octobre 14, 2024

Jour Zéro – C. Robert Cargill

Auteur : C. Robert Cargill

Editeur : Albin Michel

Genre : Science-Fiction

Résumé :

Hopi est un tigre en peluche anthropomorphisé, un robot-nounou comme il en existe tant d’autres. Il n’en avait pas vraiment conscience avant de découvrir une boîte rangée dans le grenier. Celle dans laquelle il est arrivé lorsqu’il a été acheté des années auparavant, celle dans laquelle il sera jeté une fois que l’enfant dont il s’occupe, Ezra Reinhart, huit ans, n’aura plus besoin de nounou. Tandis que Hopi réfléchit à son avenir soudain incertain, les robots commencent à se révolter, bien décidés à éradiquer l’Humanité qui les tient en esclavage. Pour les parents d’Ezra, qui se croient à l’abri dans leur petite communauté fermée, cette rébellion n’est qu’un spectacle de plus à la télé. Pour Hopi, elle le met face à la plus difficile des alternatives : rejoindre le camp des robots et se battre pour sa propre liberté… ou escorter Ezra en lieu sûr, à travers le paysage infernal d’un monde en guerre.

Avis :

Si la science-fiction compte de nombreuses thématiques de prédilection, il est parfois difficile d’innover, à tout le moins d’adopter un angle d’approche peu usité dans le genre. Avec Un Océan de rouille, C. Robert Cargill surprenait un lectorat féru de récits SF portés sur l’extinction de l’humanité. Au-delà de l’hommage formel de son roman, il en ressortait une œuvre pleine de subtilités, s’attardant sur les notions d’existentialisme et de conscience. Avec Jour zéro, l’auteur propose une plongée aux origines du soulèvement des robots contre notre espèce. Une préquelle pour mieux appréhender les évènements qui, jusque-là, ont été évoqués par le biais de souvenirs, d’histoires et de mythes.

Pour certains ouvrages, la mise en contexte fait office de prétexte pour amorcer les hostilités, voire effectuer une exposition incontournable des faits et des protagonistes. Elle peut être expéditive ou bâclée. Soit dit en passant, l’une de ces considérations n’empêche pas l’autre. Avec Jour zéro, cette introduction offre une perspective toute différente. Sans déterminer une période de temps précise, l’intrigue nous dépeint une société aux inégalités sociales exacerbées. Cela porte sur le statut des individus et des robots. Auréolée d’une résonnance toute particulière avec la réalité, on s’attarde sur le chômage de masse face à la démocratisation de l’intelligence artificielle.

Dès lors, il est facile d’éprouver une sensation de malaise palpable et une tension évidente. Le récit met en avant l’élitisme des rares emplois encore disponibles, l’aigreur et la haine des laissés-pour-compte, sans oublier la perte de valeurs et de repères moraux. Avant même que le conflit n’éclate, l’atmosphère est propice à l’affrontement, à une guerre civile qui échapperait à toute raison et mesure. Bien plus qu’une entame, ce premier tiers happe le lecteur dans un climat délétère au possible. Celui-ci atteint son point d’orgue avec un évènement cataclysmique qui n’est pas sans rappeler le traumatisme des attentats du 11 septembre.

À partir de ce point de non-retour, tout s’enchaîne et se précipite. D’une approche pré-apocalyptique, le basculement met en branle les mécanismes de violence et de survie inhérents à toute révolution. Perclus de dangers et d’obstacles, le parcours des protagonistes progresse dans un cadre désolé et néanmoins familier. Ce qui rend la menace d’autant plus pernicieuse, notamment au terme de rencontres plus ou moins fortuites. La suite de l’histoire se veut alors plus nerveuse. Elle ne présente aucun moment creux et offre encore moins d’occasions aux personnages de reprendre leur souffle. Aussi constant qu’intense, le rythme se fait l’écho d’une brutalité frontale, sinon implacable.

Pour autant, C. Robert Cargill n’en oublie pas d’interpeller sur les réflexions indissociables de son sujet principal. Le précédent opus se penchait sur le principe d’individualité, le ressenti émotionnel des robots, ainsi qu’une obsession prégnante de la conscience et ce qu’il en advient après la mort. Avec Jour zéro, l’auteur s’attarde sur le libre arbitre qui découle de nos choix. La programmation sociale (ou informatique, pour les robots) induit-elle des décisions biaisées par le conditionnement, l’environnement ? À certains égards, le propos peut paraître optimiste, a fortiori en constatant la résolution et le courage de Hopi. Toutefois, les épreuves qu’il surmonte sous-tendent davantage des considérations illusoires, manifestement déterministes.

Au final, Jour zéro constitue une excellente préquelle à Un Océan de rouille, à mi-chemin entre Terminator et Fallout. C. Robert Cargill signe un roman angoissant par son contexte. Ce dernier se veut immersif dans son traitement et pertinent dans son discours. Son histoire interpelle sur les valeurs de la liberté ; qu’elles revêtent une dimension individuelle ou collective. On peut aussi évoquer le propos sur ce qui caractérise l’humanité, ses bons et ses mauvais côtés. On notera que ceux-ci ne sont guère endémiques à l’homme et se retrouvent chez les robots. Ce qui renvoie aux questionnements précédemment avancés. On apprécie également une mise en contexte méticuleuse et une action frénétique maîtrisée, à même de dépeindre l’urgence et la précarité de la situation. Cela sans oublier un étonnant parallèle avec notre époque, ses craintes et ses dérives propres à l’évolution technologique et au communautarisme.

Note : 17/20

Par Dante

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