Auteur : Junji Ito
Editeur : Mangetsu
Genre : Horreur
Résumé :
Tomié est la plus belle fille de la classe pour de nombreux garçons, mais sa beauté est tellement fatale qu’ils en deviennent fous au point de vouloir la tuer, sans raison aucune, allant pour cela jusqu’à la découper ou la réduire en bouillie.
Mais pourquoi, dans ce cas, réapparait-elle le lendemain en un seul morceau et sans aucune égratignure avec une lueur malsaine dans les yeux ?
Avis :
Alors qu’il se destine à une carrière de prothésiste dentaire, Junji Ito, passionné par le manga, et notamment le manga d’horreur, va tenter sa chance en participant à un concours. Il reçoit alors les honneurs et c’est ainsi qu’est né le projet Tomie. Premier manga d’une longue carrière qui continue aujourd’hui, Tomie va poser les bases de la ligne créatrice de son auteur. Plongée directe dans le monde cauchemardesque de Junji Ito, Tomie va mettre en avant une figure féminine sans filtre, qui rend fou les hommes au point de la découper en morceaux, avant de revenir sous plusieurs formes de plus en plus hideuses et mesquines. Le mangaka ne lésine pas sur les histoires courtes pour peaufiner son cauchemar et donner encore plus d’épaisseur à une figure qui va devenir culte au fil des ans.
La première chose qui frappe lorsque l’on referme la massive intégrale de chez Mangetsu (absolument sublime au passage) c’est l’évolution du trait de crayon de Junji Ito. La première histoire possède un trait très simple, presque enfantin, avec une absence d’ombrage et de nuances. On sent bien que l’on fait face aux débuts du dessinateur, qui n’a pas encore les moyens de ses ambitions. Au fil des pages, on va voir le trait s’affiner et les décors, ainsi que les personnages, devenir de plus en plus beaux. On retrouve la patte de l’auteur qui nous a tant charmé dans Spirale ou Gyo (sorti chez les concurrents de chez Delcourt) et c’est un vrai bonheur de retrouver ses pantoufles. Tomie ne va pas lésiner alors sur le body horror, aussi bien en scarifiant son héroïne, qu’en la transformant en des monstres hideux et rampant.
D’ailleurs, si Tomie s’axe sur plusieurs éléments horrifiques, l’aspect des corps revêt une importance capitale dans les thèmes du manga. En effet, Tomie est une jeune fille irrésistible et d’une beauté sans égale. Elle attire forcément le regard et fait tomber les hommes sous son charme. Cependant, elle cache une mentalité monstrueuse qui refait surface physiquement lorsqu’elle est prise en photo ou lorsqu’elle est contrariée. Alors qu’elle peut se permettre d’être odieuse avec les autres, elle ne supporte pas l’adversité et qu’on lui résiste, voire qu’on l’ignore. A partir de là, lorsque ses excès de colère prennent le dessus, elle devient un véritable monstre, avec diverses apparences. Elle peut aussi bien être une sorte de femme-limace à plusieurs têtes, ou encore une multitude de femmes identiques. Junji Ito démontre alors un sacré savoir-faire dans la peur graphique, avec des dessins ignobles et organiques.
Cependant, si Tomie est une jeune fille horrible et sans filtre, elle est aussi la première présence féminine dans un manga à avoir un caractère aussi fort. Tant et si bien que de nombreuses lectrices japonaises se sont identifiées à elle pour sa force de caractère et sa capacité à résister à n’importe quel garçon. Le mangaka a réussi à créer un personnage qui bouscule tous les codes, celui du manga, mais aussi celui des personnages fictifs que l’on retrouve aussi bien dans les romans que dans le cinéma, par exemple. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si Tomie nous hante à chaque page et un long moment après avoir terminé le récit. Elle reste le personnage central, celui par qui tout arrive et tout finit. Elle est un cycle, qui est très bien mis en avant par le O de son prénom, montrant une boucle infinie dans ses apparitions.
Bien évidemment, Tomie n’est pas non plus un simple manga d’horreur avec une figure féminine effroyable. Junji Ito va plus loin que cela en mettant en avant des situations intelligentes où l’homme est vu comme un animal qui ne répond qu’à ses pulsions. Les seuls hommes qui résistent à Tomie le regrettent assez vite, mais globalement, ce sont ceux qui succombent aux charmes de la demoiselle qui finissent par devenir complètement fou. Au point de la tuer, par folie, par amour, par jalousie. L’auteur visite tous les sentiments que l’on peut éprouver par amour, allant jusqu’à on paroxysme, où le meurtre devient la seule étape possible. Certes, c’est glauque, mais Tomie, alors bourreau des cœurs, devient victime à son tour. Là aussi, c’est très intéressant de poser une méchante qui finalement ne tue pas directement. Elle ordonne ou se fait tuer, mais à aucun moment elle ne tue.
Au final, Tomie fait partie de ces mangas d’horreur dont il faut absolument lire l’intégrale. Si on pourrait presque regretter le côté épisodique de chaque histoire qui ne se suivent pas et restent indépendantes (sauf sur la fin), il ressort à chaque histoire une morale différente et une façon de voir Tomie différente. Junji Ito, dès sa première œuvre, nous sort le grand jeu, avec une intelligence fine sur la création de ses personnages, et sur un univers assez austère, mais qui décrit bien une société crédule et superficielle. Si on reste en dessous de Spirale en termes de critique de société, il n’en demeure pas moins que ce manga est fort et embrasse différents points de l’horreur pour créer une atmosphère délétère et angoissante. Une réussite.
Note : 17/20
Par AqME