
Avis :
On peut distinguer deux types de rap différents en fonction des paroles qui sont usitées. Si l’on ne veut pas se prendre la tête et « s’ambiancer » comme disent les jeunes, on peut écouter des rappeurs avec des paroles légères, qui sont des hymnes à la fête, ou qui parlent d’argent. Au contraire, si l’on est plus intéressé par des sujets sociétaux et que l’on cherche des paroles qui font réfléchir, alors on va se tourner vers ce que l’on appelle le rap conscient, dont Youssoupha est l’un de ses fers de lance. D’origine zaïroise, c’est en 2005 qu’il se fait connaître, et il va faire partie d’une communauté de rappeurs qui veulent donner du sens à leurs textes et poser sur la table (et dans les écouteurs) des problèmes de tous les jours, dénonçant alors les inégalités de notre société.
Fort d’une qualité d’écriture indéniable et d’un sens du flow, il va aussi se mettre à dos certaines pourritures de la télévision française, dont un certain Eric Zemmour, qui intentera un procès contre le rappeur. Mais qu’importe, les idéaux sont là, ils sont beaux et forts, et la perte de ce procès n’empêchera pas Youssoupha de continuer à sortir des albums, à utiliser la force de sa plume pour dénoncer. Polaroïd Expérience, qui nous préoccupe entre ces lignes, est son cinquième album paru en 2018, et c’est l’un de ses plus personnels, où il évoque sa vie de Kinshasa à Cergy. Arguant une pochette sombre où il s’affiche bébé avec sa grand-mère, cet effort est aussi plus simple dans les arrangements que les précédentes sorties du rappeur, essayant alors d’être plus minimaliste pour mieux nous toucher par cette histoire. Mais est-ce que ça marche ?
Le skeud débute avec Polaroïd Expérience, un titre fleuve de plus de cinq minutes, qui évoque tous les sujets qui sont chers à Youssoupha. Il y parle de sa jeunesse, de sa vie, de son métier, de son succès, mais aussi de ses idéaux politiques. Le morceau est très intéressant dans sa structure, car malgré la colère sourde, il envoie un vrai message d’amour à son public, à sa famille, mais aussi au monde, qu’il considère comme sa maison. Il s’agit-là d’un hymne à vivre ensemble en pointant du doigt ceux qui divisent pour mieux régner. D’un point de vue instrumental, on reste sur quelque chose de simple, qui permet aux paroles de mieux ressortir et marquer. Et on va retrouver cela plusieurs fois dans l’album, avec d’autres moments qui seront moins marquants, la faute à un aspect Pop urbaine moins grinçant.

Si l’on retire l’interlude La Cassette qui parle de nostalgie en moins de deux minutes, on s’attardera plus volontiers sur Devenir Vieux, qui oscille entre rap old school et Pop urbaine qui manque un peu de ferveur. La plume est toujours aussi incisive et aborde la vieillesse ou la peur de grandir, mais l’instru se fait trop douce et trop factice pour appuyer les propos. De plus, le refrain n’est pas très intéressant, coupant un flow qui est bien plus percutant. Et ce côté R’n’B un peu africain, qui rappelle Gims, se retrouve avec M’en Aller qui se fait trop « commercial » pour nous satisfaire pleinement. Alors oui, le refrain fonctionne et reste en tête un long moment, mais globalement, on n’est pas sur un morceau qui fait réfléchir ou aborde des sujets intéressants. Ça apporte un peu de légèreté, mais ce n’est pas ce que l’on attend.
Et le problème avec cet album (qui demeure très bon), c’est que les morceaux moins percutants, avec une instru mercantile, reviennent assez souvent, avec un style qui pourrait presque rejoindre celui de Gims ou Soprano. On peut citer Les Sentiments à l’Envers avec sa guitare sèche sympathique, Par Amour qui reste fragile ou encore Devant et son Autotune insupportable. Heureusement, cela est contrebalancé avec des titres très efficaces et purement Rap comme Avoir de l’Argent et son texte piquant sur le monde capitaliste ou encore Mourir Ensemble, qui répond avec cynisme aux racistes et à ceux qui votent l’extrême droite. C’est malin en plus d’être d’une redoutable efficacité dans le refrain et l’instru, qui se révèle simple. Enfin, Le Jour où j’ai Arrêté le Rap clôture l’album de façon percutante, synthétisant toutes les thématiques de Youssoupha, entre égo-trip et sujet de société.
Au final, Polaroïd Expérience, le cinquième album de Youssoupha, est un effort relativement réussi et plutôt intéressant dans les thèmes qu’il brasse. Alors qu’il embrasse la quarantaine, le rappeur croule sous les doutes et les questionnements autour de notre société, et il délivre des textes incisifs et puissants, qui pousse à la réflexion. Il est juste dommage que quelques morceaux embrassent trop le R’n’B commercial que l’on entend trop, offrant alors des moments plus dansants, mais qui manquent de fond. Bref, il s’agit-là d’un album éminemment sympathique, mais qui aurait pu être encore mieux !
- Polaroïd Expérience
- La Cassette
- Devenir Vieux
- M’en Aller
- Avoir de l’Argent
- Les Sentiments à l’Envers
- Alléluia/1989
- Par Amour
- Niama Na Yo
- Devant
- Mourir Ensemble
- Le Jour où j’ai Arrêté le Rap
Note : 15/20
Par AqME