Wam : Alors j’avais une question toute simple, je t’avais laissé en 2011 avec La Proie, et je me suis dit où il est passé pendant tout ce temps, on le voit plus sur les écrans… Alors j’ai vu que tu avais travaillé sur la saison 2 de Braquo, mais pour le reste, je sais pas du tout ce que tu es devenu.
Eric Valette : J’ai fait pas mal de choses, j’ai fait de la télé, j’ai bossé sur une série TF1, Crossing Lines, une série en anglais avec Marc Lavoine, Donald Sutherland, William Fichtner, j’ai fait des épisodes de la série Transporteur pour M6, et puis j’ai même terminé un long, là.
W : Oui, tu as dit ça il y a quelques jours.
EV : Le Serpent aux milles coupures, que j’ai terminé en juillet, et qui devrait sortir dans pas longtemps.
W : C’est tout récent. Mais alors pourquoi t’être tourné vers la télévision ? Quelque chose t’y a poussé, ou ça devenait compliqué de faire des films pour le cinéma ?
EV : En fait le Serpent aux milles coupures devait se faire juste après La Proie, mais comme financer des thrillers un petit peu radicaux, en France, c’est quand même difficile, ça a pris du temps. Et moi je suis quelqu’un qui travaille, donc si on me propose des choses un petit peu amusantes, où je peux apprendre des choses, je suis client. Donc j’ai fait ça sans arrière-pensée, et je me suis bien amusé. Et puis le Serpent aux milles coupures a pu se faire financer, on a tourné l’année dernière, et là j’ai passé la majeure partie de l’année à le post-produire.
W : J’ai l’impression que c’est de plus en plus compliqué quand même… Normalement on était censé avoir une Nouvelle Vague de films de genre français, il y a 10 ans de ça, et pourtant on dirait que même pour des réalisateurs bien établis, comme toi, ça devient de plus en plus dur de monter des films de genre.
EV : Oui, bizarrement c’est pas facile du tout. Sans même aller dans les extrêmes du film d’horreur, je parle pour les films policiers et les thrillers, c’est pas facile, tu as raison. D’ailleurs il suffit de regarder autour de soi, Florent-Emilio Siri a fait un truc avec Dubosc et Lanvin, qui s’appelait Pension complète je crois…
W : Jean-François Richet a fait Un Moment d’égarement.
EV : Oui, Jean-François Richet aussi, récemment Cavayé a fait Radin avec Dany Boon, on est tous… tous les gens qui sont un peu dans cette mouvance-là… Enfin j’imagine que la plupart du temps, c’est pas des choix…
W : C’est un peu alimentaire.
EV : Oui, c’est ça. Souvent c’est pas des choix totalement volontaire, j’imagine que parfois on est un peu pris dans un étau du système qui fait que… Moi personnellement j’ai jamais eu envie d’être dans la grosse comédie industrielle, c’est pas mon cas, même si c’est vrai que là je prépare une comédie noire pour l’année prochaine. Ce sera en tout cas très à la marge, et pas du tout dans le mainstream. Je pense. Mais oui, c’est difficile actuellement.
W : Mais tu penses quand même qu’il y a eu une évolution entre, par exemple, Maléfique et maintenant ? Parce qu’en vérifiant ta filmographie, j’ai vu qu’il y avait aussi un gros fossé entre Maléfique et One Missed Call, et je me suis dit, mince, peut-être que déjà à l’époque il avait eu du mal.
