avril 27, 2024
BD

Bunkerville

Auteurs : Pascal Chind, Benjamin Legrand et Vincenzo Balzano

Editeur : Ankama

Genre : Fantastique

Résumé :

Laurel, un jeune golden boy mélancolique, s’enfonce dans l’océan pour rejoindre dans la mort Éléonore, l’amour de sa vie. Mais lorsque ce dernier rouvre les yeux, il se retrouve sur une île flottante mécanisée où a été construite une vieille cité rafistolée à l’aspect très vernien. Enveloppée d’un épais brouillard, Bunkerville fut bâtie au milieu du XIXe siècle par un riche industriel. L’homme voulait offrir à son fils, atteint d’un trouble mental, une vie « normale » en créant un monde clos et autonome avec une population qui lui ressemble…

Avis :

La bande-dessinée et le cinéma sont deux médiums intimement liés. Déjà parce que le cinéma utilise des storyboards qui ressemblent à de la bande-dessinée, mais aussi parce que le cinéma adapte de nombreuses histoires issues du neuvième art. Si l’on met de côté les plus grosses ventes comme Astérix, Boule et Bill et Ducobu, dont les films sont bien souvent catastrophiques, on trouve de bonnes surprises, à l’instar de Snowpiercer. Ecrit par un certain Benjamin Legrand, cette bande-dessinée va être adaptée par Bong Joon Ho au cinéma pour devenir un vrai succès. Pensé tout d’abord comme un long-métrage, Bunkerville va être freiné par une épidémie, mais aussi par des coûts exorbitants s’il devait être mis en images. C’est pour cela que Pascal Chind, accompagné par Benjamin Legrand, va transformer son rêve en bande-dessinée, et pour cela, il va faire appel à Vincenzo Balzano pour le dessin.

Ici, on va suivre Laurel, un jeune homme qui supporte mal le supposé suicide de son amoureuse. Il plonge alors dans l’océan, mais à son réveil, il se retrouve dans une cité rouillée qui semble surgir du XIXème siècle. Constamment pourchassé par la police, se rendant compte qu’il est le seul humain à peu près équilibré, il va découvrir que l’amour de sa vie se trouve dans cette cité, il va tout faire pour la convaincre de revenir dans le monde « normal ». Bunkerville est un récit qui n’est pas forcément facile d’accès de prime abord. Il y a beaucoup de planches sans texte, où l’on doit accepter de se laisser porter par les dessins. Les aquarelles de Vincenzo Balzano sont sublimes, et poussent à un émerveillement constant, montrant que l’histoire passe aussi par les graphismes, et un certain sens du lyrisme.

Ces dessins (ou plutôt ces tableaux tant certaines planches méritent d’être encadrées) permettent de donner vie à cette ville étrange, qui évoque bien évidemment Jules Verne, mais aussi le jeu vidéo Bioshock, avec des élans Steampunk qui sont absolument sublimes. Ce voyage dans cette cité fermée est à la fois poétique et déroutant, avec une population faite de fous et de déséquilibrés mentaux, qui trouvent une justice dans l’aberration et le non-sens. De ce fait, on est constamment ballotté entre une poésie nihiliste et un regard presque horrifique autour de personnages tous plus inquiétants les uns que les autres. D’ailleurs, certains personnages peuvent faire penser à Vol au-dessus d’un Nid de Coucou de Milos Forman, avec cette folie douce qui habite chaque habitant. Ce sentiment permet aux scénaristes de jouer sur deux sensations antonymes, la poésie et le cauchemar. Et la colorimétrie va dans ce sens.

Les teintes claires, et parfois sépias, permettent de se croire dans un rêve mélancolique. Il y a une ambiance délétère très forte qui se dégage à la fois des dessins, mais aussi du récit. Laurel est bercé par sa nostalgie et son amour disparu, et cela se traduit par une errance qui confère au spleen. Cependant, quelques pointes graphiques viennent souligner intelligemment la folie douce de ce peuple, entre personnages baveux, ou police répressive avec des yeux en forme de phares. Là encore, il y a un bel équilibre entre l’histoire, l’ambiance et les graphismes, formant un tout compact et cohérent. Et cela malgré la folie qui imprègne tout cet univers, nous mettant dans une position inconfortable, à l’image de son héros, qui ne sait pas où il a mis les pieds, et qui doit composer avec un univers totalement zinzin.

Le film flirte constamment avec de nombreuses références. L’arrivée dans le monde de Bunkerville est un clin d’œil direct à Alice au Pays des Merveilles de Lewis Carroll, mais on peut aussi penser à La Cité des Enfants Perdus de Jean-Pierre Jeunet et Marc Caro, avec cet univers si particulier. Pour autant, les scénaristes ne se reposent pas sur cela et abordent des thèmes très forts, dont celui du deuil. Tout laisse à penser que la fiancée de Laurel s’est donné la mort, et que ce dernier, ne parvenant pas à faire son deuil, se suicide lui aussi au même endroit. Et l’histoire de nous montrer tout un cheminement pour retrouver cet amour déchu, mais aussi comment lui dire au revoir une dernière fois. C’est très beau, très touchant, tout en n’oubliant pas que ce deuil est un combat âpre et violent.

Au final, Bunkerville est un récit éthéré très réussi. Pascal Chind et Benjamin Legrand trouvent un équilibre fragile entre lyrisme et fatalité, douceur et violence, non-dit et grandiloquence. Si l’histoire peut paraître nébuleuse sur son démarrage, la cohésion d’ensemble fait que l’on tombe nous aussi dans cette cité étrange et lunaire pour accompagner Laurel dans un voyage au bout de la folie, comme seules les histoires d’amour peuvent le faire.

Note : 17/20

Par AqME

AqME

Amateur d'horreur, Métalleux dans l'âme, je succombe facilement à des images de chatons.

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