Auteurs : Jeff Lemire et Jock
Editeur : Urban Comics
Genre : Dystopie, Science-Fiction
Résumé :
La Tranchée. Milliken et Mae Mae ne l’ont jamais quittée, c’est tout ce qu’elles ont toujours connu. Elles sont nées dans la Tranchée et y mourront, comme tout leur peuple. Les deux filles, âgées de huit et onze ans, vivent avec leur père dans cette vaste tranchée sans fin, creusée au milieu d’un désert mortel de glace et de givre. Mais lorsque la Mort elle-même se jette à leurs trousses, faut-t-il braver le désert – en se livrant à une fin certaine – ou suivre la Tranchée, plus loin que quiconque n’a osé s’aventurer ?
Avis :
La dystopie est un sous-genre de la science-fiction qui est assez effrayant, puisqu’il exploite une potentielle fin du monde, avec quelques survivants qui se battent pour leur survie. On peut retrouver cela dans le cinéma, bien évidemment, avec Mad Max et consorts, mais aussi dans la littérature et notamment le neuvième art. Et en règle générale, on pense immédiatement au roman La Route de Cormac McCarthy, puisqu’il s’agit d’un chef-d’œuvre du genre, qui fut adapté au cinéma, et plus récemment en bande-dessinée par Manu Larcenet. Ce n’est certainement pas un hasard si un certain Jeff Lemire, scénariste ayant le vent en poupe en ce moment, a décidé de le faire à sa sauce, explorant aussi bien la survie, que la famille, le tout dans un univers bien à lui, où la science-fiction n’est jamais bien loin. C’est le point d’appui de Snow Angels, avec Jock au dessin.
Jeff Lemire nous plonge dans un univers glacial, où l’on va suivre un père et ses deux filles, qui partent de leur village pour une partie de chasse. La petite famille vit dans une immense tranchée, qui est régie par trois règles : la tranchée pourvoit tout ce dont on a besoin pour rester en vie, il ne faut jamais quitter la tranchée car il n’y a que la mort qui rôde en dehors, et la tranchée n’a pas de fin. Après une nuit passée dans une petite trouée pratiquée dans le mur de la tranchée, la famille retourne dans le village, mais tous les villageois ont été tué, et un homme doté d’une armure décide de les pourchasser pour finir le travail. Père et filles vont alors fuir, et découvrir qu’il existe bel et bien autre chose en dehors de la tranchée.
Bref, on fait face à un scénario qui se positionne comme La Route, mais dans un contexte qui évoque Snowpiercer, avec un froid polaire et une absence quasi-totale de végétation. Le scénario se veut simple dans son déroulement, mais il pose petit à petit tout un lore assez intéressant, qui questionne sur ce qui s’est passé avant. Car oui, les personnages sont des humains, on retrouve des loups et des ours, et l’ensemble évoque notre planète bien des siècles plus tard. La découverte de pelleteuses et de robots qui se dirigent à la voix, évoquant alors les personnages comme des colons, laisse aussi entrevoir un background riche et intéressant. Bref, sous ses airs de course-poursuite et de lutte pour sa survie, Snow Angels se fait plus dense en filigrane. Et il ne faut pas oublier les découvertes des filles, qui vont même tomber sur une autre tribu.
Au-delà de l’exploration de son univers et de sa direction purement SF sur la fin, Snow Angels gagne ses galons lorsqu’il faut parler de la famille et du background des trois personnages. Le père de famille est quelqu’un de très aimant, qui veut protéger ses filles à tout prix, et il est d’une simplicité touchante. Même lorsqu’il avoue quelques secrets, prouvant à ses filles qui leur a menti, il le fait dans un élan d’amour fort et poignant.
Par la suite, la famille étant au centre de toute survie, on aura un amour puissant entre deux sœurs, qui vont tout faire pour lutter pour survivre, quitte à se mettre en danger et à se méfier de tout le monde. Il est alors question d’amour, certes, de famille, mais aussi de vie et de mort, avec des filles qui, malgré leur jeune âge, vont devoir se confronter à un destin périlleux où le sacrifice de soi pour l’autre n’est jamais loin.
La force du récit tient aussi par son dynamisme. Si l’histoire est scindée en deux parties, il est très difficile de lâcher le comic, notamment parce qu’il met en place une chasse à l’homme intrigante, mais aussi parce qu’entre chaque séquence nerveuse, la famille fait écho à son passé pour nous en apprendre plus, et ainsi gagner en épaisseur. On peut reprocher un antagoniste un peu léger, qui laisse beaucoup de champ libre aux héros pour s’en sortir presque à chaque fois, et on aurait sans doute aimé un peu plus de nihilisme. Mais on chipote, car l’histoire est vraiment très prenante, en plus d’imposer un fond réflexif sur des thèmes importants, et chers à Jeff Lemire.
Bien évidemment, le tout est sublimé par le dessin de Jock, qui avait déjà opéré sur divers comics, et notamment Batman – Sombre Reflet. Le trait est vif, permettant ainsi des cases nerveuses, où l’action est bien mise en place. Mais il sait aussi faire des moments plus doux, où les visages sont plus détaillés, trouvant toujours le bon trait pour peaufiner les émotions des personnages. Et puis, ce style permet aussi de bien appuyer l’aspect survie et le côté polaire de l’environnement. Les aplats de blanc sont nombreux, et les contours des personnages ressortent bien, montrant leur solitude et leur difficulté pour survivre dans un tel univers. Franchement, le choix de ce dessinateur pour cette histoire est vraiment très malin.
Au final, Snow Angels se positionne comme une belle réussite. Jeff Lemire continue son exploration de la science-fiction en abordant la famille, le deuil, la vie et la mort dans un contexte très particulier, relativement novateur, même si on sent les influences dans leur globalité. Jock maîtrise parfaitement son art pour sublimer les idées de son scénariste, donnant un aspect rugueux à ce monde couvert de neige et de glace, où la chaleur se situe uniquement dans les cœurs. Bref, un comic indépendant fortement recommandable pour tous les amateurs de dystopie, et de science-fiction.
Note : 16/20
Par AqME