Titre Original : Gigigoegoe SeongHyeongsu
De : Cho Kyung-Hoon
Avec les Voix Originales de Moon Nam-Sook, Jang Min-Hyeok, Cho Hyun-Jung, Park Sung-Kwang
Année : 2020
Pays : Corée du Sud
Genre : Animation, Horreur
Résumé :
Yaeji, une jeune femme obèse, découvre par hasard un produit de beauté pas comme les autres. Il suffit de l’appliquer sur la peau pour remodeler son corps et son visage selon ses désirs. Yaeji va ainsi pouvoir exaucer son vœu le plus cher : devenir la plus belle des femmes. Mais la beauté a un prix qu’elle va payer cher…
Avis :
En matière de films d’animation, la Corée du Sud est principalement connue pour son statut de « sous-traitant » de productions internationales. Si cette appellation peut paraître péjorative, elle s’avère néanmoins assez réaliste d’un pays davantage apprécié pour ses polars ou ses films historiques que pour ce type de métrages. Cependant, ce constat n’en dissimule pas moins une poignée d’auteurs qui proposent de véritables alternatives dans ce registre. On songe surtout à Sang-ho Yeon avec The Fake ou The King of Pigs. Bien qu’il s’insinue dans le genre horrifique sans ambages, Beauty Water s’inscrit dans leur sillage, ne serait-ce qu’à travers un discours engagé et sentencieux sur l’état de la société coréenne.
Au regard des thématiques abordées et de l’approche du cinéaste, il n’est pas étonnant que le présent métrage ait connu un succès d’estime dans son pays natal. En effet, l’intrigue s’attaque de manière frontale à l’industrie des cosmétiques et de la chirurgie esthétique. De véritables institutions en Corée du Sud qui dépeignent l’obsession compulsive, presque maladive, de la population pour le caractère superficiel des apparences. La beauté prévaut sur toute autre forme de jugement et influe même sur le statut social des personnes. En somme, un physique ingrat vous relègue dans les strates inférieures du monde professionnel, sauf pour mettre en lumière une allure et un comportement pathétiques.
« L’ambiance clinquante et malsaine du monde du show-business n’est pas sans rappeler Perfect Blue de Satoshi Kon. »
À l’extrémité opposée du prisme, les individus nantis d’une plastique avantageuse disposent de formidables opportunités et s’ouvrent les portes de la célébrité, si éphémère soit-elle. En l’occurrence, Beauty Water s’attarde sur l’impact des réseaux sociaux, l’influence des présentateurs de télévision (ou acteurs) pour vendre des produits aux spectateurs en quête d’un mode de vie qu’ils peuvent à peine effleurer. En ce sens, l’ambiance clinquante et malsaine du monde du show-business n’est pas sans rappeler Perfect Blue de Satoshi Kon. Même si les sujets et la teneur de l’intrigue sont foncièrement dissemblables, on distingue une occurrence commune pour dissimuler les névroses des protagonistes avec subtilité.
La grande force de Beauty Water est de ne pas cantonner ses personnages à des caricatures sociales. Certes, il y a bien des fondamentaux qui viennent poser les bases. Leurs réactions et leur évolution amènent toutefois davantage de nuances qu’escompté. Preuve en est avec Yaeji. Cette dernière ne se résume pas à une laissée-pour-compte aigrie par son quotidien. Au regard de son patronyme changeant, elle présente deux facettes. On tient là une approche presque schizophrénique où son comportement souffle le chaud et le froid. Tour à tour capricieuse, vindicative et vénale, elle peut aussi souffrir de sa solitude et du regard que les autres portent sur elle. En somme, son nouveau visage dévoile un pan mal assumé de sa personnalité.
« Cho Kyung-hun œuvre dans un traitement visuel à la violence charnelle. »
Bien entendu, les apparats cachent une monstruosité latente dans les mécanismes rodés de la popularité médiatique. On songe au harcèlement sexuel dissimulé sous des allusions douteuses ou à l’effet de mode où une star émergente occulte bien vite la précédente. Cette même monstruosité se porte également sur le rapport au corps ; le sien, comme celui des autres. L’intrigue s’oriente alors vers le body horror. Dans un premier temps, on remarque des occurrences à Frankenstein ou au golem. La « créature » qui voit ainsi le jour est dépourvue de morale, peut-être même d’une âme puisqu’elle présente des réactions aussi instinctives qu’impulsives.
Par la suite, Beauty Water aime à entretenir le doute sur la frontière entre hallucinations et réalité, comme la séquence de la baignoire ou celle relative au reflet dans le miroir. Cho Kyung-hun œuvre dans un traitement visuel à la violence charnelle. La souffrance psychologique se fait alors l’écho d’une martyrisation du corps. En cela, l’ultime partie de l’histoire évoque le travail de Junji Ito dans ces aberrations physiques, aussi impossibles que dérangeantes. Ce qui renforce le sentiment de dépossession de l’être. Ce dernier appartient à l’autre par sa convoitise, sa simple volonté à le résumer à une somme de pièces détachées.
« Le tout est magnifié par un choix de couleurs contrastées et une splendide photographie. »
En ce qui concerne l’animation, l’aspect lisse des personnages peut décontenancer, du moins aux premiers abords. On y entrevoit des mouvements faciaux assez figés où les expressions restent timorées, voire mal définies. Au vu des sujets principaux, on peut toutefois l’interpréter comme le reflet d’une plastique parfaite et dénuée d’émotions. En revanche, les gestes et les déplacements délaissent une sensation de flottement, a fortiori lorsque les protagonistes sont amenés à courir ou à bouger dans la précipitation. Pour ce qui est des décors, on apprécie la qualité de retranscription des environnements urbains, le tout magnifié par un choix de couleurs contrastées et une splendide photographie.
Au final, Beauty Water est un film d’animation horrifique de belle facture. Avec un ton réprobateur, Cho Kyung-hun malmène les certitudes et les piliers de la société coréenne, quitte à se faire ostraciser dans son propre pays. Son engagement interpelle sur la notion de beauté et de l’appartenance du corps. Sous couvert d’une allégorie pleine de cynisme sur la sacralité des apparences, l’intrigue se veut également une plongée insidieuse dans la folie de son personnage principal, à la fois bourreau et victime. Le réalisateur parvient à concilier une approche psychologique nuancée avec une violence physique brutale. Il en ressort une œuvre perturbante et troublante qui ne laisse pas indifférente.
Note : 16/20
Par Dante