avril 25, 2024

La Couleur Tombée du Ciel

Auteur : Howard P. Lovecraft et Gou Tanabe

Editeur : Ki-Oon

Genre : Seinen

Résumé :

Un projet de barrage promet d’engloutir toute une vallée reculée de la campagne américaine. Bizarrement, son dernier habitant se réjouit de voir le lieu disparaître sous les flots, en particulier la parcelle de terrain voisine… Les Gardner y ont vécu paisiblement pendant des années, jusqu’à ce que la chute d’une météorite juste devant leur maison fasse basculer leur quotidien. Des scientifiques ont tenté d’étudier ce roc venu de l’espace, sans succès. La matière ne ressemblait à rien de connu et se distinguait par sa couleur inexistante sur Terre… Après cet événement, la faune et la flore ont commencé à s’altérer, les phénomènes étranges se sont multipliés, entraînant la famille Gardner dans une spirale de malheurs…

Avis :

On ne présente plus H.P. Lovecraft, écrivain de génie qui n’a connu la gloire qu’une fois sa vie terminée. On doit cela à son acolyte August Derleth, qui est le premier à avoir publié les récits de l’auteur, lui permettant, post-mortem de connaître un succès inespéré. Aujourd’hui, Lovecraft est partout, au cinéma, dans des séries, dans les jeux vidéo ou les jeux de société, et on retrouve même certains de ses récits adaptés en bande-dessinée et en manga. Gou Tanabe est d’ailleurs devenu l’artiste japonais spécialisé dans les adaptations de Lovecraft en manga, permettant de trouver une autre dimension à ces histoires horrifiques et désespérées. Et après Les Montagnes Hallucinées et Dans l’Abîme du Temps, c’est au tour de La Couleur Tombée du Ciel d’être couché sur papier. Mais est-ce aussi bien que le reste, alors que cette nouvelle est peut-être la deuxième plus connue de son auteur ?

Récemment adapté au cinéma avec Nicolas Cage, La Couleur Tombée du Ciel est l’une des nouvelles les plus connues de son auteur, tout simplement parce qu’elle est terrifiante. Ici, une météorite s’écrase sur Terre, proche d’une ferme dans laquelle vit une famille paisible. Après différents tests effectués par des chercheurs, la météorite disparait en laissant une drôle de couleur envahir les champs. Dès lors, la faune et la flore se métamorphosent, tout comme les habitants de la ferme, qui semble subir des mutations ignobles. Présence d’un extraterrestre immuable et impalpable, la nouvelle fait l’effet d’une bombe, gagnant en intensité au fur et à mesure du récit, pour se terminer sur un aspect nihiliste au possible, si cher à Lovecraft. Le problème avec son adaptation en manga va concerner la couleur, puisque nous sommes ici dans un registre en noir et blanc.

De ce fait, Gou Tanabe va surtout jouer sur les nuances et l’aspect organique de la menace. Plus clair que le reste, on va vite identifier l’extraterrestre comme une forme ectoplasmique, plus proche du fantôme que d’une couleur inexistante sur notre planète. Cela est plutôt malin, et permet à Gou Tanabe de tisser l’intrigue autour d’un témoignage, celui d’un voisin qui a été témoin de la déliquescence de la famille. Cependant, on restera un peu en retrait au niveau de l’angoisse montante, à cause bien évidemment du noir et blanc qui empêche de donner du sens au titre, mais aussi à cause d’une montée trop progressive, qui prend trop son temps pour arriver à une finalité que l’on connait déjà. En termes de réécriture, il aurait été plus malin d’être plus frontal et de jouer sur les métamorphoses des bestioles et des humains.

Mais Gou Tanabe ne fait pas ce choix et joue la carte de l’insidieux, afin de coller au mieux à l’univers de Lovecraft. Mais on ne sent jamais vraiment la menace cosmique, qui reste dans un cercle familial, avec des bestioles qui deviennent zinzin et une famille qui se délite au fur et à mesure du temps. Fort heureusement, les dessins du mangaka sont dingues, jouant toujours la carte du réalisme pour mieux implanter ces menaces cosmiques dans notre quotidien. Ainsi, ce ton réaliste rend tout le sérieux dont était capable Lovecraft, implantant son monstre dans un quotidien plausible, s’attaquant à un quidam qui n’a rien demandé. De plus, il n’y aucune preuve de pitié, femme et enfants en prenant aussi pour leur grade, avec des mutations dégueulasses, qui perdent peut-être en intensité à cause de grands aplats de noir.

Enfin, petit point décevant, à la lecture de cette adaptation, on ne se prendra pas d’empathie pour les personnages. Que ce soit les victimes ou les voisins et autres chercheurs, on va se foutre pas mal de tout ce petit monde. La raison est toute simple, les protagonistes sont assez inconsistants. Le père de famille aurait pu être un élément fort, mais il reste un type têtu, qui continue à boire l’eau de son puits et qui semble s’en foutre pas mal du sort de ses enfants ou de sa femme. Même le narrateur, spectateur de cette déchéance, n’arrive pas à se rendre empathique, alors que son comportement, apeuré, est logique dans une telle situation. Du coup, il demeure compliqué de rentrer pleinement dans cette histoire, qui fait bien plus peur dans sa version originelle.

Fort heureusement, tout n’est pas à jeter dans ce manga. Outre le dessin de Gou Tanabe qui est toujours sublime, on aura droit à une fin nihiliste et désespérée, ne représentant aucune solution pour l’être humain. Le puits devient une métaphore de toutes les peurs humaines envers l’inconnu et des forces cosmiques intouchables et inconnues, et le seul moyen de s’en défaire est de noyer tout cela au fond d’un lac. On retrouve alors les thèmes de prédilection de Lovecraft, qui trouvent un bel écho dans cet écrin noir et blanc, offrant une plus-value au niveau de l’atmosphère. Mais on reste partagé sur l’absence de couleur, ou tout du moins d’une couleur, qui aurait peut-être conféré une ambiance encore plus anxiogène.

Au final, La Couleur Tombée du Ciel est une bonne adaptation de Lovecraft, même si elle reste un peu en deçà des deux précédents essais. Si on retrouve une bonne ambiance désespérée et une horreur insidieuse qui se diffuse jusqu’à la fin, on ne peut que regretter l’absence de couleur et de personnages plus forts. Gou Tanabe continue néanmoins son travail d’adaptation avec une scrupuleuse fidélité, et cela donne aussi une autre vision du travail de Lovecraft, qui méritait bien toutes ces attentions.

Note : 15/20

Par AqME

AqME

Amateur d'horreur, Métalleux dans l'âme, je succombe facilement à des images de chatons.

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