Acteur, réalisateur, metteur en scène de théâtre, à trente-quatre ans, Christophe Daci a déjà une bien jolie carrière derrière lui.
Après une formation en théâtre et cabaret à Beauvais, Christophe Daci s’installe sur Paris au cours des années 2000, avec cette envie de raconter des histoires. Commençant à travailler sur des tournages, très vite, il occupe des postes de directeur de casting et d’assistant de mise en scène. Ainsi, pendant une dizaine d’années, il va collaborer avec des noms tels que Noémie Lvovsky, Léos Carax, Olivier Assasyas, Kim Chapiron, Riad Sattouf, Louis Garrel, Alain Tasma ou encore Sylvie Verheyde. En parallèle de ça, il commence à réaliser et met en scène des clips et réalise des courts-métrages, dont certains recevront plusieurs prix à travers le monde.
En 2019, avec toujours cette envie de raconter des histoires et ça, sous plusieurs formes, il crée avec Julien Garcia, sa compagnie de théâtre, Les Malappris et c’est ainsi qu’il met en scène son premier spectacle. Un spectacle joué au Théâtre du Gouvernail depuis presque deux ans maintenant. Deux ans entrecoupés de fermetures « Covidiennes » et autres incertitudes, mais un spectacle qui malgré tout résiste et mieux encore, fait salle pleine tous les soirs.
C’est dans un café parisien que le jeune metteur en scène nous a donnés rendez-vous pour évoquer au cours d’un long entretien son parcours. Simple, spontané, passionné, au cours de deux heures d’une discussion, on aura évoqué Les Malappris, sa pièce « Grand’Peur & Misère du IIIE Reich » de Bretch, ses inspirations, ses désirs, ses craintes, ses comédiens, son envie de cinéma, de théâtre et plus largement de raconter des histoires, le Covid se sera invité par-là, la société d’aujourd’hui, et même quelques étonnants conseils cinéma qui sont toujours les bienvenus.
Lavisqteam : Bonjour, pour commencer, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ? Qui êtes-vous et quel est votre parcours ?
Christophe Daci : Je m’appelle Christophe Daci, je suis comédien, metteur en scène et réalisateur. J’ai commencé dans le cinéma en tant qu’assistant-réalisateur et directeur de casting. J’ai travaillé avec des gens comme Noémie Lvovsky, Léos Carax ou Riad Sattouf, et travailler à leurs côtés était la meilleure école que je pouvais avoir. J’ai fait aussi plein de petits boulots, car j’avais vraiment envie de découvrir ce que c’étaient les métiers du cinéma.
En parallèle de ça, j’ai aussi fait une école de théâtre, de chant et de danse. Puis, il y a quelques années (2017), j’ai réalisé un court-métrage qui s’appelle « Luis et les autres » qui a été primé en Festival. Aujourd’hui, je mets en scène ma première pièce, « Grand’Peur & Misère du IIIe Reich » de Bertolt Bretch.
L : Est-ce que vous pouvez nous dire comment sont nés « Les Malappris », la compagnie de théâtre que vous avez créée ?
CD : Les Malappris, c’est une compagnie que j’ai créée en 2019 dans le cadre de la création de mon premier spectacle, « Grand’Peur & Misère du IIIe Reich« . C’est une compagnie que j’ai créée avec mon meilleur ami Julien Garcia qui est aussi comédien. J’avais envie de m’exprimer au théâtre qui est une forme d’expression qui est très différente du cinéma. J’avais envie de raconter une histoire au théâtre. J’avais plusieurs textes en tête et un jour, c’est celui-ci qui est devenu une évidence. Ça ne pouvait être que celui-là. Si au départ, nous n’étions que nous deux, une fois que j’ai eu le texte, s’est alors greffé les comédiens et les techniciens.
L : D’où te vient cette envie de mettre en scène ?
