Titre Original : La Decima Vittima
De : Elio Petri
Avec Marcello Mastroianni, Ursula Andress, Elsa Martinelli, Salvo Randone
Année : 1967
Pays : Italie, France
Genre : Science-Fiction, Action, Comédie
Résumé :
Dans un futur proche, sont régulièrement organisées des chasses à l’homme, pendant lesquelles les meurtres sont autorisés, afin de canaliser l’agressivité et la violence des êtres humains. Les participants sont d’abord chasseurs, puis chassés, jusqu’à atteindre le nombre de 10 participations. Ceux qui parviennent à survivre jusqu’au bout deviennent alors riches et célèbres. Caroline arrive au dixième et ultime tour…
Avis :
Il est d’un commun accord qu’aujourd’hui, trouver des idées novatrices est un casse-tête et que les grands penseurs d’Hollywood ont bien du mal à trouver une nouvelle recette magique. On le constate bien souvent avec le nombre de remakes, reboots et autres suites et préquelles que le cinéma américain nous pond chaque semaine, mais aussi ses idées piquées à droite et à gauche dans d’autres pays. On peut penser au film Intouchables qui va subir un remake à la sauce ricaine, mais il y a aussi une multitude de films asiatiques comme Old Boy qui sont revus. Ce que l’on sait moins, c’est que parfois, ce que l’on prend pour une idée nouvelle n’est en fait qu’une adaptation d’un ancien film. Ainsi donc, le American Nightmare de James DeMonaco ne serait pas une idée lumineuse mais plutôt une réadaptation de la Dixième Victime, un film italien d’Elio Petri qui bénéficie d’une restauration HD et dont il serait dommage de se priver.
Nous sommes dans un futur proche qui se distingue par plusieurs petites incrustations, dont un robot fait à partir d’une chaussure et de bras de poupées. On constatera que le film ne propose pas une vision extrême du futur. Les voitures sont toujours les mêmes, on communique encore avec des téléphones et les seules choses qui tiennent de la science-fiction sont de gros ordinateurs et un nouveau ministère, celui de la chasse. En effet, pour contenir la violence humaine et la canaliser, les gouvernements de tous les pays ont décidé de créer un jeu légal, une chasse à l’homme avec des victimes et des chasseurs. Sorte de Killer en grandeur nature, le chasseur possède tous les éléments de sa victime, alors que cette dernière doit deviner qui est son chasseur. Se félicitant d’une baisse de la violence gratuite, le ministère de la chasse trouve des arguments parfois un peu gâteux pour justifier son existence, à savoir que si ce jeu avait existé sous Hitler, il n’y aurait pas eu de Seconde Guerre mondiale. Cependant, pour motiver les gens à s’inscrire à cette chasse, le ministère offre un million de dollars à celui qui survit à sa dixième chasse, peu importe son rôle. On va donc suivre Caroline qui devient une chasseuse pour sa dixième participation et qui doit tuer Marcello, dont c’est la sixième.
Quand on commence le film, on pourrait croire que l’on tombe sur un film d’action mâtiné de James Bond, mais le film sera bien plus que cela. Si les traques seront présentes et que l’on aura en second plan plusieurs fusillades montrant que cette chasse est un véritable succès, le film va plutôt s’amuser autour de son couple et fournir des éléments sur la société moderne afin de démontrer à quel point la décadence est présente de partout dans nos vies. D’ailleurs, le premier meurtre est assez évocateur de cette décadence avec un show de striptease qui se termine par une fusillade à l’aide d’un soutien-gorge (que l’on retrouvera dans Austin Powers ou encore Machete Kills) et dans lequel l’héroïne va gifler à tour de bras des hommes qui succombe à son charme. En même temps, résister à Ursula Andress tient du miracle ou de l’homosexualité. Bref, tout montre que la société part à vau l’eau et que plus personne n’est à l’abri d’une quelconque chasse. Une chasse qui annihile aussi toutes les émotions. Marcello Mastroianni est monolithique, ne ressentant aucun amour, ni pour son ex-femme, ni pour sa maîtresse et on voit bien cette perte émotionnelle dans chacun des plans d’Elio Petri, avec une architecture cubique, froide et des couleurs impersonnelles telles que le blanc. Bref, nous avons droit à une vision très cynique de notre monde futur, avec une société qui ne ressent plus rien et semble incapable de retrouver l’essentiel, hormis au détour d’un coucher de soleil, qui fait pleurer des fidèles, se prenant alors une volée de tomates par des « néoréalistes ».
Mais ce qui choque le plus dans ce film, c’est la place de l’argent dans le monde. Si l’homme se déshumanise petit à petit, tuant à tout va sans le moindre remord, c’est aussi à cause de son amour immodéré de l’argent. Outre le fait que le vainqueur de la chasse gagner un million de dollars, la première préoccupation des vainqueurs de chaque round, c’est d’aller retirer son argent dans une banque spécialisée. Et tout est bon pour faire du fric, de la simple contravention d’un chasseur qui s’est mal garé, emporté par sa chasse, au placement produit en filmant un vrai meurtre afin de booster les ventes. Et c’est là-dessus que le film est puissant, démontrant que la déshumanisation commence par la perte des sentiments au profit de l’argent et de la notoriété. Datant de 1967, le film possède toujours un message aussi fort et intelligent, qui n’a pas beaucoup changé de nos jours, prônant le buzz pour le fric, les médias pour la reconnaissance.
Le seul bémol que l’on pourrait apporter à ce film, c’est son aspect comédie. En effet, le film essaye parfois de faire de l’humour et cela ne fait pas toujours mouche. Il faut dire que c’est peut-être ce qui vieillit le plus mal dans le cinéma, mais il y a une nette différence de ton entre la gravité du sujet et cette volonté de mettre de l’humour, souvent machiste, au sein de ce métrage. On regrettera aussi certaines séquences un peu longuettes, notamment sur la fin avec le coup du tournage de la pub, qui semble durer des heures et qui n’apporte rien au métrage. On peut aussi s’interroger sur la toute fin du film, qui n’a ni queue, ni tête et qui se veut ironique par rapport à la relation des deux « héros », mais cela ne marche pas vraiment.
Au final, La Dixième Victime est un film intéressant qui permet de voir que American Nightmare n’a vraiment rien inventé, si ce n’est de placer le film dans un contexte plus politique et plus sombre. Avec ce métrage, Elio Petri dénonce une société qui ne ressent plus rien et banalise la violence pour se faire de l’argent facile. Un propos intéressant et intelligent, qui trouve toujours écho aujourd’hui, mais qui manque la case du chef d’œuvre, la faute à des passages burlesques évitables. Il n’en demeure pas moins une bonne pellicule dont il serait dommage de se priver.
Note : 15/20
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Par AqME