avril 20, 2024

L’Evaporation de l’Homme

Titre Original : Ningen Johatsu

De : Shôhei Imamura

Avec Shigeru Tsuyuguchi, Yoshie Hayakawa, Sayo Hayakawa, Shôhei Imamura

Année : 1967

Pays : Japon

Genre : Drame, Thriller

Résumé :

M. Oshima, un agent commercial de trente ans, a disparu. Sa fiancée lance un avis de recherche et part avec une équipe de tournage pour enquêter sur cette disparition. Au fil des recherches se dessine le portrait d’un homme rustre, timide, peu efficace dans son travail, qui aimait boire et séduire. Celui-ci n’a plus donné signe de vie après avoir empoché une somme d’argent qui devait revenir à son entreprise.

Avis :

En France, comme ailleurs, le cinéma des années 1960 se distingue par une approche libéraliste où les metteurs en scène de la nouvelle vague se sont affranchis des codes sociaux pour fournir des œuvres engagées. Cette tendance a également marqué le Japon avec des réalisateurs emblématiques de cette période. On peut notamment évoquer Kōji Wakamatsu, Yoshishige Yoshida, Nagisa Ōshima, sans oublier Shôhei Imamura. Il en ressort des incursions anticonformistes qui posent un regard objectif, sinon critique, sur la société, ses évolutions, ainsi que ses dérives. Avec L’Évaporation de l’homme, on découvre un métrage singulier, voire déstabilisant dans ce qu’il suggère.

De prime abord, Shôhei Imamura se lance dans la réalisation d’un documentaire, s’intéressant à la disparition mystérieuse d’un anonyme. On se confronte ainsi à une enquête de terrain qui succède à une présentation des faits. Ceux-ci sont parfaitement avérés. Par ailleurs, ils interrogent sur un phénomène guère isolé au sein de l’archipel nippon. À l’époque, on recense des dizaines de milliers de disparitions au Japon, sans qu’on parvienne à les expliquer. L’idée est intrigante à bien des égards. Le cinéaste part tout d’abord sur l’affaire en elle-même avant d’élargir son point de vue. Pour cela, il interviewe les proches, les collègues ou de simples badauds qui ont croisé l’intéressé.

Si la réalisation peut paraître austère, elle n’en demeure pas moins d’une justesse crue. Comprenez qu’elle s’affranchit de toutes fioritures, sans doute pour préserver le pragmatisme ou l’objectivité que requiert un tel exercice. L’équipe du film se met alors à enquêter, à arpenter les rues et les lieux que le disparu est censé avoir côtoyés. Progressivement, on tisse un portrait contradictoire où les défauts et les méfaits constituent autant d’explications plausibles à sa « fuite ». En filigrane de révélations graduelles, on se plaît à émettre des hypothèses sur ce qui a pu arriver. Ce qui vient justifier cette volonté de renier son passé, sa vie.

De notions égotistes, Shôhei Imamura découvre et s’attarde sur des problèmes sociaux qui mine la société japonaise. Sans concession, il dépeint un visage peu flatteur de son propre pays, s’éloignant des idées reçues et d’une glorification patriotique qui affuble la population. On y évoque aussi l’aliénation de l’individu par le travail, l’argent et le plaisir. D’une manière tout avant-gardiste, il se penche également sur la condition de la femme, même si la force et la symbolique n’atteignent pas l’approche de Kinuyo Tanaka. Certes, la réalisatrice officie dans la fiction avec des œuvres au parti pris évident, mais n’est-ce pas le cas du travail de son homologue ?

Au-delà des deux premiers actes de son documentaire (l’individu, puis la généralisation de son problème), L’Évaporation de l’homme n’est pas ce qu’il paraît. Derrière ce cinéma-vérité, Shôhei Imamura interroge sur la perception de la réalité, la notion de vérité. D’une manière subtile, presque insidieuse, on assiste à ses aveux où, d’un postulat avéré, il tisse la trame d’une fiction. On s’immisce dans le faux-documentaire, exercice peu usité à l’époque si ce n’est sous la caméra de Peter Watkins avec La Bombe ou The Connection de Shirley Clarke. Dès lors, les échanges prennent une tournure inattendue, sorte de règlement de compte familial. Le décor s’étiole pour laisser place à la froideur d’un studio, au sens propre. Les certitudes s’effondrent et le point de mire initial préservera tout son mystère.

Au final, L’Évaporation de l’homme est une œuvre insolite et audacieuse. Shôhei Imamura joue avec la perception du spectateur pour mieux l’induire en erreur sur ce que l’on peut considérer comme réel ou fictif. De par son traitement sobre, on s’immisce presque naïvement dans ce qui s’avance comme une enquête de terrain sur un disparu. On y distingue des éléments troublants et une interrogation sur la condition sociale de la classe moyenne dans le Japon des années 1960. Derrière cette problématique, on y entrevoit une réflexion inattendue sur les concepts de réalité et de vérité. En dépit de quelques aspects formels austères, il en ressort un exercice cinématographique complexe, soutenu par une mise en abîme subtile qui maintient son public dans le doute et l’expectative d’un dénouement spéculatif.

Note : 15/20

Par Dante

Une réflexion sur « L’Evaporation de l’Homme »

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