CD : L’envie de mettre en scène (Il réfléchit.). C’est compliqué comme question, car ça va paraître un peu cliché ce que je vais dire, mais c’est plus fort que moi. J’ai vraiment besoin de m’exprimer. Depuis tout petit, j’ai toujours eu envie de raconter des histoires. Ce n’est pas toujours passé par le théâtre ou le cinéma, mais j’ai toujours eu ce désir au fond de moi. J’ai envie de partager avec les gens et notamment de les faire rire. Bon, il se trouve que là, la pièce est dramatique, mais je réussis quand même à les faire rire, ce qui me fait extrêmement plaisir, car ça fait vraiment partie de ma façon de partager les choses et de voir le monde.
Après, je pense aussi qu’à mon envie de base, en grandissant, en découvrant le cinéma, en découvrant le théâtre, en découvrant la littérature, j’ai eu envie de moi aussi raconter. Je pense à plein de réalisateurs lorsque j’ai découvert leurs films. Je n’avais pas dans l’idée de refaire quelque chose qui a déjà été fait, mais plutôt dans l’envie de me dire « – Ah oui, donc on peut raconter des histoires comme ça ! Bah moi, j’ai envie de raconter, mais à ma manière. »
L : Comment naît chez vous l’envie d’un projet ? Qu’est-ce qui fait que vous vous arrêtez sur un sujet ?
CD : L’envie d’un projet… C’est drôle que vous me posiez les questions, parce que je me suis interrogé dessus il n’y a pas longtemps. Je suis en train de travailler sur mon projet spectacle et c’est marrant parce que souvent, ça part de détails totalement insignifiants et ce détail parmi d’autres va peu à peu s’imposer et devenir essentiel.
Je vais prendre comme exemple « Grand’Peur & Misère du IIIe Reich« . Je savais que je voulais faire quelque chose au théâtre. J’avais plusieurs textes en tête, et c’est un jour où je marchais dans la rue, j’ai vu une femme au téléphone se disputer avec son mari. Je ne sais pas pourquoi, mais ça m’a rappelé le texte de la femme juive. Je n’avais pas encore ressorti le texte de Brecht, et pourtant, ça me l’a rappelé de suite. C’est vraiment un détail, ça me paraît même insignifiant maintenant que j’ai monté le spectacle. Le sujet est bien plus fort que cette scène, et pourtant. Après, en relisant le texte, ce n’est pas le sujet de base qui m’a fait venir vers le texte et vers le spectacle. Non, ce sont plutôt les petits moments de quotidien qui se passent à l’intérieur. Certes, il y a le fond historique, mais ce que j’ai voulu mettre en lumière dans le spectacle, c’est tous les petits détails et les petits liens entre les personnages.
Autre exemple, pour mon court-métrage « Luis et les autres« , j’avais lu une nouvelle, il y a très longtemps, de Dukovski qui s’appelle « L’amour pour dix-huit dollars cinquante« . Des années après, j’étais en train d’écrire un court-métrage, je me suis endormi, j’ai rêvé de ce truc-là. Le lendemain matin, je me suis dit, je sais ce que je vais faire, et j’ai écrit « Luis et les autres » très rapidement, alors que l’autre m’a pris beaucoup de temps. Comme quoi, ça ne devait pas être si évident que ça. Ça part donc souvent de détails insignifiants et ça devient essentiel en fin de compte.
L : Pourquoi Bretch ? Qu’est-ce qui vous a donné envie d’explorer ce texte ? Et d’ailleurs comment connaissez-vous ce texte ?
CD : Pourquoi Bretch ? Bretch est un auteur que j’aime beaucoup de base. C’est un auteur que j’avais lu pendant mes études, et c’est un auteur qu’on étudie beaucoup en école de théâtre. Souvent en conservatoire ou en école de théâtre, il y a toujours une scène de Brecht à droite ou à gauche. C’est un peu un incontournable. Il est régulièrement joué à Paris, en France et dans le monde. D’ailleurs, il y a beaucoup de gens qui connaissent le texte, et qui viennent voir le spectacle.