EV : Oui, à l’époque c’était déjà difficile d’enchaîner. Mais actuellement le système est devenu encore plus complexe, parce que la distribution s’est un peu radicalisée. On est arrivé à un moment où il n’y a plus que des très gros films ou des tout petits films, et tous les films de la classe « moyenne » ont tendance à disparaître. On a soit vraiment des films de niche qui sont hyper indés, soit des gros films qui sortent sur 600, 700 salles. Les films qu’on faisait à l’époque, comme Maléfique et d’autres, qui sortent sur 150, 200 salles, ça n’existe plus vraiment, ou bien c’est uniquement des comédies. Il y a à la fois la frilosité des exploitants, et une sorte d’auto-censure dans le système, parce qu’il est pour la plupart des films financé par la télé, et qu’en prime-time on veut pas de films avec trop d’aspérités. C’est vrai que c’est difficile, on est dans un système qui est pas évident, et qu’on retrouve aussi aux Etats-Unis d’ailleurs. Des films comme Comancheria récemment, que j’ai adoré, sont très très peu distribués aux Etats-Unis. Donc voilà, tous ces films de la classe moyenne ont tendance à disparaître au profit de gros films qui occupent beaucoup beaucoup d’écrans. Est-ce qu’ils ont besoin d’autant d’écrans ? Je suis pas sûr.
W : C’est toujours le même principe, si ça marche, on va mettre encore plus d’écrans, si on n’est pas sûr que ça marche, on va en mettre encore moins.
EV : Oui, on n’essaie pas, il n’y a aucune vision sur le long terme, les films ont une carrière de plus en plus courte, même ceux qui marchent. Donc les films qu’on pouvait entretenir, à qui on pouvait laisser leur chance, leur laisser trouver leur public, ça n’existe plus, faut que ça marche tout de suite maintenant.
W : Tout ce qui nous reste en fait, ce sont les festivals.
EV : Les festivals pour voir les films sur grand écran oui. Sinon, VOD et compagnie, mais bon les films n’ont pas été nécessairement conçus pour être vus comme ça. Il faut que ça finisse comme ça, mais c’est quand même bien de voir des films qui ont été fait pour le grand écran, sur grand écran.
W : S’il n’y avait pas eu Extrême Cinéma, on aurait probablement pas vu Chasing Banksy ou Rough Cut d’Henenlotter.
EV : Certainement pas.
W : Des films qui ne seront peut-être même pas distribués en dvd.
EV : Certainement pas.
W : Et quand je vois, ne serait-ce que tes films faits aux Etats-Unis, avant de les avoir… On a attendu. J’ai même vu qu’Hybrid avait encore changé de nom, ça s’appelle Super Hybrid maintenant, ils ont changé douze fois le nom et l’ont sorti 4 ans plus tard.
EV : Ah oui, c’est fort possible [rires]. C’est ça, le système n’aide pas.
W : Et est-ce qu’en tant que réalisateur tu imagines des moyens de contourner ça, de trouver des solutions ? Parce que quand même il faut bien essayer de se dire que tout n’est pas bloqué, faut être un peu optimiste.
EV : Ben j’aimerai bien avoir des solutions.
W : Comme tu disais, il y a le très très indépendant, mais ça veut dire budget et possibilités limitées.
EV : Oui, il y a des films qui ne sont pas taillés pour être fait avec un téléphone portable au cul du camion. Donc je sais pas. Maintenant il y a du financement nouveau comme ces plate-formes VOD type Netflix, mais en même temps ça ne nourrit pas une salle, ce sont des films fait pour être vu sur un écran de télé chez soi. C’est vrai que la situation est un peu triste. Heureusement il y a une scène de festivals très très vivace en France.
W : Et ce qui est très bizarre, c’est que les gens ne le savent pas. Pour la plupart du public, il y a Gerardmer, et c’est tout. Le reste, Mauvais Genre à Tours, le FEFFS, ici, ils ne savent pas que ça existe. Il y a peut-être aussi une éducation du public à refaire à ce niveau-là, pour essayer de faire revivre le cinéma de genre français.
EV : Absolument. Absolument. En ce moment je sais pas trop ce qui va se passer. Comme ça bouge pas mal chez Canal, etc, qu’on est un peu dans un période de mutation, que va donner le système dans deux ou trois ans, j’en ai aucune idée. Il faut continuer à faire ce qu’on peut, dans les contraintes imposées par l’économie. C’est tout ce que je peux dire, moi j’essaie de survivre en faisant les choses qui m’intéressent.
