Titre Original : Man in the Shadow
De : Jack Arnold
Avec Orson Welles, Jeff Chandler, Colleen Miller, Ben Alexander
Année : 1957
Pays : Etats-Unis
Genre : Western
Résumé :
Virgil Renchler dirige d’une main de fer le « Golden Empire Ranch », une exploitation agricole prospère qui fait vivre à elle seule la petite ville de Spurline, au Texas. Tout le monde en ville lui doit sa subsistance. Aussi, chacun respecte-t-il le magnat, à défaut de l’aimer. Lorsque ses contremaîtres battent à mort un ouvrier mexicain, le shérif Ben Sadler hésite à mener une enquête. Mais la morale l’emporte, et Ben décide d’affronter Renchler, quitte à perdre son travail, voire à menacer l’existence de la ville.
Avis :
À plus d’un titre, le cinéma américain des années 1950 marque un tournant dans l’histoire hollywoodienne. La décennie se distingue par la production de blockbusters spectaculaires et des chefs d’œuvre intemporels. On songe à des classiques tels que Fenêtre sur cour, Le Pont de la rivière Kwaï ou Un Tramway nommé désir. La période se caractérise aussi par le contexte de la guerre froide, influençant le cinéma de genre, en particulier la science-fiction et le fantastique. C’est dans ces derniers registres que Jack Arnold se fait un nom en tant qu’artisan du bis. Par exemple, L’Étrange créature du lac noir, Tarantula ou Le Météore de la nuit. Cependant, sa filmographie s’égrène d’autres styles, comme c’est le cas avec Le Salaire du diable.
Avant de s’atteler au présent métrage, le réalisateur s’est essayé au film noir, ainsi qu’au western. À l’évocation des Filles de la nuit ou de Tornade sur la ville, ces projets ne sont guère passés à la postérité, du moins auprès du grand public. Pourtant, Le Salaire du diable s’avance comme une synthèse de ses précédents travaux. Bien que contemporain, l’environnement rappelle l’Ouest lointain, ses plaines et reliefs arides qui s’étendent à perte de vue. Les codes du western se retrouvent aussi dans l’organisation sociale d’une petite communauté, voisine d’un ranch qui s’apparente à un état à part entière. On peut également s’attarder sur la caractérisation des personnages où l’on tient les stéréotypes du genre, même s’ils sont bien campés.
« Il s’en dégage un propos humaniste et sincère. »
Quant aux fondamentaux du film noir, on les distingue dans la mise en scène. Le réalisateur démontre une propension évidente à magnifier les passages nocturnes, souvent représentés dans des lieux isolés ou hors de toute juridiction. Ce qui accroît la sensation de vulnérabilité et d’impuissance. À cela s’ajoutent des séquences en intérieur qui viennent parfaire le cadre. On n’en oublie pas la dimension sociale inhérente à ce style cinématographique. En l’occurrence, les notions de justice et d’éthique sont remises en cause, selon le statut des individus. Il s’agit ici d’opposer les citoyens américains aux immigrés mexicains, dont la seule nationalité suffit à justifier des crimes à leur encontre.
Cet aspect du film renvoie à une problématique sociétale universelle où la vie d’un étranger ne possède guère de valeur. Le discours demeure pertinent (et reste encore d’actualité) pour faire respecter la loi, et ce, malgré l’opinion publique. L’approche est inattendue et bienvenue pour nuancer cette confrontation manichéenne entre le shérif et le propriétaire du ranch. Il s’en dégage un propos humaniste et sincère où le confort matériel des uns ne peut prévaloir sur les conditions de vie des autres. En raison de la brièveté du film, l’histoire ne s’embarrasse guère de préambule ou de scènes d’exposition. Le rythme demeure constant pour une progression fluide et sans fioritures.
« Le Salaire du diable est un métrage à la confluence du western et du film noir. »
Ce choix s’observe également dans le déroulement de l’enquête. Elle reste assez basique, en matière d’investigations. Celles-ci sont d’ailleurs souvent entrecoupées pour multiplier les confrontations, les tentatives d’intimidation et autres règlements de compte. Le scénario privilégie les conséquences à une approche méthodique, presque froide, du travail de shérif. L’influence malmène aussi bien la vie sociale de la communauté que les individus eux-mêmes. Soit dit en passant, le charisme des deux acteurs principaux et leur interprétation respective apportent une tension essentielle pour crédibiliser leur affrontement ; que ce dernier présente un caractère passif ou explicite.
Au final, Le Salaire du diable est un métrage à la confluence du western et du film noir. Là où on aurait pu s’attendre à une modeste production des années 1950, on découvre une œuvre engagée. À travers un crime impuni, jugé « mineur », Jack Arnold interpelle le spectateur sur le sort réservé aux laissés-pour-compte, à l’exploitation d’une main-d’œuvre corvéable à merci. Si l’histoire ne révèle pas de surprise probante quant à son déroulement, elle n’en reste pas moins maîtrisée, menée avec une implication non feinte. On pourrait même avancer que le film avance les bases saines pour la prochaine collaboration (et chef d’œuvre d’exception) entre Orson Welles et le producteur Albert Zugsmith : La Soif du mal.
Note : 15/20
Par Dante