Après ce texte précis ? Il y a trois faits qui me viennent en tête. Le premier, je vous ai déjà dit comment j’y suis venu, mais le pourquoi je l’ai choisi ? Et bien parce que ça a fait sens pour moi. En ce moment, on parle beaucoup de dictature. C’est un mot qui est beaucoup utilisé. On l’utilise là maintenant, pendant la crise sanitaire, mais on l’a aussi entendu à la télé quand il y avait toutes les polémiques sur les comiques qui ne pouvaient plus faire des blagues. On a parlé aussi de dictature des réseaux sociaux, et même au niveau du gouvernement. Souvent, quand ils veulent faire passer quelque chose, on parle de dictature et sans porter de jugement sur le fait que ce soit vrai ou pas, c’est une notion qui m’a toujours intéressé.
Le texte de Bretch parle clairement de la montée d’une dictature, c’est l’avènement de Hitler sur le IIIe Reich. Ça m’intéressait de partir sur quelque chose qui fait encore écho à notre histoire. On prend ça comme un fait historique assez lointain, mais finalement, ce n’est pas si éloigné de nous que cela et si l’on regarde bien, dans notre société, on trouve encore des séquelles liées à cela. Cette notion de dictature, et notamment dictature sanitaire, on la retrouve aussi dans les débats qui animent la société aujourd’hui. Le Covid est passé par là et avec tout ce qui a suivi et la réaction des gens après le spectacle, je me suis dit que le texte de Bretch résonnait en quelque sorte étrangement avec l’actualité. Les gens ont beaucoup parlé pour protester contre les mesures prises. On a même pu entendre parler de IVe Reich, ça m’a beaucoup été cité pendant la promo sur le spectacle par des gens sur les réseaux sociaux. Ils venaient commenter, ils disaient souvent « – Oui, c’est maintenant la dictature… ». Et je trouve, que ce soit vrai ou non, que ça raconte quelque chose sur notre société et à travers « ces témoignages », et je pense que le texte de Bretch trouve un écho dans ce qui se passe, ou du moins dans les ressentis de certaines personnes.
Le deuxième qui me vient, alors qu’on préparait le spectacle (on joue dans un théâtre qui est dans le dixième arrondissement), il y a des croix gammées qui ont été taguées tout autour du théâtre. Ce triste évènement n’a fait qu’appuyer la résonnance du texte de Bretch à notre époque.
Puis il y a un troisième élément, et c’est peut-être l’un des plus importants. On a connu les attentats du 13 Novembre 2015 et c’est quelque chose qui m’a profondément marqué. Quand on pense à la Seconde Guerre Mondiale, dans notre génération, on y pense souvent comme un fait historique. C’est une partie de l’histoire, et il y a une forme de distance qui se crée. Malgré les témoignages et tout ce que l’on sait, on a du mal à se rendre compte de ce que les gens ont vraiment vécu.
En fait, je trouve que lorsqu’on raconte un fait historique, on occulte beaucoup de ce qui s’est passé, conservant les grandes lignes, les batailles, le nombre de morts, les grands faits historiques et les horreurs. Bien souvent, on oublie toutes les petites choses du quotidien. Pendant la montée d’Hitler, il y a des gens qui ont vécu des histoires d’amour, des histoires de frères et sœurs, des gens qui ont vécu des histoires avec leurs voisins et le texte de Bretch, qui est fait à partir de vrais témoignages, s’arrête beaucoup là-dessus et je trouve que ça donne encore plus de sens. Dans le texte par exemple, il y a deux voisins qui se dénoncent mutuellement. C’est un détail, ça n’a pas changé l’histoire, mais je trouve que ça raconte beaucoup de chose. Ça raconte le climat et la tension qui régnaient à cette époque-là. Lorsque j’ai relu le texte de Bretch avec mon regard d’adulte, il ne résonnait pas du tout de la même manière que lorsque je l’avais découvert pendant mes études. Je me suis rendu compte par exemple d’un détail tout bête, mais lorsqu’on vit une histoire d’amour dans ce contexte-là, forcément cette dernière est impactée et j’avais envie de raconter ces petits détails-là.
L : Est-ce que vous pouvez nous en dire un peu plus sur la pièce ? Le texte original comprend bien plus de saynètes. Il y a en vingt-quatre et parmi elles, vous n’en avez retenu que dix. Pourquoi ? Est-ce les plus importantes à vos yeux ? Qu’aviez-vous envie de raconter à travers elles ?