W : Du coup tu parlais d’un prochain film qui serait une comédie noire, et ça tombe très bien, parce que je me suis rendu compte que tes premiers courts-métrages, « Samedi, dimanche, et aussi lundi », et « Il est difficile de tuer quelqu’un, même un lundi », étaient des comédies noires. Mais curieusement tu n’avais encore jamais réitéré ce style de films. Je me suis demandé pourquoi, parce que tu as un cinéma quand même vachement diversifié, entre Maléfique, Une Affaire d’État, La Proie, ça n’a rien à voir, et pourtant tu n’étais jamais revenu sur ce par quoi tu avais commencé.
EV : Oui, mais c’est juste faute de rencontre avec les bonnes personnes au bon moment. Là j’ai eu une petite révélation par rapport à un projet de comédie noire très radicale qui coûterait pas cher. Donc à priori on devrait le tourner l’année prochaine. On doit l’écrire en Novembre avec Stéphane Cabel, qui est l’auteur du Pacte des loups [rires].
W : Ah oui, c’est le grand écart.
EV : Et il a aussi écrit le film sur l’affaire Clearstream qui s’appelle L’Enquête (de Vincent Garenq avec Gilles Lelouche, sorti en 2014). Donc voilà, mais je pense que c’est un projet assez radical, qui sort vraiment des clous par rapport à ce qui se fait en France, une comédie noire assez extrême qui parle de rapports sociaux et de lutte des classes.
W : Ben faut espérer que ça marche alors, ça ferait du bien.
EV : Oui, ça serait bien, mais en même temps ça fait partie de ce type de films qui est dans une économie tellement réduite qu’il a pas vraiment besoin de marcher. Enfin il faut qu’il marche, mais il a pas besoin de marcher incroyablement pour retomber sur ses pieds. Ce qui est un peu la règle maintenant, il ne faut pas rentrer dans des dépenses faramineuses pour faire des films.
W : Et alors, Le Serpent aux milles coupures donc, dont tu as parlé, et dont je n’avais pas eu vent, comment ça se fait qu’il ait mis autant de temps à se monter, il est si compliqué que ça comme projet ?
EV : Là aussi c’est un projet très radical, très méchant. C’est un thriller très 70’s, qui se déroule en plus dans un contexte rural, donc il a vraiment rien pour lui, d’un point de vue purement… mode. Il y a rien qui est à la mode dedans, c’est avec des gendarmes… Y’a pas de hipsters à barbe quoi. (là on éclate de rire, forcément) Tout ça fait que le film est un peu hors du temps, même si pour moi il est intemporel parce qu’il parle de globalisation, et de comment, d’une certaine façon, le trafic de drogue international qui a lieu en Colombie a des répercussions sur une petite exploitation agricole de la région toulousaine. C’est un film qui traite de beaucoup de choses, à la fois à grande échelle et au niveau très local. Donc voilà, ce film-là est à la fois très spécifique, et en même temps c’est un pur film de genre, on va dire moitié western, moitié thriller, avec un petit côté Chien de paille. Du coup ça a pas été facile à monter, parce qu’il est pas spécialement dans l’air du temps, il y a des difficultés de langage, le tiers du film est en anglais, mais il y a aussi du français, un peu d’espagnol, il est assez difficile à pitcher en une phrase. C’est un scénar en forme d’entonnoir, qui est assez compliqué au début et qui se simplifie, se densifie au fur et à mesure. C’est vrai que le film est pas évident à vendre, d’un point de vue purement… Je te pitche le film, et tac, en 30 secondes t’as l’idée… Là c’était plus compliqué à expliquer.
W : Il faut trouver des producteurs qui sont prêts à prendre le temps d’écouter.
EV : Oui, mais là je me suis acoquiné avec des producteurs qui avaient déjà fait des projets pas faciles. L’un d’eux a fait ce film complètement foutraque qui s’appelait Les Nuits rouges du bourreau de Jade (de Julien Carbon et Laurent Courtiaud avec Frédérique Bel, sorti en 2010), l’autre n’avait fait que des films de genre, La Horde, Antigang, le dernier film de Poiraud dont j’ai oublié le nom (Alone, sorti le 16 décembre dernier). Du coup on a fait ça avec un budget assez serré, mais on a eu beaucoup de liberté pour le faire. Le ton assez radical qui était à la base du projet, et qui est dans le roman, parce que c’est l’adaptation d’un roman, on a pu le conserver de bout en bout. C’est vraiment pas un film de compromis.
