avril 20, 2024
BD

La Bibliomule de Cordoue – L’Important, c’est le Livre

Auteurs : Wilfrid Lupano et Léonard Chemineau

Editeur : Dargaud

Genre : Aventure

Résumé :

Califat d’Al Andalus, Espagne. Année 976Voilà près de soixante ans que le califat est placé sous le signe de la paix, de la culture et de la science. Le calife Abd el-Rahman III et son fils al-Hakam II ont fait de Cordoue la capitale occidentale du savoir. Mais al-Hakam II meurt jeune, et son fils n’a que dix ans. L’un de ses vizirs, Amir, saisit l’occasion qui lui est donnée de prendre le pouvoir. Il n’a aucune légitimité, mais il a des alliés. Parmi eux, les religieux radicaux, humiliés par le règne de deux califes épris de culture grecque, indienne, ou perse, de philosophie et de mathématiques. Le prix de leur soutien est élevé : ils veulent voir brûler les 400 000 livres de la bibliothèque de Cordoue. La soif de pouvoir d’Amir n’ayant pas de limites, il y consent. La veille du plus grand autodafé du monde, Tarid, eunuque grassouillet en charge de la bibliothèque, réunit dans l’urgence autant de livres qu’il le peut, les charge sur le dos d’une mule qui passait par là et s’enfuit par les collines au nord de Cordoue, dans l’espoir de sauver ce qui peut l’être du savoir universel. Rejoint par Lubna, une jeune copiste noire, et par Marwan, son ancien apprenti devenu voleur, il entreprend la plus folle des aventures : traverser presque toute l’Espagne avec une « bibliomule » surchargée, poursuivi par des mercenaires berbères.

Avis :

Rien n’est plus important que le savoir. Il permet de lutter contre l’obscurantisme et l’ignorance, menant à un fanatisme religieux et à un contrôle des masses qui peut faire faire des catastrophes. En ce sens, l’un des derniers remparts pour le savoir et l’ouverture d’esprit reste la littérature. Les livres, peu importe le médium, sont les sources inépuisables de connaissances, permettant alors à l’Homme de grandir, aussi bien physiquement que philosophiquement. La Bibliomule de Cordoue, bande-dessinée écrite par Wilfrid Lupano (Le Loup en Slip et Les Vieux Fourneaux) et Léonard Chemineau (Edmond), peut se voir comme une ode à la lecture, aux livres, et à la préservation de ces derniers. A travers un road trip aussi drôle que dramatique, les deux auteurs vont tenter de montrer comment lutter contre l’obscurantisme religieux à l’aide de livres dont il faut absolument conserver les contenus.

L’eunuque, l’esclave et le voleur

Le point de départ de La Bibliomule de Cordoue prend appui sur des faits réels. Le califat est fragilisé par le jeune âge du calife et le vizir Amir saisit cette opportunité pour assoir une sorte de régence et mener de front une guerre contre le savoir pour s’acoquiner avec des extrémistes religieux très puissants. Dès lors, il décide de faire brûler tous les livres de la grande bibliothèque de Cordoue. Tarid, un eunuque amoureux de cette bibliothèque, va alors tout faire pour sauver un maximum de livres, avec l’aide de Lubna, une scribe esclave. Par chance (ou pas), il rencontre Marwan, un voleur qui possède une mule qui va servir de bête de somme pour sauver quelques manuscrits. Le trio va fuir Cordoue pour trouver un endroit où mettre à l’abri ces précieux ouvrages. Mais Amir lance un régiment à la poursuite des héros.