CD : Effectivement, le texte original contient vingt-quatre saynètes. Moi, j’ai choisi d’en retenir que dix parce que j’ai choisi à travers elles celles qui ne traitaient que des rapports humains, à savoir frère et sœur, mari et femme, collègues de travail, voisins…
C’était très important pour moi d’aller au plus proche de ce que les gens avaient vécu dans leur intimité. Les autres saynètes traitaient aussi du rapport humain, mais de manière plus indirecte. Il y en a sur la justice, il y a une saynète avec des physiciens, mais même si elles sont toutes très intéressantes, si elles racontent toutes quelque chose, elles n’allaient pas dans l’intime de la famille ou des relations. Le spectacle s’ouvre sur deux soldats qui parlent. Là, comme ça, c’est la seule scène où il n’y a pas vraiment de lien entre ces deux hommes et pourtant, outre le fait que j’avais envie d’ouvrir le spectacle avec une scène qui pose le décor. De suite, avec ses deux soldats, on comprend où l’on est, et ce qui peut se passer. Mais plus que le décor, si ces deux hommes n’ont pas de lien, ils sont quand même connectés. Il y a ce lien de soldat à soldat. Deux hommes qui s’apprêtent à vivre quelque chose de plus grand qu’eux, comme si leur vie pouvait aussi dépendre de l’autre, et ça, cette sensation, c’est très intime et c’est vraiment ce que je voulais pour ce spectacle.
L : J’ai vu que vous étiez aussi réalisateur. Est-ce qu’il s’est posé à moment donné la question de choisir entre l’image ou la scène pour raconter ce texte ?
CD : Oui totalement. Quand j’ai monté la compagnie des Malappris, je pensais à la création d’un spectacle. Mais quand j’ai commencé à travailler sur le spectacle avec les acteurs, je pense que c’est plus fort que moi, j’aime tellement le cinéma, que ça m’est revenu et j’ai pensé un moment faire un court-métrage sur la scène de la femme juive, parce que j’adore l’actrice Souri Dekker, et je la trouvais vraiment bouleversante. Puis il y a aussi que plus l’on travaillait, et plus je me disais, je veux que ça reste. Il y a quelque chose de très beau, mais éphémère en même temps, dans le théâtre, c’est que ça ne reste pas. Mais finalement, il y a quelque chose que j’aime beaucoup avec le théâtre dans lequel on joue, c’est qu’il est intime. C’est un petit théâtre, où les comédiens sont très proches du public, et le fait d’être aussi près donne l’impression parfaite d’être avec eux à table et ça, c’est vraiment génial, surtout avec un sujet pareil, car je trouve que ça t’implique tout de suite dans l’histoire. Avec cette proximité, il n’y a pas de quatrième mur, on est de suite avec eux, et le cinéma ne me permettait pas vraiment de faire ça. Après, avec la réalisation des teasers pour le spectacle, j’ai dans un sens assouvi cette envie, en filmant mes comédiens, mais aussi la lumière, car tout le spectacle a été conçu sur la lumière du cinéma expressionniste allemand et c’est le moyen que j’ai trouvé pour raconter aussi ça en image.
L : Pourquoi se lancer dans un sujet aussi difficile, surtout pour une jeune compagnie sans tête d’affiche connue ? Est-ce que vous aviez des peurs autour du spectacle ? Notamment autour de l’interprétation du spectacle lui-même, surtout à une époque où beaucoup de choses font polémique.
CD : non, je n’avais pas peur du tout, parce que quand je crée, je ne m’impose pas de censure. Je fais confiance à mon humanité d’un côté et au public de l’autre. Je pense que la création et la censure ce n’est pas possible. On a tellement de barrières, financières, techniques, il y a plein d’éléments qui viennent dans la création d’un spectacle, alors si je devais m’imposer une censure morale, alors là, je ne fais plus rien. Et je le redis, il faut faire confiance au public.
