
Autrice : Léna Canaud
Editeur : Ankama
Genre : Fantastique, Romance
Résumé :
Imaginez deux mondes parallèles, l’un ayant sept ans d’avance sur l’autre. De ce Côté, au fond d’un jardin à la campagne, se cache un puits à souhaits. Chaque personne peut venir y déposer une lettre afin d’exprimer ses regrets ou ses espoirs et ainsi aspirer à une nouvelle vie pour son alter ego.
De l’Autre Côté, ces vœux sont réceptionnés par les Tisseurs : des professionnels qui influenceront discrètement leurs choix, pour les mener sur la bonne voie. Ethel, Gardienne du puits à souhaits, a toujours rêvé d’être Tisseuse, mais a fini par s’accommoder à la monotonie de son quotidien. Jusqu’au jour où Saule, son compagnon, décède brusquement. Désespérée, elle envoie pendant six ans des lettres aux Tisseurs pour changer son destin de l’Autre Côté.
Mais, ne sachant pas si son vœu a été réalisé, elle décide de braver l’interdit en traversant avant que l’accident de Saule n’y survienne. Son but ? Le sauver, et enfin réaliser son souhait : devenir Tisseuse.
Avis :
Le monde de la BD n’est pas un lieu figé dans lequel seuls ceux qui ont fait des écoles de dessin peuvent se lancer dans l’aventure. C’est un domaine qui contient de nombreux autodidactes, et l’avantage avec cela, c’est qu’il y a toute sorte de traits graphiques différents, allant du réalisme à des choses plus éthérées et douces. Prenons l’exemple de Léna Canaud, dont le premier ouvrage, Tisseuse, nous préoccupe entre ces lignes. Elle commence à construire son histoire il y a près de dix ans, mais elle veut en faire un roman. Sauf qu’elle fait un blocage, et commence alors à gribouiller quelques dessins, lui permettant d’imager son scénario. De là, elle se rend compte que le format BD serait plus approprié pour raconter ce qu’elle a à dire, et de ce fait, elle va chercher un éditeur, afin de lui donner plus de moyens pour concrétiser son bébé.
Dix ans, c’est long, mais cela permet aussi de peaufiner son écriture, et donc d’offrir un scénario complexe, surtout lorsque celui-ci joue avec les temporalités et les différents choix de vie qui s’offrent à nous. Ici, on va suivre Ethel, une jeune fille qui aide sa grand-mère à recueillir les vœux de certaines personnes qui ont des regrets. Une fois ces vœux étudiés et classés, Ethel et sa grand-mère jettent les lettres dans un puits, qui est en fait un portail magique vers le même monde, mais qui a sept ans de retard. De l’autre côté se trouve des tisseuses, des personnes qui vont influer sur la vie des gens afin de réaliser leurs vœux. Ethel est éperdument amoureuse de Saule, mais ce dernier va être victime d’un accident et mourir prématurément. Dans la foulée, sa grand-mère décède d’une crise cardiaque, et Ethel décide alors de sauter dans le puits.
L’un des grands sujets de cette histoire est les regrets et les remords que l’on peut avoir lorsqu’on a la sensation de ne pas avoir fait les bons choix dans sa vie. L’existence même de ce puits, qui ne pourrait être qu’un fantasme, permet d’espérer alors une vie meilleure dans un monde parallèle qui a tout de même du retard sur le nôtre. Cependant, rien n’est jamais sûr, et même lorsque Ethel passe de l’autre côté, on se rend compte que les vœux ne sont pas toujours exaucés, car ils sont faits pour les mauvaises raisons, ou parce qu’ils sont tout simplement irréalisables. Et l’une des moralités de cette histoire, c’est qu’il faut apprendre à vivre avec ces regrets et ces remords. C’est raconté de façon simple, à travers le personnage d’Ethel qui doit faire son deuil pour avancer dans sa propre vie.

L’autre grand sujet de cette bande-dessinée concerne les différents choix de vie qui s’imposent à nous, et qui influent fortement sur notre futur. Qui ne s’est jamais posé la question de ce que sa vie serait s’il avait fait tel ou tel choix ? Ici, Ethel pense pouvoir changer le cours de sa vie en plongeant dans le puits, pouvant alors renouer des liens avec Saule. Mais les choses sont différentes, et les lignes ne suivent pas un chemin linéaire. La force d’écriture réside bien évidemment dans cette chevauchée des destins, qui s’entrecroisent pour ne jamais se ressembler. L’avantage avec une telle BD, c’est que ces destins croisés sont simples à comprendre, évitant alors de faire dans un brainstorming qui nuirait aux émotions ressenties. Mais de côté-là, on peut ressentir une légère faiblesse, car l’ensemble demeure tout de même naïf.
Le scénario est beau, l’histoire d’amour est plutôt belle avec une pointe de tragique, mais on reste sur une histoire d’amour lente, latente, qui peine par moments à avoir de vrais moments de grâce. Et cela est dû en partie à un dessin trop simpliste, qui semble provenir de la bande-dessinée jeunesse, et qui empêche à quelque part de nous emporter dans un maelstrom d’émotions. Il y a des choix artistiques de fait, et c’est totalement louable, comme le travail sur la couleur entre les deux mondes, évoquant alors des sentiments différents, mais parfois, cela ne marche pas pleinement avec la grandiloquence choisie pour raconter cet amour intemporel. Il manque à Tisseuse de la profondeur dans le dessin, ainsi que des expressions claires chez les personnages, qui demeurent assez mutique dans leur visage. Néanmoins, cela est propre à la sensibilité de chacun, et certains y trouveront certainement leur compte.
Au final, Tisseuse est une bande-dessinée qui essaye de sortir des sentiers battus, aussi bien par son histoire que par son format. Léna Canaud fournit un travail conséquent et démontre qu’il est totalement faisable de raconter une histoire d’amour avec du voyage dans le temps en se faisant simple et direct. Néanmoins, on aurait aimé, mais c’est personnel, des dessins un peu plus fouillis pour être plus pris aux tripes. En l’état, on est bercé dans une certaine mélancolie, et c’est déjà pas mal.
Note : 14/20
Par AqME