Auteur : Seishi Yokomizo
Editeur : Editions Picquier
Genre : Policier
Résumé :
Le village aux Huit Tombes est une modeste bourgade au coeur des montagnes, abritant les corps de samouraïs assassinés, dans des temps très anciens, par les habitants à la, recherche d’un trésor fabuleux.
L’arrivée du narrateur coïncide avec une cascade d’assassinats qui plonge rapidement les villageois dans le désarroi et la terreur. Avec l’aide de son ami, le détective Kindaichi, il découvre avec horreur que les crimes se succèdent selon une mécanique diabolique, dont il tente de comprendre les lois avant que la boucle ne soit fermée. Seuls quelques poèmes énigmatiques le guideront dans ce labyrinthe redoutable, tissé par les haines, les soupçons et la peur : Celui qui s’aventure sur le Mont du Trésor du Bouddha sacré s’expose à la terreur de la Mâchoire du Dragon.
Avis :
Il est assez étonnant de voir que certains livres écrit il y a plus de cinquante ans (si ce n’est encore plus) peuvent encore résonner comme d’actualité aujourd’hui. Et cela sans parler d’un thème précis, mais plutôt dans leur tonalité, et dans leur aspect intemporel et dans le style d’écriture. Seishi Yokomizo est un auteur japonais qui a eu un regain de renommée dans les années 70, et qui fut considéré pendant un temps comme le maître du polar nippon. Chez nous, il est difficile de trouver des livres de cet écrivain, puisque seulement trois livres ont été traduits, dont Le Village aux Huit Tombes, qu’il a écrit entre 1949 et 1951. Un polar qui évoque rapidement l’après-guerre, mais qui va surtout se concentrer sur une série de meurtres, un héritage maudit et une chasse au trésor perfide. Bref, un concentré détonant et étonnant pour l’époque.
Le roman débute avec une introduction qui frappe fort. On y évoque deux choses importantes, qui vont avoir des répercussions sur l’histoire principale. On parle donc d’un passé lointain, où huit samouraïs dérobent un trésor, et le planque dans un petit village perdu dans les montagnes. L’histoire de ce trésor arrive aux oreilles des habitants, qui vont alors zigouiller les samouraïs, et se mettre en quête du trésor, en vain. Par la suite, des personnes meurent de façon accidentelle, et une malédiction semble planer sur le village. Dès lors, les villageois décident de rendre hommage aux huit samouraïs en créant un cimetière pour eux, et donnant alors le nom au village. Ce début est plutôt bon enfant, et il va dénoter avec la suite. Car oui, cette introduction pose la justification du titre, et le thème d’une chasse au trésor qui peut rendre fou.
Cependant, lors d’un deuxième acte, on va nous raconter l’histoire d’un homme, issu d’une famille riche, qui s’avère violent avec sa femme, qu’il frappe et viole couramment, jusqu’à ce qu’elle s’enfuie avec l’instituteur du village. Fou de rage, l’homme va alors faire un carnage dans le village, tuant pas moins de vingt-huit personnes avant de disparaître dans les bois. Cette deuxième introduction dénote rapidement avec la précédente de par sa violence et son aspect presque horrifique. Si l’auteur nous épargne certains détails qui auraient pu être gores, il montre une appétence pour le crime sauvage, chose rare dans les années 50. Et cette histoire permet alors de raccrocher les wagons avec l’histoire principal, et notamment Tatsuya, le héros, qui va nous raconter son histoire, puisque le roman est écrit à la première personne.
Dès lors, on suit alors un jeune homme qui va toucher un énorme héritage, et qui part faire connaissance avec sa supposée famille. Malheureusement, une fois sur place, les crimes au poison s’enchaînent, et tout semble accabler Tatsuya. Néanmoins, nous, lecteurs, ne sommes pas dupes, puisque l’on sait qu’il est innocent, la faute à la narration qui innocente immédiatement celui qui raconte l’histoire. Commence alors un jeu de recherches assez malin pour trouver l’auteur de ces meurtres, et surtout ses intentions. Seishi Yokomizo joue avec ses personnages, les rendant tantôt mystérieux, tantôt lunatiques, et brouillant les pistes en jouant avec les enjeux de chacun, et notamment la rivalité entre deux maisons riches du village. C’est assez malin, même si ça ne sort pas du carcan policier que l’on connait déjà.
Mais l’écrivain arrive à rendre cela assez attractif de par la relation qu’entretient Tatsuya avec les autres. S’il semble naïf et en proie à une angoisse grandissante sur ses origines, il va surtout expliquer ses sentiments sur ceux qui sont autour de lui, comme ses grands-tantes âgées qui ressemblent à deux petits singes et qui lui offrent un thé amer à boire. Ou encore Noriko, une jeune ingénue qui tombe amoureuse de lui. L’auteur propose un panel intéressant, et ne tombe jamais dans le trop-plein. En outre, le style fluide et moderne permet de suivre avec délectation les différentes pérégrinations du héros, ainsi que l’évolution de ses sentiments en l’égard de sa nouvelle sœur, ou encore d’une jeune femme mystérieuse qui joue avec lui comme un chat avec une souris.
Et ce qui rend la chose ludique, c’est finalement la fin du récit, qui retombe sur la chasse au trésor et joue avec nos nerfs. Notamment parce qu’il va être question d’une momie étrange, de quelques détours dans des souterrains interminables, et de villageois en colère qui veulent faire la peau à ce pauvre Tatsuya, que tout accable. Là encore, Seishi Yokomizo fait preuve d’une modernité incroyable dans son style, jouant entre le polar, l’horreur et l’aventure, au sein d’un dédale qui pourrait être redondant, mais qui s’avère être un labyrinthe où la mort peut s’inviter à chaque détour. On notera juste un final un peu trop appuyé en trois actes, qui perd de sa force dans ses explications à rallonge, même s’il fait la part belle à un détective privé amusant.
Au final, Le Village aux Huit Tombes est un roman très sympathique, qui n’accuse pas du tout le poids de son âge. Si l’histoire peut sembler désuète avec cette histoire d’héritage et de malédiction autour d’une riche famille, le style fluide et moderne de son auteur fait que l’on accroche rapidement et que tout s’enchaîne de façon logique. Bref, sans être un chef-d’œuvre du genre, ce roman s’avère être un bon moment, qui ne montre pas son âge, et ne perd rien en son efficacité.
Note : 15/20
Par AqME