W : Il reste encore des gens qui soutiennent ce genre de projet alors, c’est un début d’espoir quand même.
EV : C’est un début d’espoir, oui.
W : Et du coup tu es venu retourner au pays. Parce que je crois que tu n’étais jamais venu tourner à Toulouse.
EV : Non, j’avais jamais eu l’occasion. J’ai pas pu le tourner intégralement à Toulouse pour des raisons économiques, donc une partie du film a été tourné en Belgique, tout en étant censé se dérouler à Toulouse, mais ça a été un grand plaisir oui. Ramener des acteurs ici… J’ai ramené un acteur hong-kongais à Toulouse… Pour moi c’est un peu comme un rêve d’enfant, quand on a vu tous ses films en VHS, et que tout à coup on le ramène, on fait des gunfights avec lui, ici, c’est vachement marrant.
W : C’est à la fois un plaisir de cinéaste et un plaisir de cinéphile en fait.
EV : Oui, carrément.
W : Ce qui m’amène à ma question suivante (je fais des transitions de fou) : Tu es quand même au festival pour présenter des films, on t’a donné carte noire, plutôt que carte blanche, ce qui se ressent quand on voit le ton dépressif de ce que tu as choisi. Du coup je me demandais, il y a toujours une dualité quand on est à la fois cinéaste et cinéphile, est-ce que les films que tu vois vont forcément influencer les films que tu fais, et à contrario est-ce que le cinéma que tu fais va influencer les films que tu vas vouloir voir, ou que tu vas vouloir présenter ? Est-ce qu’il y a une sorte de mélange entre les deux versants ou est-ce que c’est quelque chose qu’on peut dissocier ?
EV : Disons qu’en vieillissant, j’ai l’impression que je suis moins dans les films fun, et plus dans les films, pas forcément plus profonds, mais plus sombres, plus intérieurs. Là on m’a proposé ça, et déjà je voulais montrer des films qui étaient pas habituels. Souvent dans les rétrospectives de films de genre les gens ont tendance à toujours montrer les mêmes choses, et je me suis dit je vais pas montrer pour la quinzième fois Prince des ténèbres et, je sais pas, Audition. Je me suis dit que ça serait intéressant d’aller chercher des choses vraiment très spécifiques, transgressives pour leur époque, et qui n’ont pas été montrées aux plus jeunes générations. Du coup j’ai un peu creusé de ce côté-là. Maintenant, comment ça me nourrit, je sais pas trop.
W : C’est un peu inconscient en fait.
EV : C’est ça oui. Enfin moi je me suis jamais posé la question « tiens, je vais faire un plan comme dans ce film ». Des fois j’ai de vagues directions. Quand on a fait le serpent aux milles coupures, j’ai dit à mon chef-opérateur, pour la lumière, pense aux Chiens de paille, regarde Memories of Murder, Sympathy for Mr Vengeance, des films qui m’intéressent, pour des indications de lumière. Mais après, la mise en scène, on la fait sur le plateau, je me dis pas « ah oui, cette séquence ça doit être comme dans machin ». Je veux pas dire que j’invente la poudre, je veux dire que je suis nourri par plein de choses, mais qu’elles ressortent spontanément sans que je me pose de questions.
W : Ce qui est un avantage, parce que la nouvelle génération de cinéaste donne l’impression de trop régurgiter ses influences. Regardez, je cite ça, je cite ça, parce que c’est ce que j’aime et j’ai envie de le partager. Mais au final on a du mal à trouver un ton personnel. Je me demande si c’est pas un peu le problème du cinéma de genre français actuel.
