décembre 12, 2025

Le Samouraï et le Shogun – Une Œuvre sur la Violence

Titre Original : Yagyû Ichizoku no Inbô

De : Kinji Fukasaku

Avec Kinnosuke Nakamura, Sonny Chiba, Hiroki Matsukata, Teruhiko Saigo

Année : 1978

Pays : Japon

Genre : Action, Aventure

Résumé :

Le puissant seigneur Yagyu est prêt à tous les sacrifices pour maintenir au pouvoir le shogun que l’on veut évincer pour raisons de santé ; même à faire assassiner son propre fils.

Avis :

Pour de nombreuses générations de cinéastes nippons, l’histoire de leur pays a longtemps été un sujet opportun pour approfondir leur héritage. En cela, les notions de tradition, de hiérarchie sociale et d’honneur demeurent centrales dans ce type de productions. Au cours des années 1960, le film d’époque (ou jidai-geki) rencontre moins de succès. Avec un genre tombé en désuétude, le public de l’archipel privilégie des projets contemporains, à l’image des films de yakuzas. D’ailleurs, ce dernier registre contribue à forger la réputation de Kinji Fukasaku. Preuve en est avec Le Cimetière de la morale ou la saga Combat sans code d’honneur. Avec Le Samourai et le Shogun, le cinéaste s’écarte de son style de prédilection, à tout le moins en apparence…

L’intrigue prend place aux prémices de la période d’Edo, soit au XVIIe siècle. D’emblée, la narration amorce un contexte dense, où se mêle un florilège de protagonistes, dont le statut nécessite une présentation formelle, sinon didactique. Celle-ci demeure rapide pour se confronter aux conséquences du décès d’un haut dignitaire. À juste titre, son trépas suscite nombre de suspicions et augure une lutte de pouvoir âpre entre les deux prétendants à sa succession. Sur cet aspect, le film de Kinji Fukasaku s’attelle à une exposition méticuleuse de faits historiques avérés. Ce traitement peut paraître banal, voire indispensable, en de telles circonstances. Toutefois, il présente son importance dans l’évolution des évènements.

« Kinji Fukasaku s’immisce dans un récit délétère, sinon nihiliste »

Mais avant de parvenir à ce point de non-retour, Kinji Fukasaku s’immisce dans un récit délétère, sinon nihiliste. Ici, il n’est pas question d’encenser la caste des samouraïs ou d’idéaliser une période minée de luttes pernicieuses. Fidèle à son style, il aborde le jidai-geki de manière frontale et fait écho aux sujets évoqués dans ses précédents métrages. On y retrouve cette même obsession de la violence, présentant de multiples nuances. À l’image d’une hiérarchie sociale très compassée, il se sert de cette forme d’expression pour dénoncer les travers de la société et, plus globalement, de la civilisation. Il n’ostracise pas un peuple ou une époque. Il la considère comme une dérive universelle, intergénérationnelle et primale de l’espèce humaine.

Au travers de duels ou de batailles à plus grande échelle, la violence demeure explicite. Ici, la détermination des coups de sabre précède aux cris de souffrance, à l’agonie des victimes et au deuil des survivants. Le Samourai et le Shogun est dénué de toute glorification de la guerre et de ses conséquences. Là encore, on pourrait entrevoir une résurgence du passé du réalisateur. Au fil du récit, la violence présente aussi un caractère sous-jacent. On songe à ces conspirations dans les coulisses du pouvoir, où chaque camp forme des alliances d’une manière stratégique et froide. Ce qui renvoie à une partie d’échecs avec une dimension théâtrale. Ce dernier point tient à renforcer le clivage social entre les différentes classes, eu égard à l’instrumentalisation des plus basses conditions.

« Le Samourai et le Shogun est un film d’époque brutal et abrupt »

Afin de mieux appréhender tous les enjeux de cette fresque, on observe une représentativité exhaustive de toutes les strates sociétales, de leurs interactions. Celles-ci offrent une évolution narrative pleine de subtilités. On peut ainsi entrevoir les conséquences sur les protagonistes ou les groupes d’individus. À ce stade, Le Samourai et le Shogun oublie à dessein sa rigueur initiale pour s’orienter vers des considérations shakespeariennes ; tragiques et néanmoins plausibles. La fiction devient un outil de dénonciation sur la véracité des faits tels qu’ils nous ont été transmis. Le déroulement et le caractère évasif de certains pans autorisent à un révisionnisme providentiel. Ne dit-on pas que l’histoire est écrite par les vainqueurs ?

Au final, Le Samourai et le Shogun est un film d’époque brutal et abrupt sur sa manière d’entrevoir les errances de la société d’autrefois, comme celle d’aujourd’hui. Kinji Fukasaku signe avant tout une œuvre complexe et intense sur la violence. Dépeinte sous toutes ses formes, elle peut être physique, sociale ou politique. Elle sert l’expression d’un instinct (auto)destructeur, de velléités primales. Aux conflits de successions, on assiste à des trahisons, des actes barbares, des comportements veules, davantage axés sur la manipulation et l’intéressement que sur la nécessité. Entre les décors en studio et les environnements naturels, on peut aussi saluer le faste de la reconstitution historique qui vient contraster avec cette atmosphère désenchantée. Celle-ci parvient même à s’assombrir un peu plus à l’aune du point d’orgue de cette rivalité fraternelle.

Note : 16/20

Par Dante

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