
Avis :
Le Post-Black métal est un genre très particulier qui emprunte au Black sa violence et ses riffs agressifs, mais qui arrive à lui donner des airs mélancoliques avec des touches plus mélodiques, et notamment des nappes plus aériennes en arrière-plan. Certains groupes sont devenus des piliers de cette scène, comme les autrichiens de chez Harakiri for the Sky. Duo formé en 2011 autour du chanteur Michael V. Wahntraum et du multi-instrumentiste Matthias Sollak (anciennement Bifröst), le groupe sort son premier album éponyme en 2012 sous le label AOP Records. Toujours fidèle à cette maison de disque, c’est de manière presque métronomique que le groupe va sortir un album tous les deux ans. Scorched Earth est leur sixième effort studio et il aura mis quatre ans à végéter, la faute à des remasters des deux premiers albums du groupe. Mais souvent, plus de temps permet de peaufiner son travail.
Comme à leur habitude, les autrichiens fournissent un album qui présente peu de pistes, ici, huit, mais pour une durée qui dépasse allègrement l’heure d’écoute. Cela signifie que chaque titre est une longue pièce complexe dans laquelle il va falloir rentrer. Et si on y regarde plus près, la plus courte fait plus de cinq minutes, et s’avère être une reprise de Radiohead. Donc, le groupe a des choses à dire, et il ne fait pas les choses à moitié. D’ailleurs, dès le début, on est mis dans le bain avec Heal Me. Durant plus de sept minutes, le morceau coche toutes les cases du Post-Black, à savoir un chant crié qui peut évoquer la douleur, de gros riffs qui tachent, mais surtout, il se dégage de l’ensemble une sorte de douce mélancolie, ce qui peut paraître antinomique. Et pourtant, l’ensemble tient parfaitement la route.
On est constamment bousculé dans nos attentes, avec d’un côté une batterie lourde et puissante, et de l’autre, des riffs aériens qui viennent apporter une certaine douceur dans ce monde de brutes. Bref, cette entrée en matière est percutante, et montre que le groupe en a sous la pédale. Keep me Longing dépasse les dix minutes et débute avec un piano qui est de toute beauté. On sent que la production est solide, et lorsque le titre part dans des contrées plus lugubres, on se laisse envoûter par la densité de la chose. C’est toujours aussi puissant, virevoltant, virtuose, et jamais l’ennui ne vient poindre le bout de son nez. Ce sera sensiblement le même ressenti avec Without You I’m Just a Sad Song qui démarre de façon très tendre, avant de partir vers plus de puissance, mais moins virulente qu’auparavant.

Si le chant se révèle toujours crié, on sent que dans la rythmique, les choses vont moins vite, et on a droit à quelques passages plus doux, montrant alors la technique du musicien, mais aussi la cohérence des sentiments éprouvés. Les paroles sont tristes, et on retrouve cette mélancolie dans la musicalité du morceau. No Graves but the Sea s’avère moins long, mais il y a une belle ampleur qui nous submerge, et on sent que le groupe est très inspiré. Malgré une construction un peu similaire au reste, il réside une atmosphère différente, peut-être plus « joyeuse » ici, contrairement à ce que laisse suggérer le titre. Et lorsque la rythmique s’emballe, on a l’impression d’avoir un aspect punk qui n’est pas désagréable. Quant à With Autumn I’ll Surrender, on est plus sur quelque chose d’avant-gardiste, mais qui conserve ses aspects Post-Black avec une ligne de basse sublime.
Pour les trois derniers morceaux, le groupe s’ouvre un peu plus, sans jamais se renier. I Was Just Another Promise You Couldn’t Keep détient un petit côté irlandais, notamment avec la présence d’un violon qui vient nous cueillir derrière les riffs puissants. Garder son identité, tout en innovant à chaque piste, c’est vraiment incroyable. Les autrichiens font preuve d’une maîtrise à couper le souffle. Puis Too Late for Goodbyes rentre parfaitement dans ce que l’on attend du Post-Black, jouant avec les codes du Black pur dans son démarrage, avec son blast infernal et sa virulence pleinement assumée. Et cela en n’oubliant pas les guitares en arrière-plan, aux accents plus aériens, plus doux, qui viennent épaissir un peu plus un titre déjà dense et riche. Enfin, Street Spirit (Fade Out), reprise de Radiohead, est un morceau incroyable de douceur. C’est mélancolique, c’est beau, c’est tout simplement virtuose.
Au final, Scorched Earth, le dernier album de Harakiri for the Sky, est une réussite de bout en bout. C’est à la fois puissant, riche, dense, mélancolique, vibrant, les superlatifs manquent pour parler de ce sixième effort qui impose le groupe comme un pilier du Post-Black. Comme quoi, il suffit de peu de titres pour emporter son auditoire, tant que ces derniers sont bien fichus et démontrent l’élan créatif du groupe.
- Heal Me
- Keep me Longing
- Without You I’m Just a Sad Song
- No Graves but the Sea
- With Autumn I’ll Surrender
- I Was Just Another Promise You Couldn’t Keep
- Too Late for Goodbyes
- Street Spirit (Fade Out) (Radiohead Cover)
Note : 18/20
Par AqME