avril 20, 2024

Primordial

Auteurs : Jeff Lemire et Andrea Sorrentino

Editeur : Urban Comics

Genre : Science-Fiction

Résumé :

1957. L’URSS envoie la chienne Laïka en orbite autour de la Terre. Deux années plus tard, les États-Unis réitèrent l’expérience avec l’envoi de deux singes, Able et Baker. Les morts successives des cobayes des missions Spoutnik 2 et Jupiter scellèrent la fin des programmes russes et américains de conquête de l’espace pour réorienter les efforts des deux empires vers l’armement. Lors du démantèlement d’un projet spatial à Cape Canaveral, un scientifique – le docteur Donald Pembrooke – met cependant la main sur un relevé qui prouverait contre toute attente que les animaux auraient survécu…

Avis :

L’histoire de l’humanité permet, à certains auteurs, de trouver l’inspiration et de la réécrire. Soit en visant une uchronie fantastique à la manière de Mike Mignola avec Hellboy, soit de façon plus réaliste avec, par exemple, Le Maître du Haut Château de Philip K. Dick, qui essaye d’avoir une vision du monde si les nazis avaient gagné la guerre. Quoi qu’il en soit, de nombreux évènements permettent de rêver, et la conquête spatiale en fait partie. En 1957, l’URSS envoie Laïka dans l’espace, petite chienne des rues qui mourra en plein vol. Deux ans plus tard, les américains, dans leur course, vont envoyer deux singes, Able et Baker, qui ne reviendront jamais. Jeff Lemire, talentueux scénariste, décide alors de réécrire cette histoire en partant du principe qu’il existe une vie extraterrestre, et que cette dernière fait don d’intelligence aux trois animaux. Primordial est l’histoire de leur retour sur Terre.

D’un point de vue purement scénaristique, ce comic a de l’ambition. On va suivre deux histoires en parallèle, qui vont raconter d’un côté le voyage de Laïka et des deux singes, et de l’autre, la course de deux scientifiques qui veulent envoyer un message aux animaux pour les faire revenir. Le contexte historique prend alors une bonne place, avec la guerre froide qui bat son plein et la collaboration entre une russe persuadée que sa chienne est en vie, et un américain qui ressent des signes de vie de la part des singes. Malheureusement pour eux, entre la pression de la guerre froide et la volonté des russes d’étouffer une affaire embarrassante sur une possible vie extraterrestre, les choses sont compliquées. Le problème avec le côté « humain », c’est que l’on ne va pas ressentir de l’empathie pour ces deux personnages.

Jeff Lemire a beau jouer sur les sentiments et le temps qui passe sur la fin de son récit, on n’aura cure de Yelena et de sa relation fusionnelle avec Laïka. Quant à Pembrook, le scientifique américain, on restera en retrait, tant il subit plus qu’il n’agit. De plus, même si les remarques implicites sur le racisme sont présentes (il s’agit d’un personnage noir), l’auteur ne fera pas grand-chose de cela. Le contexte historique joue beaucoup sur le communisme et les règles strictes, mais jamais sur un combat continuel pour sa couleur de peau. Dès lors, pourquoi faire état de cela, alors que ça ne fait pas avancer le récit ? Bref, du côté des humains, on reste un peu en retrait, et même la mort de l’un d’eux ne nous fera pas sourciller le moins du monde. C’est dommage, car la fin de l’histoire joue sur les sentiments.

« Si cela engendre des réflexions sur notre humanité et le rapport que l’on entretient avec les animaux, on reste sur un récit ultra cryptique et complexe. »

Du côté des animaux, les deux auteurs jouent sur le minimalisme. Il y a très peu de paroles, les bestiaux utilisant des phrases courtes pour communiquer. Mais ce n’est pas tant ça qui est gênant, mais plus l’énigme qui les entoure. On ne sait pas trop ce qu’il se passe, ni qui les a recueillis. Sommes-nous face à une entité extraterrestre ? Pourquoi sauver ces animaux et les doter d’une intelligence toute relative ? Si cela engendre des réflexions sur notre humanité et le rapport que l’on entretient avec les animaux, on reste sur un récit ultra cryptique et complexe. De plus, on ne ressentira que peu d’empathie pour ces bêtes, même si leur background est expliqué. On joue avec nos sentiments pour dénoncer la vie chaotique de Laïka dans les rues de Moscou, ou les expériences sur les singes, mais on reste en dehors.

Trop de mystère fait que l’on a du mal à rentrer dans l’histoire et à comprendre où veut en venir l’auteur. Il en va de même avec les dessins d’Andrea Sorrentino. A l’image de l’histoire, on traverse trois styles différents qui veulent marquer des moments bien précis. La partie humaine sera parée d’un dessin moins précis et plus numérique. Celle avec les animaux sera plus belle, avec des crayonnés du plus bel effet. Mais ce sont surtout les retrouvailles qui bénéficient, le temps d’une planche, d’une peinture magnifique, parfois un peu naïve (pourquoi mettre ces petits cœurs ?), afin de bien appuyer les sentiments. Le problème, c’est que cela crée un dysmorphisme un peu pénible, et pas forcément cohérent. Tout comme ces cubes qui parsèment le voyage spatial, rejoignant alors l’histoire de Stanley Kubrick. Un voyage trop complexe pour pleinement convaincre.

Au final, Primordial est un comic qui promettait une belle relecture de l’histoire de la conquête spatiale, avec un côté science-fiction grandiloquent. Malheureusement, le récit s’enlise dans une complexité pénible, jouant sur des sentiments qui ne prennent jamais, et voulant critiquer notre rapport avec le monde animal avec de gros sabots. Les intentions sont louables et importantes, mais rien n’y fera, on suivra cette histoire de loin, sans jamais tomber dedans. C’est peut-être la première fois que Jeff Lemire déçoit, et on espère que ce sera la dernière.

Note : 08/20

Par AqME

AqME

Amateur d'horreur, Métalleux dans l'âme, je succombe facilement à des images de chatons.

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