Après, pour la troupe et le fait de travailler avec des acteurs pas connus, c’est très intéressant que vous me posiez la question, car c’est quelque chose que je recherchais en quelque sorte. J’ai entendu Alexis Michalik en parler il n’y a pas longtemps et j’étais en total accord avec lui. Il disait qu’il montait ses spectacles sans têtes d’affiche pour donner la chance à de jeunes acteurs, et que le public, si la pièce est bonne, se déplacerait. Il voulait présenter de nouveaux visages et de nouveaux talents. Je suis comédien moi-même, et j’aime cette idée de donner sa chance à des gens qu’on ne connaît pas. Dans mes comédiens, j’ai des acteurs qui viennent de tout horizon avec certains qui avait déjà une belle carrière et d’autres qui commençaient et l’idée de mélanger tout le monde, pour que chacun y apporte sa personnalité, me plaît énormément et je pense que j’aurais toujours cette envie de travailler comme ça.
L : Avez-vous rencontré des difficultés pour monter ce spectacle ? L’idée de faire une pièce autour de la montée du nazisme peut faire peur, aussi bien du côté des théâtres qui pourraient être réticents à jouer ce genre de pièce, que du côté des comédiens.
CD : Alors en termes de production, non, j’ai eu la chance de travailler avec des gens qui m’ont fait confiance tout de suite. Le sujet est loin d’être anodin, alors bien sûr, j’ai expliqué où je voulais aller dans le spectacle, dans quel sens je voulais aller et pourquoi je voulais y aller. Après cet entretien, je peux presque dire que j’ai eu carte blanche.
Et avec les acteurs, pendant que je faisais passer des castings, oui, certains, quand ils ont eu le texte entre les mains, m’ont dit non. C’était trop compliqué comme sujet, et ça pouvait faire peur, ce que je comprends tout à fait.
L : Comment avez-vous choisi vos comédiens ? Et d’ailleurs qui sont vos comédiens ?
CD : Sur le plateau, il y a sept comédiens. Souri Dekkers, Léna Soulié, Maxime Canat, Loïc Renaudier, Joseph Dekkers, Sévan Krimian et Ghislain Carré. Il y a une partie des comédiens que j’ai choisis lors d’auditions et d’autres avec qui j’avais travaillé en tant que comédien. C’est le cas de Souri Dekker, Joseph Dekkers et Ghislain Carré. J’avais tellement apprécié le rapport qu’on avait en tant que partenaires de scène, que j’avais envie de travailler avec eux.
Ce qui était très important pour moi, au moment du casting, et de la préparation, c’est que chacun vienne avec ce qu’il a apporté. À aucun moment, je ne voulais les brider et pourtant, je suis assez exigeant dans ce que je voulais, mais je voulais aussi qu’ils amènent quelque chose d’eux même. J’avais l’idée, en arrivant, de où je voulais aller avec ce spectacle. Et je suis extrêmement touché et ultra reconnaissant du travail qu’ils ont fourni sur ce spectacle. Ils ont tellement apporté à ce spectacle. Chaque comédien a sa couleur, comme je le disais, ils viennent de théâtres et d’arts différents et grâce à eux, le spectacle a encore pris dix fois plus de sens que ce à quoi je pouvais m’imaginer. Ils ont tellement d’humanité et ils ont tellement de bienveillance et de sérieux dans leur travail. Ils ont tellement apporté que parfois, j’ai l’impression que le spectacle m’échappe un peu et grâce eux, grâce à leur talent, grâce à leur force, parfois, je suis redevenu spectateur de mon propre spectacle, et ça, c’est très fort et je leur serais toujours reconnaissant.
L : Votre mise en scène dégage quelque chose de très cinématographique. L’ambiance, les lumières, la musique, la technique. Comment avez-vous créé cette pièce ? Aviez-vous des sources d’inspiration théâtre ou cinéma ?
