février 10, 2025

Les Banshees d’Inisherin – Querelle de Voisinage

Titre Original : The Banshees of Inisherin

De : Martin McDonagh

Avec Colin Farrell, Brendan Gleeson, Kerry Condon, Barry Keoghan

Année : 2022

Pays : Irlande, Etats-Unis

Genre : Drame, Comédie

Résumé :

Sur Inisherin – une île isolée au large de la côte ouest de l’Irlande – deux compères de toujours, Padraic et Colm, se retrouvent dans une impasse lorsque Colm décide du jour au lendemain de mettre fin à leur amitié. Abasourdi, Padraic n’accepte pas la situation et tente par tous les moyens de recoller les morceaux, avec le soutien de sa sœur Siobhan et de Dominic, un jeune insulaire un peu dérangé. Mais les efforts répétés de Padraic ne font que renforcer la détermination de son ancien ami et lorsque Colm finit par poser un ultimatum désespéré, les événements s’enveniment et vont avoir de terribles conséquences.

Avis :

Martin McDonagh est un réalisateur un peu à part dans le monde du cinéma. S’il réalise peu, il faut quand même dire qu’il est toujours le scénariste de ses propres films, et que pour l’instant, en l’espace de quatre réalisations, il a su mettre tout le monde plus ou moins d’accord. Sa carrière débute réellement en 2008 autour de la comédie burlesque à tendance espionnage Bons Baisers de Bruges, où l’on retrouve déjà Colin Farrell et Brendan Gleeson. Le film est un succès, ce qui lui permettra alors de faire 7 Psychopathes, qui joue là-aussi avec la comédie pour aborder des sujets sensibles. Néanmoins, le long-métrage marque moins, et cela malgré la présence d’un casting de zinzin. Il faudra cinq années au cinéaste pour revenir sur le devant de la scène, et quel retour !

Avec 3 Billboards, les Panneaux de la Vengeance, le cinéaste va remporter de nombreux prix, dont celui du meilleur scénario à la Mostra de Venise, mais aussi quatre Golden Globes, ainsi que deux Oscar, celui de la meilleure actrice pour Frances McDormand (alors réticente à jouer ce rôle) et celui du meilleur second rôle masculin pour Sam Rockwell. Forcément, après un tel raz-de-marée, on s’attendait à voir Martin McDonagh sur un énorme projet, et c’est en toute discrétion que le réalisateur fait son retour fin 2022 avec Les Banshees d’Inisherin, une coproduction irlandaise et américaine, dans laquelle il fait de nouveau s’opposer Colin Farrell et Brendan Gleeson. Et comme à son habitude, le cinéaste se joue des codes de la comédie pour fournir un drame profond qui ne sera qu’une allégorie au conflit irlandais.

« derrière cette situation burlesque, il va y avoir une tension »

Le film rentre rapidement dans le vif du sujet, à savoir la confrontation de deux hommes, qui étaient amis, et qui ne vont pas le rester, tout simplement parce que l’un des deux en a décidé ainsi. Sous cette démarche loufoque se cache un mal-être évident. Et la première partie du film va s’évertuer à mettre en avant le comportement des deux types, que tout semble opposer, mais quand on habite une petite île, il est difficile de ne pas se croiser. Ainsi donc, le personnage incarné par Colin Farrell va tenter de comprendre pourquoi son ami de longue décide de ne plus lui parler, et de l’autre, le mutique Brendan Gleeson va rapidement évoquer l’imbécilité de son comparse. Là encore, on détecte toutes les nuances pince sans rire de Martin McDonagh qui fait preuve d’un vrai sens de la loufoquerie.

Cependant, derrière cette situation burlesque, il va y avoir une tension qui ne va faire que monter, notamment lorsque le personnage joué par Brendan Gleeson décide de se couper les doigts à chaque fois que Colin Farrell vient lui parler. On se rapproche doucement d’une folie douce, avec en filigrane les coups de feu d’une guerre civile qui fait rage sur le territoire. C’est à ce moment-là que l’on va se rendre compte que ce petit conflit n’est que le reflet du grand conflit qui oppose les irlandais. Deux ennemis de la même origine, qui décident de se battre pour on ne sait quelle raison, jusqu’à s’automutiler pour montrer à l’autre sa ténacité, et à quelque part, sa bêtise. Une bêtise qui se retrouve dans les deux camps, l’un ne voulant pas laisser l’autre en paix, car il en est tout simplement incapable.

« on peut être rebuté par le rythme lancinant du long-métrage. »

Au-delà de ce sujet très fort, le film va aussi aller plus loin, notamment dans sa présentation d’un peuple insulaire replié sur lui-même et qui se nourrit d’histoires et de légendes. On retrouvera les poncifs du genre avec le benêt du village, sublimement joué par Barry Keoghan, qui devient touchant au gré de l’histoire, la sœur intelligente (Kerry Condon) qui subit cette vie recluse, et va prendre une décision qui lui déchirera le cœur, ou encore la commerçante qui veut être au courant de toutes les rumeurs du village. Martin McDonagh s’amuse aussi avec les légendes, puisque dans son titre, la banshee est celle qui annonce la mort, et il la matérialise avec une vieille dame, qui évoque une sorcière, et se repait de l’angoisse qu’elle véhicule. On parlera aussi de l’alcoolisme, de musique folklorique, de ce qui reste après notre mort, etc… Le film est très riche.

Néanmoins, on peut aussi lui reprocher plusieurs choses. Car si la mise en scène est sublime et que l’on a envie d’aller visiter cette île isolée et verdoyante, on peut être rebuté par le rythme lancinant du long-métrage. Non pas que ce soit long à démarrer, mais l’histoire demeure assez simple, et deux heures pour raconter cela, c’est un peu trop. Le réalisateur joue avec ses personnages, mais ils les enferment dans un cadre qui ne bougera jamais. L’ensemble manque peut-être de dynamisme, ou tout du moins d’un humour un peu plus présent. En fait, le film manque d’équilibre sur ses tonalités, ce qui fait que l’on est toujours entre deux genres, la comédie et le drame, et on peut être perdu dans ses sentiments, ses sensations à l’égard de ce long-métrage, et de ce qu’il veut nous raconter.

Au final, Les Banshees d’Inisherin est un bon film, et montre que Martin McDonagh ne se repose pas sur ses lauriers, et ne cède pas encore aux sirènes d’un cinéma stéréotypé. Son long-métrage est beau, intelligent, et il est porté brillamment par des acteurs investis. Seulement, son rythme lancinant, sa tonalité si particulière et son humour parfois décalé peut en rebuter certains, et on sent que parfois, ça manque d’équilibre. Bref, un excellent film, mais qui n’est pas dénué de défauts.

Note : 15/20

Par AqME

AqME

Amateur d'horreur, Métalleux dans l'âme, je succombe facilement à des images de chatons.

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