mai 6, 2024

Les Poupées du Diable – Browning en Avance sur son Temps

Titre Original : The Devil-Doll

De : Tod Browning

Avec Lionel Barrymore, Maureen O’Sullivan, Frank Lawton, Rafaela Ottiano

Année : 1936

Pays : Etats-Unis

Genre : Horreur

Résumé :

Victime d’un complot ourdi par ses associés, le banquier Paul Lavond est envoyé au bagne. En prison, il fait la connaissance d’un chimiste génial qui a découvert un procédé permettant de rapetisser les animaux. Les deux hommes parviennent à s’enfuir. Maintenant libre, Lavond entreprend de se venger en appliquant l’invention du chimiste à ses anciens associés, qu’il souhaite réduire à l’état de Lilliputiens.

Avis :

L’industrie du cinéma, dans les années 20 et 30, a connu son lot de réalisateurs cultes, et celui qui a le plus marqué les amateurs d’horreur et de terreur, c’est Tod Browning. Si sa filmographie reste très éclectique, elle reste marquée par des longs-métrages intemporels, à l’image de Dracula avec Bela Lugosi ou encore Freaks, la Monstrueuse Parade, deux monuments du genre. En 1936, Tod Browning est au crépuscule de sa carrière. En effet, malgré un âge correct (56 ans à l’époque), Les Poupées du Diable, qui nous préoccupe entre ces lignes, est son avant-dernier film. La raison est bien simple. En 1925, le réalisateur se lie d’amitié avec le producteur Irving Thalberg, mais ce dernier décède un an après la sortie du film, et Browning se retrouvant seul, il décide de ne faire plus qu’un film, Miracles for Sale, et de se retirer du septième art.

Les Poupées du Diable est un film qui n’est pas forcément à part dans la filmographie du metteur en scène. Il intervient juste après La Marque du Vampire, qui était déjà un film d’horreur, dans lequel Bela Lugosi jouait encore un vampire imposant ses volontés à de pauvres donzelles. Sauf qu’ici, point de suceur de sang, mais un savant fou qui va trouver une méthode pour rétrécir les êtres vivants, et leur imposer des choses par la pensée. A sa mort, la technique est reprise par un ancien banquier qui vient de s’échapper de prison et qui souhaite se venger de ses associés qui lui ont tendu un piège. L’innocent va alors utiliser ces « poupées » pour assouvir ses pulsions, mais aussi pour regagner le cœur de sa fille et s’innocenter sur la place publique. En gros, on fait face à un thriller horrifique plus qu’un pur film d’horreur.

« Il nous plonge dans une résurgence de Frankenstein. »

D’ailleurs, le début est assez malin, car il nous plonge dans une résurgence de Frankenstein. Les références sont multiples, mais on verra un savant un peu fou qui veut rétrécir les êtres vivants pour lutter contre la faim dans le monde, devenant ainsi une sorte de demiurge, mais son expérience lui échappe, comme pour Victor Frankenstein. On notera aussi que sa femme, qui est aussi son assistante, a la même coiffure que la fiancée de Frankenstein. De ce fait, on voit que Tod Browning veut rendre un hommage appuyé au film de James Whale. Mais la comparaison s’arrête là, puisqu’à la mort du savant, le film va prendre une dimension plus policière, avec un homme qui va reprendre ces expériences afin de créer une sorte d’armée de poupées qui vont l’aider à se venger. Dès lors, le fond du scénario va jouer avec un double portrait.

L’intelligence du récit est de nous mettre du côté du gentil, qui ne l’est plus tellement. En voulant se venger, il va faire des choses inavouables, et pourtant, malgré cela, on va ressentir une empathie profonde pour lui. Cela est dû à son amour irrévocable envers sa mère et sa fille, pour lesquelles il souhaite le meilleur et veut alors blanchir son nom. Et d’un autre côté, même s’il fait du mal aux trois lascars qui lui ont fait un coup en douce, il ne les tue jamais vraiment, mais leur impose un sort peu enviable. Ainsi, même s’il est question de faire justice soi-même, on notera que le récit est assez bien écrit pour ne pas sombrer dans une histoire sordide. De plus, la présentation des trois vrais méchants résonne comme un écho de nos politiques d’aujourd’hui, pourris jusqu’à la moelle dès qu’il est question d’argent et de corruption.

« Ses effets spéciaux qui sont tout bonnement incroyables. »

Si le film est très en avance sur son temps en ce qui concerne son fond, que ce soit sur la corruption des banquiers ou des hommes de pouvoir, ou encore sur la faim dans le monde (rappelons que près de 90 ans plus tard, le problème n’est pas résolu), il l’est aussi sur ses effets spéciaux qui sont tout bonnement incroyables. Certes, avec nos yeux d’aujourd’hui, on voit vraiment les incrustations, mais cela n’enlève rien au charme du long-métrage, et encore moins à la prouesse technique de l’époque. Cela tient à une seule chose, des décors gigantesques pour faire paraître les acteurs plus petits. Tod Browning joue alors avec les perspectives et certaines séquences sont vraiment impressionnantes, à l’image de la jeune femme rétrécie qui va poignarder l’un des banquiers alors qu’il dort dans son lit. Un concept qui fut repris plus tard par un certain Jack Arnold

Et au-delà encore de toute la technique et du scénario, on retrouve un Lionel Barrymore vraiment excellent dans la peau de ce banquier qui a été roulé. L’acteur se glisse avec délice dans la peau de cette vieille femme afin de duper ses victimes, et on sent qu’il s’éclate vraiment dans ce rôle. On regrette cependant le côté sirupeux que peut prendre l’histoire, notamment quand il fait tout pour rendre sa fille heureuse, sur la fin du métrage, où l’ensemble devient un peu trop naïf. Le happy end gâche un peu tout ce qui a été fait auparavant, délaissant alors toute morale autour de la vengeance, alors même qu’il rend deux de ses opposants impotents. Le final fait un peu trop précipité, et on aurait peut-être aimé quelque chose de plus dissident.

Au final, Les Poupées du Diable est un très bon film qui brasse des sujets qui sont toujours d’actualité aujourd’hui, c’est dire l’avance qu’avait Tod Browning. En plus de cela, on peut compter sur un excellent casting, ainsi qu’une prouesse technique qui fait tout le charme de ce long-métrage, même près de cent ans plus tard. On regrette simplement un final un peu trop mièvre, qui aurait pu être plus sulfureux, surtout après cette vengeance assez cruelle. Néanmoins, on reste face à un film réussi, qui prouve, à bien des égards, que Tod Browning était un génie du septième art.

Note : 16/20

Par AqME

AqME

Amateur d'horreur, Métalleux dans l'âme, je succombe facilement à des images de chatons.

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