CD : Je n’ai pas cherché à avoir un rendu à tout prix cinématographique, mais je me suis aperçu que mon langage, et dans la manière même que j’avais de présenter le projet aux comédiens, avait quelque chose de cinématographique. Déjà de par les références, par exemple. Il y a des films qui m’ont inspiré et que j’ai demandé aux acteurs de voir, « To Be Or Not To Be » de Lubitsch, il y avait aussi « Journal d’une femme de chambre » de Buñuel. À l’une des actrices, je lui ai demandé de voir « 8 Femmes » d’Ozon. Il y a un certain langage dans les années 30 qui est propre à cette époque-là. Ils avaient une manière de ponctuer les phrases que j’avais envie de retrouver dans le spectacle, et ça, tout en essayant aussi de garder le plus possible le naturel de l’actrice, qui a son propre langage.
Je me suis aperçu aussi quand on a travaillé à la création de la lumière et le choix des axes, que je n’avais pas du tout envie de quelque chose de symétrique. J’avais envie qu’il y ait comme des travellings, c’est pour ça que la lumière parfois réduit à un moment précis d’une scène, comme si l’on faisait un gros plan et après, on réouvre pour avoir un plan d’ensemble. J’ai travaillé comme ça, et je me suis aperçu que lorsque je parlais aux techniciens, je parlais comme si j’étais sur un plateau. Ce langage est sûrement dû au fait que le cinéma est mon expérience principale de travail et du coup mon vocabulaire correspond au cinéma. Du coup, je pense que ça se ressent dans mon travail, mais je n’ai pas cherché à faire quelque chose de cinématographique.
L : Comment vit une pièce de théâtre à l’époque du Covid ? Comment composer avec l’incertitude ? D’autant plus que le spectacle a été arrêté. Aviez-vous des appréhensions à la réouverture des salles de théâtre ?
CD : Alors on ne le vit pas, non, non, on le survit ! Je ne vais pas vous cacher que ça a été très difficile et j’ai eu la crainte que le spectacle ne se fasse plus. La crise sanitaire nous a complétement dépassé, on ne s’y attendait tellement pas et le Covid n’a fait qu’impacter le spectacle. Il a impacté nos vies à tous, et ça s’est ressenti dans mon travail.
Ça a été très frustrant de mettre en scène le spectacle, d’être prêt, d’avoir fait la générale, tous les filages et de voir le spectacle s’arrêter net après quelques représentations. Ça a été brutal, avec les comédiens et les techniciens, on s’est quitté un soir en se disant à la semaine prochaine et il n’y a jamais eu de semaine prochaine. Enfin, il y en a eu une, mais ça a été huit mois plus tard. En plus de ça, il faut savoir que lorsque les théâtres ont réouvert, le spectacle se décalait. Mon spectacle qui était décalé et décalait celui des autres, et pour ceux des autres qui ont eu la chance de tomber en dehors des confinements, c’était injuste pour eux, qu’ils soient décalés. Du coup, il a fallu attendre. Après, il faut toujours voir le bon côté des choses et finalement, je suis très content, car on a pu retravailler la pièce et de ce qu’on a apporté en plus. Ce qui est assez drôle, c’est que dans la deuxième version du spectacle, il est bien plus drôle. Je n’ai jamais cherché à faire ni un drame, ni une comédie. Il y a l’écriture de Bretch, ce qu’elle amène d’elle-même, comme l’ironie, mais j’ai pu constater qu’avec quelques petits changements, les gens riaient beaucoup dans la salle. Je ne sais pas si c’est l’époque, les confinements, le fait que chacun arrive avec son « bagage du covid », mais les changements ont apporté quelque chose en plus et ça fait du bien de voir une salle réagir.
L : J’ai vu qu’en plus d’être metteur en scène et réalisateur, vous étiez aussi comédien. Avez-vous une préférence entre la mise en scène ou l’acting ?
