avril 24, 2024

Spirale

Auteur : Junji Ito

Editeur : Delcourt/Tonkam

Genre : Horreur

Résumé :

De prime abord, Kurouzu ressemble à une banale petite ville de campagne. Mais, au-delà des apparences moroses, existe un mal profond, terrible et indicible qui plane au-dessus des habitants. Une pression hypnotique, un malaise poisseux qui corrompent les coeurs, les âmes et les esprits de victimes impuissantes.

Avis :

Alors qu’il est dentiste, c’est à la fin des années 80 que Junji Ito balance son premier manga, Tomie. Inspiré par les dessins de sa grande sœur et admiratif du travail de Kazuo Umezu (L’Ecole Emportée), Junji Ito va rapidement délaisser son travail dentaire pour se consacrer pleinement à sa passion, le dessin. Et plus particulièrement le manga d’horreur. Aujourd’hui, l’évocation de son nom suffit à faire trembler les sphères horrifiques. Comme Stephen King peut l’être aux States, Junji Ito est considéré comme le maître de l’horreur contemporaine au Japon. Pour preuve, plusieurs de ses mangas furent adaptés au cinéma ou à la télé. Fort du premier succès de Tomie, il va alors se lancer dans Spirale, une histoire lugubre où tout un village va être en proie à une malédiction. Sombre, glauque, poisseux et parfois déjanté, Spirale est un manga fort et intelligent.

Quand on prend le manga dans son intégralité, on a un peu l’impression de suivre des histoires décrochées utilisant la même protagoniste et le même lieu. En effet, chaque chapitre correspond à un fait lugubre et étrange qui se déroule dans la ville de Kurouzu et plus particulièrement à cette pauvre jeune fille. Les spirales se font de plus en plus présentes, et elles tournent sans arrêt autour de la famille de cette jeune fille. Que ce soit dans l’atelier de poterie de son père, dans le four dudit atelier, ou encore à l’école, avec des élèves qui se comportent bizarrement. Cependant, le manga va prendre tout son sens en fin de récit, où toutes les histoires décrochées ne sont que des étapes de plus en plus étranges pour aboutir à un final dantesque et grandiloquent. Un final inattendu et surprenant, à plus d’un titre.

Junji Ito ne mâche pas ses mots et ses dessins à travers Spirale. Le roi de l’horreur nippone se fait plaisir et se lâche complètement sur certains segments. On peut citer par exemple ce garçon qui aime faire peur aux autres et qui termine sa vie comme une boîte à surprise. On peut aussi citer les limaç’hommes, ces personnes qui, à force de marcher au ralenti, se transforment en escargots géants. Le mangaka gère son univers un peu comme il le veut et si tout cela apparait comme bordélique au départ, on se rend vite compte qu’il y a du sens dans chaque histoire et surtout, il y a un fond. Junji Ito a les idées claires dans ce cheminement et il en profite pour dresser un portrait peu glorieux du Japon contemporain. Car même si le manga commence à avoir de l’âge, il est toujours d’actualité sur bien des points.

A titre d’exemple, on peut parler de cette dualité entre deux filles dont les cheveux font des spirales et attirent tous les regards. Une course à la notoriété qui va faire des ravages, jusqu’à coûter la vie à l’une d’elles. On peut aussi parler d’obsession, jusqu’à la folie, Junji Ito montrant que les hommes sont prêts à tout pour être les premiers, ou encore pour survivre, quitte à devenir des monstres. On retrouve cela dans l’histoire avec la galaxie pleine de spirales, ou encore lorsque des hommes arrivent à maîtriser les tornades et se nourrissent sans aucun remord de limaç’hommes. Le final du manga est assez équivoque sur notre nature même, mais aussi sur notre rapport avec l’argent et le capital. Dans cette version luxueuse, on trouvera d’ailleurs une réflexion qui portera sur le fond du manga et sa capacité à parler de la société et du gouvernement en filigrane.

Sous ses airs de gros délire gorasse et potache, Spirale évoque le rapport de l’homme face à l’obsession et à une société qui ne veut faire que du profit et se regarde uniquement le nombril. La spirale, qui attire le regard vers son centre, représente ici le capital, ou le gouvernement, ou n’importe quelle personne qui veut faire de l’argent. Elle attire tous les êtres humains en son sein, quitte à ce que cela amène à la folie, voire à la mort. Sans faire de concession, si ce n’est de partir parfois très loin dans le délire, Junji Ito dresse un portrait peu flatteur d’une société nippone qui ne pense qu’à elle et délaisse les pauvres, jusqu’à ce qu’ils se transforment pour devenir des bêtes de foire à exposer. La spirale, infernale, fait muter les humains et les monstres créés ne sont même pas conscient de leur nouvelle nature.

Au final, Spirale est un manga qui permet de montrer que l’horreur, aussi graphique soit-elle, permet aussi d’aborder des sujets de fond et de se faire intelligente. Junji Ito va très loin dans son délire, quitte à paraître parfois un peu brouillon, mais il se rattrape très rapidement avec un dessin sublime et un final grandiose qui laisser clairement sur le cul. Sans jamais tomber dans la surenchère gratuite, alternant des phases très sérieuses et d’autres moments un peu plus surréalistes, le mangaka signe une œuvre unique, majeure et toujours d’actualité aujourd’hui. Dingue.

Note : 19/20

Par AqME

AqME

Amateur d'horreur, Métalleux dans l'âme, je succombe facilement à des images de chatons.

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