Auteur : Junji Ito
Editeur : Mangetsu
Genre : Horreur
Résumé :
La belle Kyôko Byakuya se promène seule au pied du mont Sengoku, parmi des tourbillons de mystérieux filaments volcaniques aux reflets d’or. Au détour d’un chemin, elle tombe nez à nez avec un homme aux propos décousus qui semble l’attendre pour l’inviter dans son village. Ses habitants y vouent un étrange culte au dieu Amagami et son missionnaire persécuté sous l’ère Edo. Cette nuit-là, lorsque Kyôko lève les yeux vers le ciel avec les autres villageois, une nuée de fibres d’or envahit le firmament. Ce n’est que le premier incident d’une série terrifiante qui s’apprête à bouleverser la réalité telle qu’on la connaît ! Le monde tombera-t-il sous le joug de la mystérieuse Kyôko ?
Avis :
Rien ne prédestinait Junji Ito à devenir une légende du manga d’horreur. Se vouant à une carrière de prothésiste dentaire, c’est en participant à un concours de dessin que le mangaka va se faire connaître et donc délaisser son premier métier pour se lancer pleinement dans l’aventure de l’illustration. Aujourd’hui, après plus de trente ans de carrière, Junji Ito n’a plus rien à prouver, et chaque nouvelle sortie résonne comme un petit évènement. Très à l’aise dans un format court, on retrouve la plupart de ses histoires dans des recueils, qui sortent chez nous chez Mangetsu, dans des éditions incroyables. Même ses histoires plus longues, à l’image de Spirale, peuvent se lire sous la forme de chapitres décrochés. C’est aussi le cas pour Sensor, une histoire un peu plus longue que le reste des œuvres du maître, découpée en six chapitres évolutifs, mais qui peuvent se lire presque indépendamment.
Le début est très intriguant et on se demande où l’auteur veut nous amener. On est au pied du volcan Sengoku et une jeune fille se balade lorsqu’elle rencontre un homme qui semble tout connaître d’elle. Elle va le suivre et découvre un village entièrement recouvert de cheveux dorés. Toujours à l’affut d’une surprise dérangeante au sein d’un quotidien banal, Junji Ito va alors prendre pour point de départ un village isolé vouant un culte à un martyr chrétien, jeté dans le volcan par le passé, et qui protège alors les gens en leur octroyant, via ses cheveux, un don de clairvoyance. Assez complexe à appréhender dans son démarrage, l’histoire va pourtant prendre des atours étranges assez rapidement, avec une éruption, le village détruit, sauf la jeune femme, recouverte d’un cocon doré. C’est cryptique à souhait, et Junji Ito ménage ce mystère pour mieux nous bousculer.
Car par la suite, ce qui devait être l’héroïne va passer au second plan pour laisser la place à un jeune reporter à la recherche d’un scoop. Il découvre alors cette histoire et décide de partir à la recherche de cette jeune femme qui a disparu soudainement. Manque de bol pour lui, en menant son enquête, il tombe sur une secte dont le but est d’utiliser le don de clairvoyance de cette femme afin d’atteindre le savoir absolu. L’auteur emprunte alors le sentier obscur des sectes qui veulent tout savoir et tout contrôler, jusqu’à risquer la vie du monde entier. Avec Sensor, on peut voir que le mangaka fait des parallèles assez osés et intéressants entre la religion (le martyr Miguele jeté dans le volcan) et la secte, qui est dirigé par un type dont le physique se rapproche du chrétien, mais avec les cheveux noirs.
On retrouve comme un miroir entre deux croyances, qui offrent alors un affrontement entre le bien et le mal. Cependant, Junji Ito ne juge jamais vraiment, et de chaque côté, il y a des côtés assez effrayants. Pour emballer le tout, on retrouvera un aspect très lovecraftien à cette histoire, avec une déité cosmique qui semble détenir tous les savoirs. Junji Ito nous renvoie alors à notre petitesse face à l’univers, et à notre incapacité à comprendre que nous ne sommes rien, et que parfois, il vaut mieux ne rien savoir. On aura droit à des images marquantes de créatures célestes gigantesques, qui seraient presque indescriptible, comme ce cerveau géant qui tombe du ciel, ou encore ce système neuronal qui peut être vu comme une constellation malfaisante. On voit bien les références de l’auteur, qui arrive à se les accaparer et à les transposer dans un folklore asiatique.
Cependant, tout n’est pas parfait dans Sensor. Si Junji Ito parle de la persécution des chrétiens au Japon, ou encore de cette volonté de dépasser son statut d’humain pour comprendre le but de la vie, quitte à devenir un monstre, on reste dans une histoire qui, parfois, s’égare. Le chapitre sur les insectes suicidaires aurait pu être intéressant s’il s’intégrait vraiment dans l’enjeu principal, mais ce n’est pas le cas. On sent le besoin de placer du gore, mais c’est un peu gratuit, et surtout, on est loin du délire cosmogonique de l’histoire. De plus, les personnages ne sont pas vraiment attachants. L’héroïne subit sans arrêt sans vraiment se battre, et le journaliste qui mène l’enquête n’a pas vraiment de background. On aura un petit point sur son passé avec un harcèlement, mais c’est peu de chose. Il manque un tout petit truc à l’ensemble pour vraiment nous emballer.
Au final, Sensor est un manga qui a bien sa place dans l’univers de Junji Ito. Encore une fois, l’auteur prend un contexte banal pour mettre en avant une intrigue qui va virer au cauchemar. S’appuyant vraiment sur un univers lovecraftien pour impliquer une secte vouée au culte d’un savoir cosmique, le mangaka va fournir six chapitres intéressants, à son image, avec toujours des moments inattendus et des passages gores maîtrisés (bien que gratuits dans cet ouvrage). Bref, si on reste dubitatif sur certains chapitres, sur son ensemble, Sensor tient la route et change un peu du registre étrange de Junji Ito, qui affirme plus ses goûts pour un certain auteur américain de Providence.
Note : 14/20
Par AqME