CD : Je préfère mettre en scène. J’adore le métier d’acteur et j’ai toujours plaisir à le faire. Ça demande beaucoup d’énergie et d’implication d’être acteur. Le métier de metteur en scène aussi bien sûr, mais en fait, j’ai envie de dire, malgré ma préférence, que ça dépend des périodes. Il y a des moments où j’ai plus envie de jouer et d’autres où j’ai plus envie d’être derrière et je dois dire que j’ai eu de la chance, car jusqu’à maintenant, ça s’est toujours bien goupillé. En ce moment, je joue au théâtre dans « Une noce et un jubilé » de Tchekhov, qui est un spectacle qui est arrivé juste après un autre spectacle de Tchekhov, « L’ours et une demande en mariage » qui est un spectacle qu’on a beaucoup joué et qui part en tournée en Mars prochain. Après, j’ai envie de faire une comparaison, car le métier d’acteur ou le métier de metteur en scène peuvent se ressembler. C’est un peu comme si un peintre peignait au pinceau d’un côté et d’un autre au couteau. Van Gogh avait ces deux méthodes et l’un comme l’autre, de ces deux métiers, l’un des buts est de raconter une histoire et j’aime avoir ces deux choix et de pouvoir passer de l’un à l’autre.
L : Quels sont vos futurs projets ?
CD : Actuellement, j’ai « Grand’Peur & Misère du IIIe Reich » qui au théâtre du gouvernail tous les lundis. Je joue en tant qu’acteur dans « Une noce et un jubilé » de Tchekhov au Guichet Montparnasse qu’on joue jusqu’à fin Décembre. Je suis en ce moment en répétition sur « Les trois sœurs » de Tchekhov. Je suis très content de faire ce spectacle, je rêvais que quelqu’un me propose ce spectacle, et d’ailleurs, je prends même des cours de violon en ce moment pour être au plus juste. Je vais faire aussi la prochaine pièce de Mathilde Salmon. Et enfin, je prépare mon prochain spectacle. Je suis actuellement en écriture de la deuxième version. Ça va être un spectacle musical qui sera sur le thème de la grande distribution. Puis j’aimerais bien refaire un film l’année prochaine. J’ai une idée de scénario que je suis en train d’écrire un peu au compte-goutte. C’est un scénario qui mûrît avec le temps, car j’ai été très pris par mes projets de comédien. Du coup, je l’ai un peu lâché de temps en temps, mais j’y reviens toujours. Et tourner, ça me manque, je dois dire.
L : Enfin dernière question, et c’est une question cinéphilique. Y a-t-il un film que vous adorez et que vous ne trouvez pas assez connu, que vous pourriez nous conseiller ?
CD : Alors, alors, alors… Il y a une série en ce moment que je découvre et je trouve qu’elle est passée inaperçue, c’est « Mon Comeback » de Lisa Kudrow. C’est produit par le mec qui a fait « Sex and The City« . C’est écrit par Lisa Kudrow et je trouve que ça raconte bien la complexité du métier d’acteur. Ça raconte bien à quel point tu peux t’oublier toi-même en tant que personne, alors que ça n’en vaut pas forcément la peine. Il y a des moments dans une vie de comédien, le projet sur lequel tu travailles, tu as l’impression que c’est la chose la plus importante au monde, il n’y a rien de plus important que ça, alors que si tu regardes bien, finalement, c’est qu’un métier, c’est ton métier, mais ça reste qu’un métier.
C’est bizarre, je ne regarde pas beaucoup de séries et là, j’ai presque que des séries qui m’arrivent en tête. Du coup, il faut aussi voir « Broadchurch« , ne serait-ce que pour Olivia Colman et David Tennant. Puis il y a une série moins connue, alors qu’elle mérite bien plus, c’est « Happy Valley« , et j’espère vraiment qu’ils vont faire une saison trois. D’ailleurs, si le producteur de « Happy Valley » lit cette interview, sachez que j’attends (rires). Puis en film, j’ai envie de dire qu’il faut voir « Looking for Richard » qui est un film réalisé par Al Pacino. Puis il y a aussi « Pas de printemps pour Marnie« , qui est un Hitchcock que j’aime énormément et je trouve que dans sa carrière, ce n’est pas celui que les gens retiennent, citant d’autres titres comme « Vertigo« , « Psychose » ou « Rebecca« , alors que celui-là mérite tout autant.
L : Christophe Daci, merci.
CD : Non, merci à vous.
Propos recueillis par Cinéted