avril 28, 2024

La Vengeance est à Moi – Portrait Clinique d’un Tueur

Titre Original : Fukushû Suruwa Wareniari

De : Shohei Imamura

Avec Ken Ogata, Rentarô Mikuni, Chôchô Miyako, Mayumi Ogawa

Année : 1979

Pays : Japon

Genre : Drame, Thriller

Résumé :

En octobre 1963, la police découvre les cadavres de deux collecteurs de taxes dans la campagne. Le suspect est l’un de leurs collègues : Iwao Enokizu, un escroc plusieurs fois condamné. Réfugié dans une auberge d’Hamatsu, Enokizu se fait passer pour un professeur d’université et poursuit ses méfaits alors que son portrait est affiché dans tout le Japon. L’histoire vraie d’un tueur sans scrupules que la société a transformé en monstre.

Avis :

Issu de la nouvelle vague nipponne, Shōhei Imamura possède une carrière cinématographique singulière. De ses premiers longs-métrages, le réalisateur s’est lancé dans une période documentaire entre les années 1960 et 1970. De prime abord, cette orientation reste subie. La faute à quelques déconvenues commerciales, notamment avec Profonds désirs des dieux. Il n’en demeure pas moins que le cinéaste est parvenu à s’approprier ce type de métrage pour dépeindre la société japonaise, s’interroger sur son devenir face à l’héritage traumatique des décennies passées. On peut notamment saluer son travail sur L’Évaporation de l’homme ou En Suivant ces soldats qui ne sont pas revenus.

Avec La Vengeance est à moi, Shōhei Imamura renoue avec l’exercice de la fiction. Néanmoins, cette dernière reste toujours à la lisière de la réalité. En l’occurrence, le présent film constitue l’adaptation du roman de Ryūzō Saki, lui-même inspiré d’un fait divers ayant défrayé la chronique au début des années 1960, au Japon. À savoir, les crimes en série d’Akira Nishiguchi. En dépit de premières séquences à la violence abrupte, l’approche générale de l’histoire s’écarte de toute vocation sensationnaliste. Si l’on retrace les assassinats commis, le cinéaste choisit de s’attarder sur le parcours du principal intéressé, non sur l’enquête ou les actes eux-mêmes. À l’image de ses documentaires, il en émane un traitement intimiste qui privilégie l’analyse froide et sans concession au divertissement.

« Toute la subtilité de la narration tient au caractère anodin des séquences. »

Au plus près d’un quotidien miné par les désillusions et les mensonges, l’histoire évolue à rebours. De la capture du tueur, qui ne fait aucun doute, à l’évocation d’évènements clefs, la progression est méticuleuse. Celle-ci vise à déceler des pistes de compréhension quant au comportement de l’assassin. Il ne s’agit pas de justifier de tels actes, mais de les rapprocher avec des moments spécifiques de son existence, des relations houleuses ou des ambitions veules. Toute la subtilité de la narration tient au caractère anodin des séquences. Elle évite également des raccourcis faciles où les crimes d’un adulte trouvent leur source dans les traumas de l’enfance, et ce, en dépit du rapport tumultueux à un parent.

Si cette assertion reste avérée dans bien des cas, elle n’est pas l’unique élément déclencheur du passage à l’acte. D’ailleurs, ce dernier révèle davantage des circonstances fortuites, seulement motivées par l’opportunisme. Dès lors, le métrage s’éloigne des considérations propres au polar, au film noir ou au thriller. Au regard des thématiques abordées, ces genres sont présents. Cependant, Shōhei Imamura s’écarte des schémas habituels. Le mode opératoire ne possède pas d’importance réelle. Les investigations sont à peine évoquées au début de l’intrigue. De même, l’ensemble s’affranchit d’une évolution linéaire ou d’une alternance de points de vue entre l’antagoniste et les forces de l’ordre. Quant à son statut de fugitif, il ne présente pas une montée en tension particulière, inhérente à une telle chasse à l’homme.

« Le réalisateur effectue un constat sans émettre un jugement de valeur. »

En pareilles circonstances, ces choix artistiques ne desservent pas le propos initial. Bien au contraire, ils offrent davantage de cohérence pour concrétiser une vision froide, presque scientifique, du fait divers. Avec Shōhei Imamura, la caméra tient lieu de microscope afin d’analyser et de décortiquer le moindre détail sous l’angle d’un observateur extérieur, sinon étranger aux évènements. Il en émane un contraste presque paradoxal face à cette volonté d’entrer dans l’intimité du tueur. Pour autant, le cinéaste demeure témoin et non partie prenante, éloignant toute subjectivité de son travail. Ce qui évite de rendre le criminel attachant ou d’atténuer la portée de ses actes, même si leur condamnation ne reste pas clairement établie. Là encore, le réalisateur effectue un constat sans émettre un jugement de valeur.

Au final, La Vengeance est à moi est un film fort et implacable dans sa manière d’appréhender la thématique du tueur en série. Bien avant David Fincher ou Bong Joon-ho, Shōhei Imamura impose une œuvre marquante et radicale à de nombreux égards. En lieu et place d’une évocation spectaculaire ou fantasmée, il privilégie un portrait intimiste sous le prisme du drame humain. Dès lors, la banalité et la violence du quotidien développent une atmosphère dérangeante, car elles restent bien plus proche de la vie de tout un chacun. Preuve en est avec l’irruption des cadavres ou des assassinats lors des instants les plus inattendus, voire inopportuns. On s’écarte ainsi des aprioris propres à un tel sujet afin de se confronter à une réalité froide et sans concession. Ce qui rend l’ensemble d’autant plus âpre, subversif et amer dans ses aboutissants et ses répercussions.

Note : 18/20

Par Dante

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