Auteur : Junji Ito
Editeur : Mangetsu
Genre : Seinen
Résumé :
L’été s’annonce radieux pour Michina et Yûsuke, mais leur jeune cousin Soïchi, lui, ne l’entend pas de cette oreille. Sombre et facétieux, le garçon au terrifiant sourire clouté n’hésite pas à recourir à la sorcellerie vaudou, aux farces obscures et à son imagination démoniaque pour éteindre le sourire lumineux de tous ceux qui l’agacent ou le rejettent.
Avis :
Junji Ito est un auteur qui a souffert durant son adolescence. D’une nature très timide, il aura du mal à s’intégrer et à se faire des amis. Plus tard, en grandissant, c’est avec les femmes qu’il trouve belle qu’il aura du mal, ressentant même une peur envers ces demoiselles. De ce traumatisme naîtra alors l’une de ses créatures les plus connues, Tomie. Mais presque comme pour tous les auteurs, Junji Ito va faire appel à son passif pour créer un deuxième personnage qui va, bien malgré lui, devenir tout aussi culte que Tomie, à savoir Soïchi. Petit garçon introverti, se repaissant du malheur des autres et versant dans l’occulte, l’auteur lui-même ne pensait pas que ce personnage allait devenir un cycle dans son travail, ne le destinant qu’à une histoire précise. Mais les affres de l’adolescence laissent des traces, et le mangaka va alors exorciser cela avec son personnage.
Soïchi fait sa première apparition en août 1991 dans l’histoire « De Jolies Vacances d’Eté ». Mettant en scène un frère et une sœur qui rejoignent des cousins dans un village loin de Tokyo, il découvre que l’un de ces cousins est un peu bizarre, vivant renfermé sur lui-même et prenant comme tête de turc sa cousine qui vient passer des vacances. Dès le départ, le décor est planté, comme à son habitude, Junji Ito va placer l’horreur en plein milieu d’un quotidien tout ce qu’il y a de plus normal. On y voit une famille aimante, des parents attentionnés et seul le petit dernier de la famille n’est pas comme les autres. Il apparait alors comme un monstre grotesque, avec des clous à la place des dents. Sorte de vilain petit canard, ses farces macabres vont alors se retourner contre lui.
Avec ce premier récit, le mangaka pose un personnage grotesque, qui veut faire peur, qui y arrive, mais qui ne va jamais réussir à se sortir de situation inextricable. D’ailleurs, si la première histoire ne verse pas dans l’ésotérisme ou le fantastique horrifique, il n’en sera pas de même par la suite. Bien souvent, Soïchi va réussir ses manigances en convoquant une magie noire qu’il ne devra pas toucher. Si ces farces fonctionnent sur les victimes qu’il choisit avec parcimonie, à chaque fois cela se retourne contre lui. En faisant cela, Junji Ito rappelle que Soïchi n’est qu’un enfant qui joue avec des forces qui le dépassent, et on ne va pas arriver à le détester pour autant. D’ailleurs, certaines histoires se terminent presque bien, avec un Soïchi qui regrette ses gestes et qui entrevoit de la gentillesse envers lui chez les autres.
Très clairement, on peut dissocier, grâce à ce recueil (ou intégrale si l’auteur ne veut plus faire apparaître son petit bonhomme), trois âges distincts qui placent Soïchi de manières différentes. Au début, de 1991 à 1993, le jeune garçon est perçu comme un vilain farceur dont chaque mauvais coup va se retourner contre lui. On pense à ces professeurs de chiffons ou encore à l’histoire de son anniversaire. L’anti-héros s’en sort à chaque fois, tout en payant pour ses mauvaises blagues. Dans un deuxième temps, en 1995, Soïchi va faire de nombreuses apparitions dans des histoires plus sombres, où il va rencontrer des personnages encore plus malades que lui. Le garde-forestier qui veut le tuer, le menuisier macabre ou encore cette top-modèle géante, avec qui il aura une relation amoureuse des années plus tard. Sur cette période, Soïchi va plus être une victime qu’autre chose.
A partir de 2003, Junji Ito va reprendre son souffre-douleur préféré, mais il va le faire grandir. En effet, Soïchi n’est plus un enfant, mais un adulte qui gère une maison abandonnée ambulante qui fait perdre la boule à tous ceux qui rentrent à l’intérieur. Jouant à fond la carte du macabre et du gore, Junji Ito pousse l’horreur à son paroxysme en délivrant un personnage égoïste, mais qui cache un lourd secret. Conçu en deux épisodes, l’histoire de cette maison hantée va permettre de voir l’évolution terrible du garçon, mais qui va, encore une fois, être victime de ses perfidies. On regrettera seulement un final expéditif et facile, qui peut laisser sur notre faim. Par la suite, Junji Ito va le réutiliser une dernière fois en histoire plus ou moins longue, où, encore une fois, l’enfant terrible va être victime du sort qu’il lance sur un chat qu’il maltraite.
En abordant toutes ces histoires, et en découpant en différentes périodes ces récits, on va trouver plusieurs thèmes qui sont propres à l’auteur. La mort est omniprésente, tout comme ce goût étrange pour le macabre et le monde de l’au-delà. Baignant dans un folklore japonais précis, on aura de nombreuses références aux traumatismes de Junji Ito, jusqu’à la tenue abordée par le jeune garçon. On verra aussi que les raisons qui poussent Soïchi à faire appel à l’occulte proviennent de sentiments refoulés très durs. Outre sa timidité maladive, on aura aussi de la jalousie, de l’envie et un moyen de se faire voir aux yeux des autres. Soïchi n’est pas comme tout le monde, il ne trouve pas sa place et fait n’importe quoi pour exister. Des thèmes qui font écho à une adolescence pas forcément rigolote. Et c’est intéressant de voir ça chez Ito.
D’autant plus que là, le côté horrifique marche à fond les ballons. Le fait d’inclure ce garçon bizarre au sein d’une famille saine permet à l’auteur de jouer avec les nuances et de faire surgir l’horreur un peu n’importe où. On se met facilement à la place de Michina qui a peur de descendre dans les toilettes au sous-sol en pleine nuit. Et l’auteur gère parfaitement cette horreur, la faisant intervenir de manière surprenante, ou alors dans des conditions attendues mais avec un trait parfait qui donne des frissons. Soïchi devient alors un fantôme grimaçant lorsqu’il plante des clous dans une poupée, au sous-sol, en pleine nuit. Il y a une belle gestion de la peur dans ce recueil, et au fil des pages et des années qui défilent, on sent une maîtrise de plus en plus forte sur ces interventions d’épouvante.
Au final, Soïchi est un excellent recueil qui permet de poser un regard d’ensemble sur un personnage qui peut être attachant comme il peut être agaçant. Jouant sur une adolescence perturbée, plaçant son petit anti-héros dans des situations bien souvent inextricables, on éprouve beaucoup de choses contradictoires au sein de ces histoires, et c’est peut-être là le plus intéressant, nous mettant comme témoin invisible d’une vie passée à se battre pour exister.
Note : 17/20
Par AqME