avril 19, 2024

Enslaved – Heimdal

Avis :

Le Black Metal est souvent convoqué à des types qui se maquillent en noir et blanc, crient dans les aigus et sont perdus dans les forêts enneigées scandinaves. Si l’on ne peut pas retirer cet adage d’un cliché qu’entretiennent volontiers tous les groupes du genre, il y a tout de même des formations qui essayent de faire bouger les codes et de rendre le Black plus agréable à l’oreille, plus accessible, et lorgnant vers des sonorités expérimentales. En ce sens, Enslaved, tête de proue de ce genre, expérimente depuis plusieurs albums, ajoutant volontiers du saxophone, des nappes de clavier et du chant clair, pour offrir un Black travaillé et qui sort des carcans d’un genre un peu sclérosé dans sa mauvaise image. Avec Heimdal, seizième effort du groupe, Enslaved récidive dans ses recherches, qui s’avèrent payantes et galvanisantes.

Le tout commence avec Behind the Mirror. Un bruit d’eau, comme des vaguelettes qui percutent la coque d’un bateau, une corne de brume au loin, comme un écho d’une guerre à venir ou d’une congrégation funèbre, les norvégiens posent une ambiance inquiétante qui va se confirmer avec les riffs de guitare qui déboulent. Cependant, il ne faut pas s’attendre à du gros chant crié, puisque c’est Hakon Vinje, le pianiste/claviériste qui va prendre les devants et proposer un chant éthéré et aérien. C’est très intéressant dans cette volonté de rendre l’ensemble très volubile. Le chant crié arrive après le premier couplet, renouant avec un aspect guerrier et puissant. Ce premier morceau pose d’entrée de jeu les envies du groupe de lorgner vers un Black progressif et complexe. Cela se confirmera d’ailleurs avec tous les titres de l’album, où les sept titres durent plus de quarante-neuf minutes.

Congelia et ses huit minutes sera certainement le morceau le plus « Black » dans le sens propre du terme. C’est-à-dire que dès le départ, la batterie blaste à tout va, les riffs sont rapides et agressifs, et on aura quasiment que du chant crié qui fracasse tout sur son passage. Si le titre peut paraître un peu long, il permet aussi de voir que le groupe peut garder ses premiers amours et fournir un morceau dense et puissant, qui peut se faire épuisant, dans le bon sens du terme. Forest Dweller ira plus loin dans l’expérimentation. La guitare sèche au départ, le riff immédiatement assez envoûtant, avec des sonorités presque orientales, l’alternance étrange et abrupte entre chant clair et chant crié, tout ça fait que l’on rentre dans ce morceau hybride, qui peut être hypnotisant comme percutant, nous sortant d’un coup d’une belle rêverie.

Bien évidemment, les claviers seront de la partie pour renforcer cette ambiance brumeuse et presque fantomatique. Atmosphère qui trouve un bel écho dans Kingdom qui pourrait presque se voir comme une synthèse parfaite du groupe. Ici, on retrouve des moments virevoltants, des passages violents, des chants ésotériques en fond sonore, comme récités par des chamans animistes, et l’ensemble est ultra cohérent avec la thématique de l’album, et cette envie de créer une ambiance particulière, unique, perdu dans un pays brumeux inconnu. C’est très fort de réussir à faire ressentir cela à travers la musique, sans les images. Puis The Eternal Sea va continuer ce travail, jouant encore et toujours sur des ruptures étranges et inattendues, tout en gardant un univers particulier et plaisant. Le chant clair apporte un vrai plus au titre, évitant avec brio de tomber dans une surenchère de virulence, qui ne siérait pas à l’ambiance recherchée.  

Caravans to the Outer Worlds est peut-être le morceau le plus bizarre de l’album. L’introduction laisse peu de doute sur l’envie de créer une atmosphère étrange et hostile, entre les bruits du vent et une ligne de basse bien lourde. Par la suite, on retrouve la violence inhérente au genre, mais avec des grattes qui n’hésitent pas à placer des solos au milieu d’un maelström de violence. Ici, le chant Black prend toute son ampleur, comme un démon surgit de la poussière soulevée par le vent. C’est fort, c’est encore une fois dense, et il y a une parfaite osmose dans cet ensemble. Enfin, Heimdal vient clôture cet album avec un long moment de plus de huit minutes qui va nous faire voyager une fois de plus. C’est normal me direz-vous, puisqu’il s’agit tout de même de celui qui garde le bifrost.

Au final, Heimdal, le dernier album d’Enslaved, est encore une fois une belle réussite qui permet au groupe de truster, encore et toujours, cette place de roi du Black expérimental. N’hésitant jamais à bousculer les codes, cherchant toujours à peaufiner son ambiance avant sa violence, les norvégiens offrent un nouvel effort galvanisant, puissant, qui arrive sans aucun mal à nous embarquer dans un monde parallèle peuplé de Dieux et de monstres tapis dans la brume. Une bien bonne galette.

  • Behind the Mirror
  • Congelia
  • Forest Dweller
  • Kingdom
  • The Eternal Sea
  • Caravans to the Outer Worlds
  • Heimdal

Note : 17/20

Par AqME

AqME

Amateur d'horreur, Métalleux dans l'âme, je succombe facilement à des images de chatons.

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