Auteurs : Mathieu Gabella et Anthony Jean
Editeur : Delcourt
Genre : Fantastique
Résumé :
1565. Plusieurs anatomistes réputés meurent dans des conditions étranges. À Paris, Ambroise Paré, chirurgien du roi en butte aux médecins de la Faculté – qui voient en lui un rustre parvenu – constate le décès de l’un d’eux. En enquêtant, il croise d’inquiétantes créatures et découvre que certaines recherches – que le pouvoir et l’Église cherchent à étouffer – sont en jeu…
Avis :
Pour Mathieu Gabella, scénariste prolifique de bandes-dessinées, le neuvième art est un moyen de raconter des histoires tout en voyageant, s’évadant. Sa propension pour scénariser des histoires fantastiques va prendre le pas sur ses débuts, où il écrit des poèmes illustrés. Premier fait d’armes, La Licorne, une BD ésotérique qui prend place en 1565, au milieu d’une pléthore de médecins qui ont révolutionné le monde de la médecine. Pour l’épauler dans cette grosse entreprise, il s’est acoquiné avec Anthony Jean, dessinateur assez peu productif, mais qui détient un talent monstre. Et il en fallait pour peindre des primordiaux gargantuesques et des aventures palpitantes au sein d’une Europe en pleine révolution scientifique, qui se voit fragilisée par une Eglise de plus en plus omnipotente. Ayant fait sensation durant les années 2000, revenons sur cette histoire fabuleuse en quatre tomes qui, aujourd’hui encore, fonctionne à plein régime.
Le but de cette histoire est clairement de revisiter les découvertes en médecine de façon originale, avec des créatures mythologiques et une Eglise qui voit les progrès scientifiques comme une menace pour les croyances. De ce fait, le scénario va surtout se focaliser sur une forte dualité entre des médecins renommés et une religion qui est prête à sacrifier une partie de la population pour lui faire croire aux miracles, et donc aux pouvoirs de Dieu. La Licorne oppose alors des médecins (Ambroise Paré, Andrea Vésale, Paracelse) au doge de Venise et au Pape, qui mettent en place une machination pour rendre malade le peuple et lui fournir par la suite un remède miracle planqué dans les hosties de l’église. C’est malin, mais ce n’est pas suffisant pour rendre le récit épique, avec des aventures gargantuesques.
Pour se faire, Anthony Gabella imagine qu’avant les humains, il existait des êtres primordiaux qui ont inspiré les contes et légendes. Ainsi, les médecins devront faire équipe avec centaures, dragons et autre manticore afin de lutter contre une église qui utilise de petits primordiaux, mais aussi un chasseur qui revient à la vie à chaque constellation du lion. Dans le premier tome, la présentation des personnages et des primordiaux se fait de façon parcimonieuse, avec une arrivée progressive des êtres magiques et des liens qui vont les unir avec les médecins. On nous présente aussi les enjeux avec des tapisseries qui permettront aux médecins de voir comment le corps humain évolue, change, grâce aux primordiaux, mais aussi à cause de petits êtres microscopiques, évoquant par la même occasion la découverte des microbes. Car derrière ses atours de BD fantastique, il y a un vrai liant avec les découvertes scientifiques.
Et c’est là la vraie intelligence de l’histoire : réussir à allier de véritables découvertes avec un récit fantastique peuplé de créatures mythologiques et de bestioles issues de l’imaginaire collectif (des vampires par exemple). Le seul petit bémol que l’on pourrait apporter à cette histoire, c’est sa fin qui est tellement épique qu’elle en devient un peu bordélique, avec des courses-poursuites monstrueuses, des passages qui frôlent parfois le n’importe quoi (lorsque Mostredame et Ambroise Paré se mettent des parties de primordiaux) et des personnages qui sortent d’un chapeau magique. Et là, difficile de ne pas évoquer le personnage de Vlad, qui d’une planche à l’autre apparait puis disparait, pour finalement devenir quelqu’un d’important sur la fin de l’histoire. Ces petits manquements ne gâchent en rien la lecture, mais ils sont là, et parfois, on tourne à deux fois les pages pour voir si l’on n’a pas manqué un truc.
Néanmoins, tout cela est magnifié par le talent incommensurable d’Anthony Jean. Peu prolifique, on comprend de suite pourquoi quand on voit la maestria de toutes les planches des quatre volumes. Non seulement c’est beau, mais il y a un vrai caractère derrière ces dessins et ces couleurs. Les tonalités sépia donnent un cachet ancien qui sied à merveille à l’époque, mais aussi à l’histoire. De plus, dans le quatrième tome, le dessinateur se lâche dans de grandes planches lorsque le doge raconte sa vie et l’arrivée des primordiaux. Le gigantisme de ces dessins est impressionnant et démontre la maîtrise sans pareil d’Anthony Jean. Mais même lorsqu’il faut faire des dessins plus petits, il y a des détails magnifiques, à l’image du laboratoire de Leonard de Vinci, ou encore de Venise lors de son bal. Tout cela concorde à faire de La Licorne une BD sublime.
Au final, La Licorne est une bande-dessinée qui fait partie de ces grandes réussites des années 2000/2010. Réussissant le pari un peu fou d’allier la science avec le fantastique pour réécrire l’Histoire, Mathieu Gabella signe un scénario addictif, rondement mené et qui s’appuie sur des faits réels. Grâce à Anthony Jean, la BD prend une ampleur incroyable, où le dessin délivré est absolument dantesque, donnant un charme dingue à l’ensemble. Bref, une BD intemporelle qui, comme le bon vin, s’améliore encore plus avec le temps.
Note : 17/20
Par AqME