avril 29, 2024

L’Homme qui Marche

Auteur : Jiro Taniguchi

Editeur : Casterman

Genre : Seinen

Résumé :

À l’heure où d’autres se laissent accaparer par les obligations et les tracasseries quotidiennes, happer par la course toujours plus effrénée des jours qui défilent, lui sait prendre le temps. Lui, c’est l’homme qui marche. Odes aux moments volés, aux détours parfois oisifs et aux plaisirs simples de la promenade, ses déambulations en apparence anodines sont autant d’invitations à laisser le spectacle du monde nous révéler nos paysages intérieurs.

Avis :

Mêlant avec habileté le manga et la bande dessinée européenne, Jirō Taniguchi est reconnu pour son sens de la narration sans pareille. À partir d’un postulat somme toute simpliste, il parvient à étayer des histoires touchantes, pleines d’émotions. Des tranches de vie propices à la contemplation, à l’introspection, on doit à l’auteur des œuvres cultes telles que Quartier lointain ou Le Sommet des dieux. Moins renommé, mais tout aussi notable, L’Homme qui marche démontre une prédilection pour un existentialisme poétique, proche d’une idéalisation du Japon. En l’occurrence, on assiste à des instantanés qui s’arrogent les atours de nouvelles du 9e art.

Du protagoniste, on ne connaît pas grand-chose. D’ailleurs, ce n’est pas forcément la personne qui interpelle, mais plutôt son comportement, sa manière d’appréhender le quotidien. Si l’on distingue une certaine indolence, on y dénote surtout une philosophie de vie qui prône le moment présent, voire l’indéterminisme. Au détour d’une rue ou d’un sentier en pleine campagne nipponne, il est difficile de ne pas penser à des circonstances fortuites. Celles-ci ne tiennent pas à une destinée précise, mais plutôt à un cheminement aléatoire qui aboutit à des rencontres, des découvertes impromptues. On songe à cette errance le long d’une rivière, en bordure de la ville, à cette incursion dans des venelles paisibles.

Tout au long du recueil, l’auteur fait l’économie des dialogues. Cette circonspection permet de mettre l’accent sur le travail graphique, dont certains plans et vignettes évoquent le courant impressionniste. Par la même, on y retrouve ce rapprochement culturel entre la bande dessinée occidentale et les œuvres picturales nipponnes. En l’occurrence, le style graphique se démarque par son sens du détail, sa profondeur de champ pour les environnements et l’aspect épuré pour les intervenants. Le simple fait de communiquer un message ou d’instaurer une atmosphère par l’exposition d’images suffit à emmener le lectorat dans une parenthèse aussi insouciante qu’idyllique.

Le présent recueil se compose de moments de vie banaux. Pour autant, cela n’empêche en rien de les apprécier. À différentes reprises, on a l’impression que l’auteur compulse les évènements clefs de son personnage principal. Au fil des chapitres (ou des parties), celui-ci vieillit ou rajeunit selon la temporalité concernée, a fortiori en fin d’ouvrage. Rien d’ostensible. Simplement un front plus dégarni qu’à l’accoutumée, le port de lunettes en moins ou des traits davantage marqués. En cela, la narration se veut aussi elliptique que non linéaire. Dès lors, on ne distingue pas forcément de fil directeur, plutôt une alternance des saisons qui vient déterminer le moment et la chronologie des faits.

Cette temporalité se fait l’écho d’une histoire en mouvement constant. Au regard de cette approche contemplative, à la limite de l’onirisme, un tel constat peut paraître contradictoire, sinon paradoxal. Comme le titre le laisse entendre, ses pérégrinations marquent une volonté d’aller de l’avant, une insatiable curiosité à apprécier les surprises de l’existence. Celles-ci peuvent présenter un caractère opportun ou non, positif ou négatif. Preuve en est avec les dernières incursions où son errance se mue en tourments, en une mécompréhension de la notion de bonheur, voire de la fidélité conjugale. Au regard de ce qui a pu être avancé auparavant, cette approche peut néanmoins décontenancer.

Au final, L’Homme qui marche est une œuvre aussi simple que touchante. L’enchaînement des sous-intrigues constitue autant de moments inattendus que bienvenus. D’un quotidien où il est aisé de s’identifier, on se plaît à accompagner un protagoniste qui conserve sa part de mystères. Sans prétention ni ostentation, celui-ci s’apparente à un passeur entre les saisons, les générations, les personnes. Jirō Taniguchi instaure une atmosphère contemplative où la lenteur du temps n’est pas synonyme de vacuité, mais d’un recul salvateur. Toute introspection écartée, il n’est pas question d’avancer un repli sur soi, mais plutôt une ouverture d’esprit sur le monde qui nous entoure et ce qu’il a à nous offrir. Une œuvre anticonformiste, apaisante et pleine d’optimisme.

Note : 16/20

Par Dante

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