EV : Globalement c’est possible. C’est vrai que chacun fait avec sa sensibilité, mais moi j’essaie de… même si c’est complètement naïf, j’essaie de raconter une histoire comme si c’était la première fois qu’on la racontait, je me dis pas « ah oui mais y’a machin qui a fait comme ça, donc il faut citer tel plan ». J’essaie de me dire « voilà, tu as un terrain complètement vierge, cette histoire est absolument nouvelle, raconte la comme tu en as envie. »
W : Quand tu as présenté L’Homme de la Loi, je me souviens que tu as dit « c’est un western sans méchant ». Et je me suis dit, bon il doit exagérer un peu, et en fait non, c’est vraiment ça. Et j’ai été super impressionné par cette faculté de créer une histoire, qui est horrible, c’est une sorte de spirale infernale, mais sans méchants ni gentils, juste des personnages qui sont au mauvais endroit au mauvais moment. Et c’est assez unique, c’est très très rare ce genre de films.
EV : Oui, moi c’est ce qui m’a frappé quand je l’ai revu il y a deux ans. C’est vrai qu’on est toujours habitué, particulièrement dans le western qui est vraiment un genre archétypal et très épuré, avec des rôles clairement attribués, même s’il peut y avoir des nuances de gris, à savoir de quel côté se placer. Dans ce film on sait pas trop, on se rend bien compte que le personnage de Lee J. Cobb est en fait un bon petit patron, un bon père de famille, qui a vraiment beaucoup d’estime et d’humanité pour ses employés, qui essaie de régler leurs problèmes, et qui a vraiment un respect pour la terre sur laquelle il vit. Et on voit à quel point ce qui lui tombe dessus est peut-être injuste en fait. Je trouve ça assez passionnant, parce qu’on est mal. C’est un film qui met mal à l’aise, parce que tout ce qui arrive ne devrait pas arriver. Ça nous met face à des dilemmes moraux, à quoi on doit tenir, à quoi on doit renoncer. Je trouve que le film est assez fort à ce niveau-là.
W : Ce qui est fou c’est que c’est en même temps passionnant au niveau des dialogues…
EV : Brillamment écrit.
W : Oui, c’est super bien écrit, mais il y a quelque chose de lourd. Je crois que c’était le début du western crépusculaire, si je me trompe pas, et on les sent tous écrasé par la fatigue, par le poids du passé. C’est une seule erreur qui met le feu aux poudres. Il y a quelque chose de profondément… pas forcément pessimiste, mais on sent vraiment la fin d’une époque, la fin du cowboy conquérant. Quand Lee J. Cobb parle des indiens c’est avec beaucoup de respect, d’une façon pas du tout pro-américaine, surtout à cette époque-là, je me demande si le film a bien marché d’ailleurs.
EV : À l’époque ? J’en ai aucune idée. Mais c’est vrai que quand il dit « Faut pas croire ce qu’on a dit sur les comanches, c’était des gens bien », par rapport à un personnage qui est censé incarné un côté un peu conservateur, qui a pris la terre aux indiens, c’est assez fort comme moment. J’aime aussi beaucoup le personnage féminin, qui est empreint de lassitude, qui a dû avoir une vie de fille un peu légère, qui finalement s’est marié avec le mec qui était juste plus sympa que les autres… Tous les personnages ont ce côté un peu résigné, las, qui est assez intéressant. C’est vrai que c’est plutôt un western crépusculaire.
W : Et c’est émouvant du coup.
EV : Oui c’est vachement émouvant.
W : Et la fin… On spoilera pas la fin, mais c’est dur, on a pas envie que ça se finisse comme ça.
EV : C’est vrai que c’est épouvantable[rires]. C’est un film épouvantable. C’est très Wellsien en plus, il y a beaucoup de contre-plongées, de courtes focales, c’est étonnant.
W : Et la VF est géniale !
