Auteurs : Tom King et Jorge Fornès
Editeur : Urban Comics
Genre : Super-Héros
Résumé :
Starman, Metamorpho et Warlord souhaitent intégrer la Justice League à tout prix. Pour prouver qu’ils en sont dignes, ils ont la brillante idée d’invoquer et d’affronter l’un de ses plus redoutables ennemis : Darkseid. Sans grande surprise, les conséquences sont terribles pour le monde, qui se dirige bien vite vers une crise sans précédent. Le voyage pour tenter de rattraper leur bévue sera périlleux, et l’aide de Manhunter, Lady Cop, Creeper ou encore la Green Team ne sera pas de trop !
Avis :
Si on veut commencer à lire des comics, on n’a que l’embarras du choix, mais c’est aussi un joyeux bordel dans lequel il est très difficile de se repérer. Outre les différents âges des comics (entre l’or, l’argent, le bronze, et certainement d’autres, c’est un peu la galère), il faut aussi savoir quels runs on veut lire, et sur quel personnage se concentrer. Car entre les grandes stars (Superman, Batman, Wonder Woman, etc…), les plus confidentiels, les univers parallèles, les différentes Terres, ou encore les héros qui n’ont connu qu’une paire de parutions, on peut s’arracher les cheveux de la tête. D’ailleurs, il peut arriver que l’on lise un comics avec la sensation d’avoir rater quelques wagons en cours de route, notamment quand il y a des allusions de faites à des histoires précédentes ou connectées. Mais cet état de fait, Tom King semble l’avoir bien compris.
Ancien membre de la CIA, le scénariste propose souvent des récits tortueux et psychologiques, qui mettent en avant des personnages plus ou moins secondaires de certaines grandes œuvres. On pense notamment à Rorschach, l’un des personnages du comic culte Watchmen, qui fut une excellente surprise et un très bon thriller. Habitué à se concentrer uniquement sur un personnage en particulier (comme pour le Joker avec The Winning Card), il a décidé de retrouver le dessinateur Jorge Fornès pour un gros pavé autour de… 24 protagonistes ! Danger Street est un défi de taille, mais qui va prendre en compte un fait extrêmement important, il n’est pas obligé de connaître les héros avant de lire cette histoire, et mieux que ça, ce ne sont que des personnages secondaires qui prennent ici une autre dimension.
L’histoire peut paraître complexe, mais elle ne l’est pas du tout. Ici, on commence avec une femme flic qui accompagne quatre gamins (les casse-pieds) dans le désert pour qu’ils puissent s’amuser avec leur quad. Dans le même temps, Starman, Warlord et Metamorpho utilisent le casque de Metamorpho pour invoquer Darkseid afin de lui tendre un piège et d’intégrer la Ligue de Justice. Malheureusement, c’est Atlas qui sort du casque, tue Metamorpho, ne laissant d’autre choix à Warlord que de tuer le géant, et dans la panique, Starman tue l’un des quatre casse-pieds. Il se met alors en branle une grande aventure dans laquelle chacun essaye de s’extirper de sa condition. Une aventure formée de plusieurs petites histoires qui vont se regrouper.
Danger Street est découpé en douze chapitres qui ont pour titre le nom de quasiment tous les personnages. Et la première chose qui frappe ici, c’est la narration, qui demeure linéaire, mais qui est racontée comme un conte de Fantasy médiévale, alors même que l’aventure se passe de nos jours. Le casque raconte cette histoire, et à la place de donner les noms des personnages, il les considère comme des chevaliers, des princes et des princesses ou encore des brigands, voire des monstres et dragons. Ainsi donc, on se rend compte que cette aventure, aussi contemporaine soit-elle, prend ses sources dans des contes antédiluviens, permettant alors de mieux cerner les enjeux de chacun. C’est malin et permet de ne pas sombrer dans quelque chose d’assez classique.
Mieux, la force du récit réside dans les psychologies de chaque personnage. Starman est rongé par le remord d’avoir tué cet enfant, et il veut se racheter alors même que la dépression le guette. Warlord essaye de rester terre-à-terre, mais il est affaibli par l’âge et le temps qui passe, se morfondant dans le fait qu’il n’a jamais été un grand héros. Darkseid y voit aussi l’occasion de dominer les mondes alors même que le ciel s’écroule. Quant à la fliquette, dépassée par les évènements, elle va constamment se battre pour dénouer l’enquête, quitte à faire face à plus fort qu’elle. On aura aussi la présence du Creeper, cet homme qui peut se transformer en ogre, laissant alors sa violence s’exprimer pour rendre une justice qui a ses limites, tout essayant de faire une carrière télévisuelle pour gagner le cœur des gens. Bref, tout cela est très riche, très dense.
Et cette densité peut aussi se voir comme une limite. S’il n’y a pas besoin de connaître les personnages pour les suivre dans cette histoire, qui est un stand alone (et c’est la volonté du scénariste qui l’explique dans le prologue), il y a beaucoup de segments à gérer, et le choix de faire une paire de planches pour ensuite passer à un autre personnage, puis à un autre et ainsi de suite, fait que la narration est hachée et parfois, elle coupe en plein milieu d’un moment intéressant. Et cela coupe un peu les émotions ou les enjeux. A titre d’exemple, il n’y a qu’un chapitre entier qui s’appuie sur une confrontation entre deux personnages (Manhunter et Assassin), et cela permet de mieux cerner leurs ambitions et leur psychologie. Si tous les personnages ont des rôles plus ou moins équivalents, on reste tout de même sur une densité qui peut rebuter.
Heureusement, les dessins de Jorge Fornès sont plutôt bons. On est dans une sorte d’hommage aux comics des années 70, mais l’ensemble est cohérent avec ce qui est raconté. Certaines planches sont très belles, et appuient aussi le côté dramatique, à l’instar de cette tuerie dans la cuisine de la policière qui marque un climax important. Et si l’histoire est quasiment essentiellement composée de discussions et autres palabres, les quelques scènes d’action sont rondement menées. Mais encore une fois, on est chez Tom King, et ce qui prévaut est surtout verbal, en dehors de l’action et de batailles épiques. Et puis on retrouve aussi des choses amusantes, comme la Green Team, ces quatre milliardaires qui sont en fait des enfants et ne se rendent pas forcément compte du mal qu’ils font avec leur argent.
Au final, Danger Street est un comic qui est très intéressant, notamment dans sa démarche de présenter une pléthore de personnages assez peu connus (à l’exception de Darkseid, je vous l’accorde). Le scénariste arrive à jongler avec tous ses thèmes de prédilection, et offre quelques éléments psychologiques malins et addictifs. Cependant, le récit n’est pas dénué de défauts, à savoir un trop-plein qui peut rendre l’ensemble indigeste, avec des éléments de narration parfois complexes, et des personnages saugrenus (les Outsiders). Mais, entre les bons points et ceux un peu en deçà, on reste tout de même sur un essai réussi, qui sort des sentiers battus au sein des super-héros.
Note : 15/20
Par AqME