avril 27, 2024

La Nuit Fantastique – Échappatoire à la Guerre

De : Marcel L’Herbier

Avec Fernand Gravey, Saturnin Fabre, Micheline Presle, Bernard Blier

Année : 1941

Pays : France

Genre : Comédie

Résumé :

Toutes les nuits en rentrant de son travail, Denis, étudiant le jour, s’endort et rêve d’une mystérieuse femme habillée en blanc. Obnubilé par cette image, il se détourne de sa compagne et un soir le rêve devient comme réalité lorsqu’il décide d’enfin la suivre dans son monde.

Avis :

Au regard du contexte géopolitique de l’époque, le cinéma a subi les affres de la Seconde Guerre mondiale et de l’Occupation, sans compter les tentatives d’ingérence de l’Allemagne nazie dans les productions françaises. On songe à la fondation de la Continental Films par Joseph Goebbels qui, étonnamment, avait offert des films intéressants, voire remarquables puisqu’ils faisaient peu de cas des directives des commanditaires. Preuve en est avec Le Corbeau ou L’Assassin habite au 21. En marge de cette mainmise sur le septième art, on a eu droit à des incursions « indépendantes » plus rares et discrètes, comme avec le présent métrage : La Nuit fantastique.

Comme d’autres cinéastes qui ne se sont pas exilés outre-Atlantique, Marcel L’Herbier voit sa créativité bridée, sinon censurée. On l’empêche alors de tourner une œuvre dans le « réel ». Au-delà de la subjectivité et l’ambivalence que suggère cette notion, le réalisateur la détourne à son avantage. Il s’oriente vers une histoire fantastique, teintée de comédie et de romantisme. Là où l’on s’interroge sur le devenir du monde, il s’éloigne de sombres considérations afin de mieux se perdre dans ses rêveries artistiques. D’aucuns peuvent estimer que le cinéma ne fut pas une priorité. Il est au contraire salutaire de proposer une parenthèse de divertissement dans les moments les plus graves.

« La Nuit fantastique est un métrage léger qui ne se prend pas au sérieux. »

À l’image du personnage principal qui s’échappe dans ses propres songes, le spectateur se réfugie dans la fiction pour oublier son quotidien et ce qui l’entoure. En cela, le film remplit son office. À savoir, offrir une distraction providentielle, toute éphémère soit-elle. Certes, La Nuit fantastique est un métrage léger qui ne se prend pas au sérieux. On le sent à la façon dont les acteurs campent leur rôle, à ce maniérisme qui évoque la période expressionniste du cinéaste. Sur ce point, on retrouve cette atmosphère fantasque et baroque qu’il avait déjà instillé dans L’Inhumaine. Cela sans compter sur un hommage appuyé et évident à l’onirisme des œuvres de Georges Méliès.

Pour autant, Marcel L’Herbier ne se contente pas de jouer sur la fibre nostalgique ou d’une démonstration d’estime à son prédécesseur. Son histoire instaure le doute quant à la perception des images. S’agit-il d’un rêve éveillé, d’une vision fantasmée du subconscient ou de la réalité elle-même ? L’incrédulité du protagoniste et les allusions qui émanent des lignes de dialogue s’amusent des sensations et des émotions. Cela vaut aussi bien pour le public que pour les différents intervenants. Afin d’accentuer l’incertitude, les transitions entre sommeil et éveil sont discrètes, voire indiscernables. De même, l’intégralité de l’histoire se déroule de nuit. La photographie atermoie entre la lumière et l’obscurité pour mieux entretenir la suggestivité latente.

« Cet humour fait mouche. »

Afin d’exacerber l’imaginaire, on assiste à des séquences qui relèvent du non-sens. Toute l’incongruité de ces instants tient aux circonstances des rencontres et, surtout, à des échanges d’une subtilité bienvenue. Les réparties sont pleines d’esprit et multiplient les jeux de mots, non sans tirer parti de ces moments décalés. Cet humour fait mouche, notamment dans la manière anodine de les avancer et leur caractère inattendu. Il est vrai que certaines occurrences peuvent paraître niaises ou faciles. Il n’en reste pas moins que cette particularité contribue à instaurer une ambiance saugrenue, prompte à magnifier l’absurdité des songes.

Au final, La Nuit fantastique s’avère un film anticonformiste, au regard de sa période de sortie. Plus qu’une œuvre de fiction, Marcel L’Herbier propose une échappatoire à ses contemporains. Hormis quelques allusions propres à la stupidité et l’égarement de notre monde, l’histoire délaisse bien vite l’âpreté du quotidien pour s’immiscer dans les divagations de l’esprit. Sans vraiment faire preuve d’insouciance, il en découle un récit drôle et léger qui n’oublie pas d’interroger sur la portée de nos décisions individuelles, de l’orientation qu’emprunte notre vie, tout contexte factuel écarté. Au demeurant, le métrage pose une question aussi simple qu’essentiel. Faut-il faire de nos rêves une réalité ou de la réalité un rêve ?

Note : 16/20

Par Dante

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