EV : Ben c’est ce que je disais lors de la présentation du film, les versions françaises à l’époque étaient quand même très travaillées, ils prenaient du temps pour les faire. Déjà il y avait des acteurs qui doublaient systématiquement les mêmes comédiens, du coup on avait quand même cette impression de voix très distinctes d’un personnage à l’autre, alors que maintenant les VF sont épouvantables. Les VF des films de super-héros, on a l’impression que toutes les filles ont la même voix, et que tous les garçons ont la même voix. Alors que quand on regarde les VF des années 60, 70, c’est beaucoup plus soigné.
W : Ça apportait même une plus-value parfois.
EV : Une plus-value je sais pas, mais ça apportait quelque chose. Je pense notamment aux séries, Amicalement Vôtre est beaucoup mieux en VF qu’en VO. L’espèce d’homosexualité latente qu’on peut sentir entre Tony Curtis et Roger Moore est vraiment apportée par les doubleurs dans la VF.
W : Et alors après L’Homme de la Loi tu as présenté Le Piège infernal, je me rappelle que tu avais dit, si vous avez aimé le premier, alors celui-là vous allez l’adorer, et ben curieusement je l’ai moins aimé.
EV : Je l’ai survendu en fait, c’était pour que les gens restent [rires].
W : J’ai trouvé ça vachement bien, mais presque plus accès sur une galerie de personnages super bien brossés que sur une véritable intrigue.
EV : Disons que, moi j’adore ce film parce qu’il est totalement foutraque. Contrairement à L’Homme de la Loi, qui est hyper carré, qui a un déroulement dramatique limpide qui en fait une tragédie, Le Piège infernal c’est une espèce de truc complètement délirant. Ça part dix minutes sur le bas-côté avec des scènes de pochetronnage où on décroche totalement de l’histoire, et puis ça revient dans l’histoire, y’a un côté totalement foutraque dans la manière dont l’intrigue est gérée que moi je trouve assez passionnant. Et il faut le remettre dans le contexte, c’est un film normal, un film qui sort le mercredi au milieu des autres, et pas dans deux salles. Est-ce que ça pourrait sortir de la même manière aujourd’hui ? On se dirait « mais ce film est dément ! » On a quand même des images très transgressives dans le film. Quand Stacy Keach braque la tempe d’une ado qui est la fille du méchant interprété par Stephen Boyd, c’est quand même une image hyper choquante quand on y pense.
W : Et la scène du strip-tease m’a remué.
EV : La scène du strip-tease est extrêmement dérangeante.
W : En plus ils ont choisi une actrice… C’est une maman dans l’histoire, et elle a vraiment un corps de maman, ils ont pas voulu faire quelque chose d’érotique.
EV : Non, c’est pour mettre mal à l’aise, en plus c’est sous une ampoule, une lumière crue qui ne la met pas en valeur, c’est totalement délibéré. Donc c’est vrai que les films de l’époque étaient quand même déments. Les gens faisaient des choses folles. On a perdu l’habitude en fait, maintenant on dirait « attends non c’est pas possible. On va pas aller si loin sur le strip-tease, on va pas braquer un flingue sur la tempe de cette ado, on va pas voir le héros rentrer à poil chez lui complètement bourré après s’être fait humilié par deux gangsters».
W : C’est peut-être parce qu’il y a tellement d’exemples de films complètement foutraque qui au final se sont écroulés, qu’on n’ose plus maintenant. C’est vrai que le film est constamment à la limite du déséquilibre, qui peut passer d’une scène super rigolote, comme la scène du salon de massage, à une scène super dure où on retrouve une gamine enfermée dans une sorte de chaudière quand même.
EV : Et on imagine qu’ils l’ont laissé là pour qu’elle crève de faim. C’est épouvantable en fait. Mais c’est fait entre deux scènes de pochetronnages complètement délirantes, comiques, et le film est en constante roue libre, et moi j’aime bien ça. Il y a une liberté de ton dans le film qui fait vraiment plaisir. Ce qui pour moi unissait les deux films que j’ai choisi, c’était justement cette liberté de ton. Ce sont des films qui vont jusqu’au bout de leur propos, et qui ne s’embarrassent d’aucun complexe. Il y a une liberté là-dedans qui est assez formidable, et puis ce sont des films qui sont très peu montrés.
Corvis.