
Auteurs : Guilherme Petreca et Tiago Minamisawa
Editeur : Ankama
Genre : Drame, Fantastique
Résumé :
À la suite d’une expérience traumatisante, Kabuki décide de porter un masque et de renoncer à jamais à son identité. Et si se fondre parmi les Hommes lui permettait de trouver sa place ?
Errant sans but et sans âme, Kabuki se perd dans les opiacés et le désespoir jusqu’à sa rencontre avec Alma, sorte d’alter ego bienveillant. Celle-ci lui apportera son soutien et lui apprendra à se nourrir du monde afin de répondre aux questions l’habitant depuis toujours.
Avis :
Le 15 février 2017, à Fortaleza, au Brésil, Dandara dos Santos, une femme transgenre de 42 ans est torturée puis abattue de deux coups de fusil par un groupe d’adolescents. Les faits sont filmés et mis sur Youtube, ce qui permettra l’arrestation des assassins par la police. Le motif de ce meurtre est tout simplement de la transphobie, et en 2017, le Brésil recense pas moins de 445 meurtres envers la communauté LGBT. Tiago Minamisawa, alors scénariste, tombe sur la vidéo du meurtre, et cela va le traumatiser. Afin de combattre ses cauchemars et de sensibiliser le monde sur ces faits divers abjects, il décide de coucher sur papier ce qui deviendra alors un court-métrage d’animation, Kabuki. Plusieurs fois récompensé, le court-métrage va faire du bruit, et on proposera alors au scénariste d’en faire une BD afin d’approfondir son histoire et de lui donner une nouvelle visibilité.
Et aujourd’hui, le sujet de la transphobie est plus que jamais d’actualité, avec des agressions qui sont toujours à la hausse, et une intolérance qui prend de plus en plus de place. Kabuki raconte donc l’histoire de Kabuki, une femme née dans le corps d’un homme et qui veut redevenir femme. Malheureusement, elle doit faire face aux normes d’une société qui ne veut pas comprendre son mal-être, puis à des personnes intolérantes, qui vont la répudier, voire essayer de l’assassiner. Afin de donner un élan tragique et poétique à l’ensemble, les deux auteurs livrent cette histoire au sein d’un théâtre japonais, donnant un lien avec le scénariste qui possède la double nationalité brésilienne et japonaise. Bien évidemment, cela permettra aussi de jouer avec les masques du kabuki, faisant alors office de différentes personnalités et émotions au sein de l’histoire et des ressentis du personnage principal.
Ce qui frappe, c’est bien sûr la narration de cette bande-dessinée. L’auteur joue avec les saisons en même temps que le personnage vieillit et accepte ou non son sort et l’injustice qu’il subit à travers les âges. Au tout début, il s’agit d’un enfant qui aime se maquiller et jouer un personnage féminin, mais il doit faire face aux ingérences de la société et se plier aux normes qui sont érigées par une majorité pas toujours tolérante et juste. Le démarrage est mutique, laissant beaucoup de place à l’imaginaire, mais aussi à une ambiance chaude. Notre culture, et l’image que l’on a du théâtre classique japonais fait le reste nous permettant alors de nous faire le film dans notre tête. Puis plus le temps passe, et plus le personnage sombre dans une mélancolie morbide, ne sachant qui il est, et comment s’accepter, pour être accepter par la société.

Le choix de faire comme une descente en enfer est savamment choisi, jusqu’à l’arrivée salvatrice d’une divinité qui prend la forme d’un phénix. Cela redonne espoir et courage au personnage central qui, après plusieurs essais de masques, après s’être cherché pendant des années, va tenter de s’affirmer avec une certaine timidité. Malheureusement, l’hiver arrive et les loups attaquent alors cette femme dans un corps d’homme, faisant un parallèle avec les agressions transphobes. Le personnage meurt lacéré dans une nappe de neige qui va le recouvrir entièrement. Jusqu’à une renaissance inespérée, une acceptation totale de sa féminité, faisant alors fi des menaces et des agressions pour devenir un papillon gigantesque qui n’a que faire du regard des autres, devenant plus fort que n’importe qui. Un message d’espoir magnifique qui permet à la BD de se terminer de façon positive, alors même qu’elle parle d’un sujet grave et tragique.
Si le scénario est beau, baignant dans une poésie qui emprunte autant à la tragédie grecque qu’à l’imagerie du kabuki, il faut aussi signaler la beauté des dessins de Guilherme Petreca. Si on pourrait lui reprocher un style épuré au niveau des personnages, c’est alors en ignorer la richesse stylistique, aussi bien dans la recherche des masques, que dans la mise en scène qui pioche dans de nombreux genres. Chaque case détient un savoir-faire impressionnant, où la beauté ne prend jamais le pas sur la poésie de l’ensemble. Il y a un côté naïf qui se marie parfaitement avec l’ambiance générale, et même l’histoire en elle-même. De plus, les couleurs ont un sens qui s’assimilent parfaitement avec les chapitres qui sont les quatre saisons. Il y a une cohérence dans tous les recoins de cette BD, même au niveau des créatures choisies comme le dragon, les loups ou le phénix.
Au final, Kabuki est une BD formidable qui touche du doigt un problème de société actuel qui est intolérable. Afin de ne pas faire dans la moraline à deux balles, le duo décide de faire cela avec délicatesse et poésie, tout en n’affinant jamais le propos, préférant alors les métaphores et les symboliques qui mieux nous faire réfléchir sur ce sujet. Un sujet traité alors avec sérieux, bénéficiant de dessins tout simplement sublimes, mais qui ne se substituent jamais à l’histoire en elle-même. Un équilibre parfait qui permet alors un discours plus efficace pour évoquer un sujet qui devrait être traité plus souvent dans le neuvième art.
Note : 17/20
Par AqME