décembre 11, 2024

American Flagg!

Auteur : Howard Chaykin

Editeur : Urban Comics

Genre : Science-Fiction

Résumé :

2031 : une crise économique de grande ampleur a forcé le gouvernement des États-Unis à se relocaliser sur Mars. À présent, les grandes métropoles américaines, dont Chicago, se réorganisent autour de centres commerciaux géants où l’on abreuve les habitants de programmes racoleurs aux messages subliminaux ultra-violents. Dans ce contexte délétère, l’arrivée dans les forces de police des Plexus Rangers de Reuben Flagg, ancienne star de télé-réalité, va mener la ville à la révolte et peut-être… à une seconde révolution.

Avis :

Durant les années 80, les comics vont subir de plein fouet un mouvement impressionnant avec quelques œuvres qui deviendront immédiatement cultes. Bien sûr, on pense de suite à Watchmen d’Alan Moore et Dave Gibbons, ou encore à Maus d’Art Spielgelman. Parmi ce duo de tête, il faut rajouter The Dark Knight Returns de Frank Miller, et tous les amateurs de comics vous diront que vous possédez la sainte trinité de la bande-dessinée américaine des années 80. Mais de l’avis de certains professionnels, dont Jim Lee et Warren Ellis, il existe un quatrième immanquable, qui aurait profondément modifié la vision des romans graphiques. American Flagg ! de Howard Chaykin fait partie de ces petits inconnus qui visiblement ont durablement marqué l’univers du comics aux States. Bénéficiant d’une intégrale grâce à Urban Comics, il est désormais possible de voir ce que la bête a dans le ventre.

Le moins que l’on puisse dire avec American Flagg !, c’est que c’est très riche. D’entrée de jeu, on tombe dans un univers dystopique qui met en avant un futur peu réjouissant. Nous sommes dans un avion (ou plutôt une sorte d’avion) qui doit atterrir, mais les deux pilotes sont plus préoccupés par des émissions de télé-réalité pornographiques. Très vite, on arrive dans un terminal où l’on nous présente brièvement l’univers. Ici, la Terre est à l’agonie et certains pays ont fusionné et sont dirigés à partir de grands centres commerciaux. Les riches et les politiques sont partis vivre sur la lune. Dans cet univers délétère, les gens sont abreuvés d’émissions violentes ou pornographiques, et chaque mall est attaqué par des gangs complètement frappés. C’est dans ce contexte que Reuben Flagg, ancienne star d’une émission coquine, devient ranger et doit faire régner la loi.

Les présentations sont assez complexes. Il faut dire que Howard Chaykin ne nous facilite pas la tâche, et ne donne pas toutes les clés de l’univers dès le départ. C’est au lecteur de bien faire attention à toutes les cases, de bien regarder les lettrages et les onomatopées pour comprendre ce qui se passe dans le cadre. Un cadre dynamité, énergique, qui laisse peu de place à la contemplation. C’est même tout le contraire, puisqu’ici, il y a de l’action non-stop qui démontre plusieurs choses à travers les différents récits. Conflits politiques, magouilles, complots et racisme seront au cœur des problèmes de Reuben Flagg. L’auteur mélange un peu tout et dénonce beaucoup de choses, mettant en place des néo-nazis qui sont prêts à gazer toute une population pour dominer le monde, alors que de puissants politiques sont prêts à tuer pour gérer une émission télé pirate.

Howard Chaykin est très malin dans ce qu’il dénonce et est très en avance sur son temps. Car non seulement les thèmes traités sont toujours d’actualité, avec un racisme de plus en plus décomplexé, mais en plus, l’univers évoqué n’est pas si éloigné du nôtre. Pour preuve, le porno a pris une place de plus en plus importante dans notre société, les émissions de télé-réalité sont presque omniprésentes, et la violence des rues reste un problème aujourd’hui. Une violence presque banalisée, cyclique, qui est entretenue par des images subliminales mises dans une émission très suivie. Bref, même si le tableau est très sombre, la société évoquée reste dans le domaine du plausible. Seul l’environnement va trop loin, avec des pays dévastés et des centres névralgiques se trouvant dans d’immenses centres commerciaux. Là-dessus, on reste dans l’ordre du fantasme.

Ce qui est très intéressant aussi avec American Flagg !, c’est la profondeur du héros, qui se révèle plus complexe qu’il n’y parait. Acteur de seconde zone pour un show érotique, il se retrouve propulsé dans un rôle de héros pour lequel il semble taillé. Sorte de James Bond qui se tape tout ce qui bouge, Reuben Flagg va aussi se rendre compte qu’il est totalement remplaçable. Pour preuve, c’est un hologramme qui prend sa place dans l’émission télé. Voulant remplir sa coquille vide, il va trouver une rédemption dans son nouveau métier, pour lequel il va faire du zèle. Voyant la montée du fascisme, les magouilles des puissants, il va s’allier avec plusieurs personnages pour démanteler tout ça et lutter pour des causes nobles. C’est aussi ce qui fait la réussite de ce comic, mettre en avant un personnage complexe, figure éphémère d’un monde vide.

Enfin, les dessins sont aussi très particuliers. Howard Chaykin possède un trait vif et très caractéristique des comics des années 80. Les silhouettes et les mouvements du corps humains sont parfaits. Il y a aussi une vraie recherche dans les designs, dans les mobiliers, dans les décors. Chaque chose a son importance et pose une nouvelle pierre à l’édifice de cet univers si singulier. Un univers où les robots maladroits côtoient des chats qui parlent, où les matchs de basket sont illégaux et les joueurs deviennent des recrues pour maintenir l’ordre. Bref, c’est foisonnant et on peut se perdre là-dedans. D’autant plus que les couleurs sont très caractéristiques de cette époque, et que l’on peut trouver cela trop simple.

Au final, American Flagg ! est un comic très dense. Que ce soit dans le dessin, dans les thèmes traités, dans l’univers ou encore dans l’origine même de cet univers, on se retrouve face à un roman graphique d’envergure qui va surtout valoir le coup pour l’énergie de ses cadres et ses lettrages. Howard Chaykin redéfinit sa mise en page pour offrir des histoires dynamiques, nerveuses, parfois drôles, tout tissant un fond imposant et intelligent. Si on reste un peu plus en retrait que pour les comics cités en introduction, il n’en demeure pas moins que l’on comprend aisément pourquoi American Flagg ! a bousculé son petit monde à cette époque.

Note : 16/20

Par AqME

AqME

Amateur d'horreur, Métalleux dans l'âme, je succombe facilement à des images de chatons.

Voir tous les articles de AqME →

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.