Auteur : Gou Tanabe
Editeur : Ki-Oon
Genre : Seinen
Résumé :
Un voyage aux tréfonds de notre monde, là où se tapit l’innommable…
Dans « Le Temple’, un sous-marin allemand isolé en haute mer est victime d’une étrange malédiction. La peur s’empare de l’équipage et entraîne le vaisseau au plus profond des abysses, là où aucun homme n’est encore allé…
Les héros du « Molosse’, eux, n’hésitent pas à profaner des tombes pour assouvir leur passion de l’occulte. Fervents lecteurs de leur copie du Necronomicon, ouvrage de magie noire, ils vont découvrir que certaines choses doivent rester enfouies à jamais…
Ce même Necronomicon guide le voyageur de « La Cité sans nom’ au milieu du désert. Là, l’homme comprend que sa civilisation n’est pas la seule sur Terre, et que l’être humain est bien petit face aux forces de l’inconnu…
Avis :
Mort dans la misère et presque inconnu de tous, H.P. Lovecraft fait partie de ces auteurs qui ont connu le succès après leur décès. Lui, il doit cette reconnaissance à son ami August Derleth qui fut le premier à le publier, et qui apporta une belle contribution au mythe de Cthulhu. Aujourd’hui, Lovecraft est un peu partout, dans la littérature, bien évidemment, mais aussi dans le cinéma, le jeu vidéo, les jeux de plateau, et même en musique, puisque certains groupes s’inspirent des écrits de Lovecraft. Parmi les relectures les plus notables qui se déroulent en ce moment, on peut aisément citer le travail de Gou Tanabe, mangaka de son état, qui s’amuse à adapter les romans et nouvelles de l’auteur en version dessinée, tout en gardant un trait réaliste. En faisant alors une édition particulière avec des couvertures souples en similicuir, Ki-Oon offre un bel écrin à l’ensemble.
Avec Le Molosse, la maison d’édition ne se contente de mettre en images une seule histoire, puisqu’elle serait trop courte, mais publie trois nouvelles, qui ont pour point commun une curiosité morbide, qui va souvent coûter cher aux protagonistes. Ici, on retrouve le trait particulier de Gou Tanabe, qui manipule parfaitement les aplats de noir pour susciter l’horreur dans les ténèbres, et il crée des monstres terrifiants à partir de peu de chose. Jouant sur les textures, les phobies et un peu allant pour la décadence, on va vraiment trouver une cohérence à ses trois histoires, qui se déroulent pourtant dans des contrées totalement différentes. Comme quoi, peu importe le lieu, l’horreur est partout, et dans tous les contextes, que ce soit pendant la guerre, perdu au milieu du désert, ou encore dans les cercles de bourgeois qui s’ennuient et s’aventurent dans des cimetières abandonnés.
La première histoire est peut-être celle qui marque le moins. Le Temple a été écrit en 1920, mais Gou Tanabe transpose cela durant la Seconde Guerre mondiale, à bord d’un sous-marin nazi. L’équipage a pour mission de couler un navire anglais, mais lorsqu’un corps est retrouvé sur le bastingage, tout l’équipage pense à une malédiction. Petit à petit, tout le monde devient fou, et le sous-marin va subir avarie sur avarie, avant de couler de façon inexorable. Seul à son bord, le capitaine découvre alors une cité sous-marine datant d’époques antédiluviennes. Pour ce morceau, on sent que la peur vient de l’invisible, et se traduit par une mutinerie, offrant alors un côté anxiogène par le fait qu’il n’y ait aucune porte de sortie. Mais le mutisme et la fin ne sont pas assez pertinents pour vraiment créer de l’horreur. Néanmoins, au cinéma, ça doit donner quelque chose d’intéressant.
La deuxième histoire, Le Molosse, sera à quelque part la pièce maîtresse de l’ouvrage. Ici, on va suivre deux jeunes bourgeois qui s’ennuient et qui ont un goût prononcé pour les interdits et les actes décadents. Addict au Necronomicon, ils décident d’aller ouvrir la tombe d’un ancien sorcier, et il ramène avec eux une amulette qui va être maudite. En effet, elle attire avec elle un monstre gigantesque qui tue ses proies d’un seul coup de patte. Le récit est plutôt maîtrisé, et les ajouts de gore permettent de donner du poids à cette créature que l’on ne va voir que de dos. Un hommage aux créatures indicibles de l’auteur, et c’est plutôt bien vu. De plus, le final est vraiment très intéressant, car il opte pour un nihilisme sans concession, où le seul moyen d’échapper à son sort reste la mort.
Enfin, le dernier segment se nomme La Cité Sans Nom, et on va reparler du Necronomicon. Ici, un homme suit une piste au milieu du désert, jusqu’à tomber sur une cité qui date de temps immémoriaux. Poussé par sa curiosité, l’homme va rentrer dans cette cité, et découvrir une sorte de mini-temple, avec des cercueils en verre dans lesquels se trouvent des créatures difformes et étranges. Encore une fois, on est dans du Lovecraft pur jus, avec sa cité étrange, ses bestioles étranges, et ses apparitions étranges. L’homme en question va se mordre les doigts et regretter amèrement son exploration, puisqu’il en va de sa santé mentale. Cependant, la fin est moins nihiliste que pour Le Molosse, l’auteur préférant jouer sur une folie mentale qui, on le sent, va coûter peut-être plus cher que la vie elle-même. C’est malin, même si ça reste en deçà d’autres récits de l’écrivain.
Au final, Le Molosse est une très bonne relecture de trois nouvelles de Lovecraft. Si on sent une certaine inégalité dans le traitement de chaque histoire, elles se rejoignent dans des thématiques similaires, prouvant que l’horreur peut se trouver dans n’importe quel lieu et n’importe quelle époque. On notera aussi que la curiosité est un vilain défaut, et que parfois, il vaut mieux rester sagement chez soi plutôt que de prendre des risques à trop vouloir en savoir. Bref, un manga qui a toute sa place dans cette collection de qualité.
Note : 15/20
Par AqME