portée plus ample qu’aux premiers abords.
Note : 14/20
Par Dante