avril 29, 2024

Feux dans la Plaine

Titre Original : Nobi

De : Kon Ichikawa

Avec Eiji Funakoshi, Mickey Curtis, Masoya Tsukita, Yasushi Sugita

Année : 1959

Pays : Japon

Genre : Guerre

Résumé :

A la fin de la Seconde Guerre mondiale, le calvaire des derniers soldats japonais, pris entre les guérilleros philippins et les troupes américaines.

Avis :

Dans l’histoire du septième art, les années 1950 sont reconnues comme l’âge d’or du cinéma japonais. Les plus grands réalisateurs de l’archipel nippon ont fourni quelques incunables en la matière. On songe à Kenji Mizoguchi, Yasujirô Ozu ou Akira Kurosawa. D’autres cinéastes ont eu une carrière tout aussi intéressante. Cependant, leurs œuvres sont restées beaucoup trop longtemps confidentielles en Occident. C’est notamment le cas de Teinosuke Kinugasa ou, en l’occurrence, de Kon Ichikawa. À l’époque, ce dernier est surtout réputé pour honorer des films de commande. S’il met en scène nombre de comédies, on lui doit également des productions engagées, plus sombres ; à l’image du Pavillon d’or, Le Pauvre cœur des hommes ou Feux dans la plaine.

Adaptation relativement libre du roman de Shōhei Ōoka, le présent métrage s’inscrit dans un contexte particulier. D’une part, le projet naît de l’initiative du réalisateur, sur un scénario de sa femme. Après des mois de négociation, il parvient à imposer la plupart de ses conditions aux responsables du studio Daiei. À l’époque, celui-ci est surtout connu pour avoir produit Rashōmon, Miss Oyu et La Porte de l’enfer, pour ne citer que les exemples les plus emblématiques. D’autre part, Feux dans la plaine évoque la défaite du Japon au terme de la Seconde Guerre mondiale. À l’image d’Hiroshima d’Hideo Sekigawa, Feux dans la plaine s’avance comme une œuvre avant-gardiste à bien des égards.

« Le métrage de Kon Ichikawa dépeint l’âpreté de la guerre. »

Cela vaut tout d’abord pour le choix d’une approche audacieuse où le trauma du dernier conflit mondial en date est encore vivace dans les mémoires ; tout comme le sentiment de déshonneur qui en émane au sein de la population. À travers ce film, on distingue également une volonté d’entrevoir un point de vue différent, autre que celui des Américains où les productions occidentales fleurissent pour les encenser. En l’occurrence, la partialité n’est pas forcément préjudiciable. Cependant, la plupart des films de guerre occidentaux de l’époque tendent à déformer l’image de la guerre, à idéaliser une réalité faussée par le patriotisme et l’engagement, sans oublier l’édulcoration de la brutalité des affrontements.

Or, Feux dans la plaine est aux antipodes de ce constat. Le métrage de Kon Ichikawa dépeint l’âpreté de la guerre, la violence primale du conflit. D’une manière paradoxale, on n’assistera pas à une confrontation directe. Plutôt à des raids aériens menés par un ennemi invisible ; à l’exception d’une ou deux séquences. Ici, le récit évoque les conséquences sur les individus, plus que sur les soldats. Très vite, on s’oriente vers un drame survivaliste où la subsistance emprunte des atours nihilistes. Preuve en est avec la maladie qui guette avant de toucher de plein fouet les plus fragiles, l’environnement hostile et, surtout, la faim avec la rareté des denrées. Elle reste au cœur des préoccupations et des comportements.

« Feux dans la plaine est un film de guerre remarquable. »

Si le protagoniste demeure tiraillé entre son devoir et l’envie de se rendre, les besoins primaires guident ses pas. La moindre trouvaille présente une valeur inestimable et donne bien souvent lieu à des inimitiés, et ce, malgré un partage de ressources malingres. La situation allant de mal en pis, l’histoire s’oriente vers un rapport à la chair plus déstabilisant, pour ne pas dire malsain. En effet, la tentation du cannibalisme ne tarde pas à devenir obsessionnelle. L’aspect le plus dérangeant tient surtout à sa banalisation, à l’instar du dédain que les intervenants portent à la mort. Pour ce dernier point, l’une des scènes les plus saisissantes reste cette déambulation sur une plaine à découvert. Là où les soldats japonais se couchent pour échapper à un raid avant de se relever et de n’octroyer pas même un regard pour ceux qui viennent de trépasser.

Au final, Feux dans la plaine est un film de guerre remarquable dans son traitement sans concession, son atmosphère crépusculaire. Malgré le cadre luxuriant de l’île de Leyte, aux Philippines, la photographie monochrome magnifie une évocation pessimiste et sentencieuse au possible. Il en ressort une œuvre essentielle et forte qui apporte un éclairage différent sur le conflit, ses répercussions et son impact sur l’homme. Ce dernier se voit alors relégué à une figure déshumanisée, guère maîtresse de ses décisions. En cela, le récit se veut désespéré, n’offrant aucun horizon pour les protagonistes, pas même celui des lignes ennemies.

Note : 17/20

Par Dante

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