Auteur : Hiroki Endo
Editeur : Panini
Genre : Seinen/Science-Fiction
Résumé :
Sur une Terre d’un futur proche, un mystérieux virus qui solidifie petit à petit les cellules humaines jusqu’à les transformer en minéraux, a déjà décimé une bonne partie de la population. Un groupe de chercheurs a trouvé asile dans une base complètement isolée du reste du monde et où le virus ne peut pas pénétrer. Rain et Chris, deux amis de longue date, vivent aussi dans cet univers clos et protégé. Alors qu’on essaie de trouver un antidote, la population continue de dépérir. Le virus finit par se propager aussi à l’intérieur de la base. Les années passent et les enfants grandissent en développant la capacité de vivre avec le virus. Cris parvient même à prolonger son espérance de vie grâce à un vaccin qui ralentit l’évolution de la maladie. Mais il finit par mourir comme les autres. Hana et Enoa, les nouveaux Adam et Eve de ce monde dépeuplé, quittent la base. Vingt ans plus tard, on se retrouve au Pérou avec Elia(le fils d’Hana et d’Enoa), et le robot chérubin qui sont tombés entre les mains d’un groupe armé…
Avis :
Si les mangas japonais sont souvent réputés pour leur propension à faire de longues séries de Shonen qui ne se terminent jamais, à l’image de Naruto, One Piece, Bleach ou encore Dragon Ball, ils sont aussi très forts pour mettre en place des œuvres de science-fiction qui interrogent grandement sur la place de l’homme sur cette planète. On peut citer les deux grosses références que sont Ghost in the Shell et Akira, mais derrière ces deux mastodontes se cachent d’autres récits, d’autres histoires et d’autres auteurs qui ont tout autant posé leur pierre sur l’édifice. On peut évoquer Osamu Tezuka et son Astroboy ou encore Naoki Urasawa et son 20th Century Boy. Mais il y en a une qui est un peu restée dans l’ombre et qui serait grand temps de remettre au goût du jour en faisant des rééditions, c’est Eden – It’s an Endless World. Chef d’œuvre de Hiroki Endo, les derniers tomes s’arrachent à plus d’une centaine d’euros, la faute à une impression rare et à une œuvre qui continue de fasciner, plus de vingt après sa sortie.
Ce manga raconte tout d’abord l’histoire d’Enoa et Hana, deux enfants qui évoluent dans un monde post-apocalyptique. Un virus, qui transforme les humains en poupée de faïence, à décimer une grande partie de la population et les deux enfants semblent être immunisés grâce aux recherches de leur père. Cependant, très rapidement, l’histoire avance dans le temps et on va suivre Elia, le fils d’Enoa, qui lui a bien grandi et est devenu le roi de la pègre en Amérique Latine. Elia, perdu dans un monde violent où les gouvernements manipulent les masses et les gangs font la loi, va alors tenter de grandir dans un monde virulent, apprenant la vie au sein d’un milieu par toujours sain mais très formateur. Il va alors tenter de délivrer sa mère et sa sœur des mains du Propater, le gouvernement mis en place. Pendant ce temps, le virus de l’époque a muté et commence à assimiler l’humanité sous la forme de gigantesques panneaux solaires, gardant leur mémoire, pour parvenir à sauver l’humanité d’une fin du monde programmée.
Quand on lit le pitch de cette série, on se rend compte que l’ensemble est très complexe. Si l’on rajoute à cela que certains personnages se ressemblent alors que d’autres ne sont que des cyborgs, la série devient très difficile à suivre, surtout si on ne la lit pas d’une seule traite. Et pourtant, Eden est un véritable petit bijou de science-fiction, évoluant dans deux genres bien différents, mais arrivant toujours à faire réfléchir sur la condition humaine, sur ce que l’on est sur Terre et surtout notre incapacité à interagir ensemble, au-delà de toutes différences, religieuses, politiques ou raciales. Le début du manga est très étonnant car il est très mélancolique et il y a une volonté de montrer une fin de monde poétique et sensible. On va suivre deux enfants perdus, éduqué par un homme qui était amoureux de leur père, et qui va tout faire pour les sauver. Aidé par un robot mécanique du nom de Chérubin, les deux enfants vont grandir sans qu’on les voie. En effet, l’auteur préfère s’attarder alors sur leur fils des années plus tard, qui va éviter un enlèvement et se retrouver parmi des mercenaires que rien n’arrête. Poussant la technologie à son paroxysme avec des cyborgs surpuissants et des armes destructrices, l’auteur ne fait pas dans la dentelle et les scènes gores se succèdent avec les morts inattendues. Et c’est finalement ça qui fait tout le sel du manga, tout le monde peut mourir, même de façon absurde.
En faisant ainsi, l’auteur laisse toujours planer le doute sur les personnages, qu’ils soient adulte ou enfant, et personne n’échappe à la fatalité de la vie. Cela permet de remettre notre condition dans le droit chemin. L’auteur nous intime donc de vivre, mais aussi et surtout de continuer à se battre malgré les injustices et les hauts placés de ce monde qui ne remarquent plus rien depuis leur piédestal. Cette première partie, qui fait un peu moins de la moitié des tomes, est vraiment excellente, que ce soit dans sa violence presque gratuite et graphique que dans les éléments de réflexion qu’elle apporte. Ce sera un peu moins le cas dans la seconde moitié, où l’ambiance change du tout au tout. On se retrouve dans un milieu urbain, et le post-apocalyptique ne semble plus avoir de place. Ce changement radical d’ambiance est un peu trop abrupt et il faudra aussi se faire à l’idée que les ellipses temporelles sont nombreuses, mettant en avant un héros qui a des relations qui nous serons à peine présenter. En fait, le fond est si dense que le réalisateur a préféré ne pas s’embourber dans des relations complexes ou inutiles. On aura nos personnages fétiches, comme Kenji, le meurtrier silencieux, dont un tome sera consacré à sa jeunesse, mais pour tout le reste, c’est plutôt du vite-vu.
La volonté d’Hiroki Endo, dans cette seconde moitié, c’est de montrer les déviances de l’homme lorsque le monde court à sa perte. Evoluant volontairement dans des milieux malsains, comme les prostitués ou le trafic de drogue, l’auteur montre que parfois, l’humanité se trouve dans des endroits improbables et que l’entraide vient de lieu où l’on pourrait croire le contraire. Cependant, avec le développement du virus, le mangaka appuie une vision assez pessimiste de l’être humain qui, perdant toute foi et toute envie de rester en vie, se perd dans le cloïd (le virus), pour espérer trouver un endroit meilleur. Là encore, on sait que tout cela est régit par des intelligences artificielles crées par l’homme et l’auteur de placer l’humain comme acteur direct de son extinction. Si tout cela peut sembler lourd à digérer, Hiroki Endo n’en oublie pas pour autant le divertissement, provoquant moult combats et n’hésitant pas mettre en avant des planches gores.
Au final, Eden –It’s an Endless World est un manga relativement important malgré sa complexité et ses quelques défauts graphiques (des personnages différents parfois trop similaires ou un humour parfois incongru). Replaçant l’homme comme acteur de sa propre destruction avec des créations parfois néfastes ou mal utilisées, l’auteur pose une réflexion agile sur notre condition et notre place sur Terre, tout en n’oubliant pas de nous distraire et de rappeler que la mort est souvent injuste. Bref, un œuvre palpitante qu’il serait bon de rééditer.
Note : 18/20
Par AqME