Ce voyage va permettre au scénariste de bien travailler ses personnages. Petit à petit, à travers les quelques trêves du récit, on va découvrir la jeunesse de Tarid et son amour inconditionnel pour les livres. On va aussi découvrir Marwan, aussi futile que désintéressé mais cachant un lourd passif, ou encore Lubna, ainsi que sa condition d’esclave au sein de la bibliothèque. La Bibliomule de Cordoue sera l’occasion de revenir sur une période historique très méconnue par chez nous, et qui délivre des conditions humaines intéressantes. Ainsi, les esclaves ne sont pas forcément malheureux en fonction de leur statut, et on se retrouve avec des faits historiques plus sanglants du côté du Nord. Tarid et Lubna ne se plaignent jamais de leur condition, car ils sont heureux, mangent à leur faim et ont des maîtres en qui ils ont confiance. On est loin de l’image traditionnelle de l’esclave battu.

Transmettre

Outre des personnages bien travaillés et qui sont révélateurs d’une époque révolue, La Bibliomule de Cordoue apporte beaucoup d’éléments de réflexion dans son déroulé. Bien évidemment, le thème central reste le livre. Il est l’outil privilégié pour apprendre, savoir et être un esprit éclairé. Il est le symbole de la lutte contre l’ignorance et la montée d’une sorte de fascisme. Mais toute l’intelligence de cette bande-dessinée réside dans le fait que TOUT livre est important. Du manuel d’algèbre à la simple histoire inventée, du récit historique au précis de biologie, tout livre possède sa magie et son intérêt. Et il va permettre aux personnages de se sortir de bien des situations. Par exemple, lorsque Tarid est blessé, c’est grâce à un livre que Lubna peut faire un cataplasme et le sauver. Lorsqu’ils ont faim, c’est grâce à une histoire racontée qu’ils vont récolter des figues.

L’intelligence du propos se situe donc à un juste équilibre des choses dans la littérature. Tous les domaines sont vus à la même échelle et ils sont tous importants. On pourrait presque résumer cela à : il vaut mieux savoir un peu de rien sur tout, que tout sur rien. A travers cet amour du livre, les auteurs en profitent aussi pour tisser des thèmes universels. Ainsi donc, la peur est ce qui mine l’humanité, et en ce sens, les livres peuvent apporter du réconfort. Tout comme ils n’ont pas besoin d’être décorés avec opulence, ce qui compte par-dessus tout, c’est le contenu du livre. A chaque étape de l’histoire, le livre reste sacralisé, mais pas en tant qu’objet matériel, mais plus comme transmetteur de savoirs. Un savoir qui peut aussi se trouver dans les annotations de pages, dans les petits dessins que l’Histoire ne cesse d’encourager, pour mieux évoluer.

Le futur alors ?

Si La Bibliomule de Cordoue prend place dans un contexte historique particulier, on va se retrouver avec des thèmes qui sont toujours d’actualité. Outre l’importance du livre qui part un peu à vau l’eau (combien de gens de notre entourage lisent vraiment ?), on va voir que la population préfère rester dans l’ignorance pour vivre une vie sans peur. Pour autant, lorsque l’on commence à lui lire une histoire, elle se rend compte que cela permet de passer un bon moment, de rêver, d’oublier son quotidien de misère. La littérature est salvatrice d’un monde souvent moribond. Mais que va devenir le livre dans quelques années ? C’est la question que pose le final de cette BD, démontrant, avec intelligence et sans morale assommante, que la dématérialisation est peut-être ce qui va tuer l’accès aux livres, à la connaissance et nous maintenir dans l’ignorance.

Au final, La Bibliomule de Cordoue est une BD importante et qui distille des axes de pensées intelligents. Prônant l’amour du livre, du savoir et de la transmission, les deux auteurs font une belle déclaration d’amour à un objet qui, on l’espère, ne sera pas voué à disparaître. Porté par un dessin à la fois simple et riche, mettant en avant un contexte historique trop peu connu et des personnages attachants, La Bibliomule de Cordoue fait partie de ces œuvres majeures qui ont du fond, usant d’un thème universel pour tisser des réflexions encore et toujours d’actualité. Un régal.

Note : 17/20

Par AqME

AqME

Amateur d'horreur, Métalleux dans l'âme, je succombe facilement à des images de chatons.

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