Auteurs : François Durpaire et Farid Boudjellal
Editeur : Les Arènes
Genre : Politique
Résumé :
Le 7 mai 2017, Marine Le Pen est élue première Présidente de la République.
Elle vient de battre François Hollande de quelques dizaines de milliers de voix. C’est l’effervescence sur les plateaux télé. Éditorialistes, politologues, politiciens se succèdent, incrédules. Tard dans la nuit, des partisans de la nouvelle présidente fêtent la victoire. Des affrontements éclatent sporadiquement.. La Présidente est un récit graphique d’anticipation politique, concentré sur les neuf premiers mois du mandat de Marine Le Pen, étayé par une parfaite connaissance des mécanismes économiques, médiatiques et institutionnels. Une plongée dans un futur incertain et chaotique.
Avis :
Peut-on concilier culture et politique en conservant toute son objectivité ? Une interrogation pour le moins délicate qui revêt une importance particulière avec La présidente, œuvre à mi-chemin entre le roman graphique et la bande dessinée classique. Si les satires politiques sont légion, le traitement d’anticipation sur un événement contemporain l’est beaucoup moins. Aussi, les auteurs extrapolent sur la victoire de Marine Le Pen aux élections présidentielles. Improbable, farfelu, inopiné, honteux, voire même impossible pour certains ? Tout comme les idées politiques qu’elle véhicule, voilà une trilogie qui suscite la polémique et divise sur bien des points.
L’avant-propos du premier tome tend à placer le lecteur face au contexte actuel et à ses responsabilités. Il ne s’agit pas de braquer les électeurs ou les partisans du front national contre leurs convictions, mais de démontrer qu’il n’existe aucun idéal à se complaire dans l’extrémisme. Mieux que cela, les auteurs s’appuient sur le programme du parti de Marine Le Pen pour développer leur histoire. Ainsi, on passe en revue les différents thèmes chers à tant de personnes bien-pensantes. Immigration, sécurité, surveillance, économie, éducation… Au vu de chaque problématique avancée, on devine un contenu dense.
La principale difficulté étant de vulgariser des sujets complexes et de les faire se succéder sur un nombre de planches restreint sans avoir l’impression de les survoler ou de les négliger. On reste néanmoins nettement au-dessus de la moyenne d’une BD classique en avoisinant les 150 pages pour chaque tome. Cela étant dit, l’intrigue demeure relativement fluide. On découvre ainsi les coulisses du pouvoir avec des points de vue tranchés et un langage qui l’est tout autant. Le traitement un rien cynique et sans concession n’est pas sans rappeler House of Cards. Entre temps, c’est le parcours d’une famille de citoyens qui s’invite pour faire office de porte-parole anonyme du contre-pouvoir.
Cette alternance parfaitement cohérente fait également intervenir des figures connues du showbiz, de la télévision ou de la vie publique. Journalistes, sympathisants du FN et autres personnalités y vont de leurs commentaires. Certains confèrent même une petite touche d’humour bienvenue dans une atmosphère pesante. Des premières mesures aux conséquences directes sur les Français et la scène géopolitique, les sujets sont traités avec tout le sérieux qui leur sont dues, n’en déplaise aux mauvaises langues ou aux fondamentalistes aveuglés par un dogmatisme creux et sans réel fondement. Car le présent ouvrage prouve qu’une telle approche du pouvoir se déstructure d’elle-même.
Si l’ensemble se tient et demeure crédible, on reste plus réservé sur quelques tournures d’événements et propos qui font la part belle à la loi de Murphy. Autrement dit : « Tout ce qui est susceptible de mal tourner tournera nécessairement mal. » On assiste donc à une réelle régression qui tend vers le totalitarisme. Une dystopie en devenir qui laisse néanmoins quelques imprécisions, voire des incohérences. La principale étant la volonté de formater les citoyens. En d’autres circonstances, cela ne poserait pas de problèmes dans le traitement. Toutefois, les électeurs sont suffisamment endoctrinés (pour ne pas employer un autre terme) pour voter non pas une, mais deux fois, pour un tel parti. Dans ce cas, quel besoin de les lobotomiser s’ils sont déjà acquis à la « cause nationale » ?
L’histoire pèche également sur le développement de certains portraits. Certes, les persécutions concernent principalement les étrangers et les migrants. Mais l’on occulte les contestataires opposés à l’extrême droite ; à tout le moins, la place qui leur est allouée reste minime. Même constat pour dépeindre les électeurs du front national. On sombre carrément dans la caricature. S’il n’est guère un secret que le FN joue sur la misère (matérielle et intellectuelle) des masses, le parti touche aussi des mécontents et d’autres classes sociales à même de vouloir de préserver leurs acquis. Et c’est cela qui revêt une grande préoccupation : la mutation progressive du FN due à une dédiabolisation latente. Ici, on reste dans les clichés avec des nazillons décérébrés complètement abrutis par des discours propagandistes. Pour ne rien oublier de traits caricaturaux, ils résident dans le Nord. Un raccourci facile, même si le fief du FN se situe à Hénin-Beaumont…
De par sa volonté à sensibiliser les (é)lecteurs, La présidente s’impose comme une œuvre pertinente. En soi, le réalisme est véritablement déstabilisant puisque l’anticipation se projette à court terme. Si les événements sont fictifs, certains infirmés, d’autres faisant office de sombres prémonitions, le récit gagne en tension pour basculer lentement, mais sûrement vers un état despotique et démagogique, prônant des valeurs surannées. Néanmoins, on regrette une dichotomie trop flagrante et des caricatures par trop simplistes qui s’exacerbent au fil des tomes. Si cela a le mérite de mettre en exergue l’aveuglement des uns et le silence des autres, cela reste une maladresse assez grossière. Si La présidente ne bouscule pas les mentalités, il n’en demeure pas moins une œuvre politique engagée à même de dénoncer les dérives du système et de l’extrémisme politique.
Note : 15/20
Par Dante