Auteurs : Warren Ellis et Ben Templesmith
Editeur : Delcourt
Genre : Polar
Résumé :
L’inspecteur Richard Fell est transféré de l’autre côté du pont qui sépare la capitale de Snowtown, une zone de non-droit où les officiers de police intègres se comptent sur les doigts d’une main. Parachuté dans cette inquiétante jungle urbaine où rien ne semble avoir de sens, Fell se raccroche à cette seule certitude : tout le monde ici a quelque chose à cacher. À commencer par lui-même.
Avis :
Il est deux approches dissemblables et néanmoins complémentaires pour officier dans le polar. La première est de s’attacher à fournir une intrigue originale et fouillée qui génère un suspense de rigueur. La seconde est de travailler une atmosphère particulière, bien souvent sombre et nihiliste. Ces deux traitements ne sont en rien incompatibles, même si, selon l’histoire abordée, l’une ou l’autre se distingue aisément. Et c’est vraisemblablement vers la seconde que Fell tend. Si le genre et les comics n’en sont pas à leur coup d’essai, il est toutefois plus rare de pouvoir apprécier un récit qui s’affranchit de tout second degré par une évolution aussi réaliste que pessimiste.
C’est bien simple, plonger dans l’univers de Fell constitue une descente progressive et néanmoins inéluctable dans la déchéance humaine. Et pour cela, le cadre urbain est ici représenté (ou plutôt exacerbé) dans ce qu’il recèle de pire. Si le quartier de Snowtown est entièrement fictif, il emprunte les atours de San Francisco et de New York. La frontière tacite avec un pont, la baie et l’enclavement des quartiers par une succession d’immeubles plus ou moins insalubres renforcent cette impression. Cet environnement pèse sur les protagonistes de telle manière à les acculer dans l’impasse de leur existence. Le désespoir et la criminalité forment le quotidien d’habitants laissés pour compte.
L’atmosphère générale est réellement oppressante dans le sens où l’on n’entrevoit aucune lueur d’optimisme pour chaque intervenant. Malgré la présence trop en retrait des forces de l’ordre, Snowtown s’apparente à une zone de non-droit où tout est permis. Certes, l’absence d’effectifs fait partie des raisons invoquées pour justifier la prolifération des crimes. Toutefois, on notera quelques approximations. Il paraît en effet difficile de cantonner la section criminelle d’un quartier de plusieurs dizaines de milliers d’habitants à « trois inspecteurs et demi » pour paraphraser le commissaire. De même, les investigations jouent davantage sur l’aspect providentiel des affaires que des méthodes d’enquête éprouvées.
Là encore, on incombe la faute à un manque de moyens flagrants, ne serait-ce que pour une analyse ADN ou une autopsie en bonne et due forme. D’un côté, cela peut soutenir le propos que tout part à vau-l’eau, même les missions de services publics. De l’autre, on sent une certaine facilité pour masquer l’absence de rigueur, sans doute la faute au cadre restreint alloué à chaque affaire. Scindée en plusieurs chapitres, l’intrigue ne se contente pas de suivre un fil rouge précis. Pour mieux dépeindre l’exil et la déchéance professionnelle de son personnage principal, Fell évoque différents cas qui sont autant d’occasions d’aborder des thématiques différentes, comme la maltraitance conjugale, la pédophilie ou la question de l’autodéfense.
Véritable trombinoscope de gueules cassées et écorchées par les épreuves de la vie, le style de dessin est déconcertant. L’aspect simpliste, voire schématique, des vignettes renvoie à deux impressions contradictoires. Le travail sur l’environnement permet de rendre palpables les relents méphitiques des rues crasseuses et des lieux tous plus sordides les uns que les autres. En revanche, les traits des personnages grossiers jouent de manière étrange sur les proportions, parfois jusqu’à la caricature. Une tonalité pathétique parfaitement assumée, mais qui s’accorde mal avec un changement d’angle autre qu’un point de vue frontal. Quant aux scènes plus nerveuses, un flou constant confère aux actions un style illisible et brouillon.
Au final, Fell est un polar qui se distingue surtout pour son atmosphère délétère, où le nihilisme général n’est jamais loin des considérations fatalistes de son protagoniste. Parfois malsaine dans ce qu’elle suggère (la procréation comme vecteur d’un esclavage sexuel sur sa propre progéniture), l’histoire multiplie les enquêtes pour décrire un quartier qui semble pourrir de l’intérieur. Cela tient autant au cadre vétuste qu’à la psychologie fébrile de ses occupants. Il reste un travail graphique fluctuant qui entremêle le bon (les décors, les ambiances dépeintes sur des teintes majoritairement bleuâtres) et le moins bon (les physiques caricaturés et les mains particulièrement ratées). Une évocation de la criminalité sans langue de bois pour l’apparenter au cancer de notre société consumériste. Judicieux, mais non sans quelques écueils formels.
Note : 14/20
Par Dante