Auteurs : Séverine Gauthier et Jérémie Almanza
Editeur : Oxymore
Genre : Fantastique
Résumé :
Perséphone a rencontré la mort l’année de ses douze ans, un jeudi, à 23h52. C’était le jour de la veillée funèbre de son voisin, Victor Columbaria. Elle ne fera vraiment sa connaissance qu’après sa mort lorsqu’elle se retrouvera nez-à-nez avec son fantôme, quelque peu désemparé. Charles et Théophile, collecteurs de soupirs, ont deux jours de retard… Il y a une vie après la mort…
Avis :
Certains cinéastes ont une patte graphique tellement marquée, qu’elle imprègne d’autres créateurs, à un tel point que parfois, ils ont du mal à s’en défaire. Et parmi les réalisateurs qui ont une véritable influence, on peut aisément citer Tim Burton. Car même si ces dernières années, il n’est plus que l’ombre de lui-même, sa filmographie est peuplée d’étrangetés qui ont fait les beaux jours du septième art. Edward aux Mains d’Argent, Beetlejuice, Les Noces Funèbres, sont autant d’œuvres qui ont remis le gothique au goût du jour et marqué l’imaginaire collectif. La preuve en est avec Les Royaumes Muets, BD jeunesse écrite par Séverine Gauthier et dessinée par Jérémie Almanza. Pas besoin d’appuyer ce propos d’ailleurs, puisque la BD cite Tim Burton et c’est l’un des arguments de vente de la maison d’édition. Seulement, s’inspirer, c’est bien, encore faut-il tirer son épingle du jeu pour assoir son identité.
On va donc suivre Perséphone, une jeune fille qui assiste aux funérailles de Victor, son voisin. Cependant, chose surprenante, elle arrive à voir le fantôme de Victor, et elle est la seule à avoir ce don. En rentrant chez elle, elle retrouve le spectre, puis de son placard, sortent deux squelettes, Charles et Théophile, qui sont des collecteurs de soupirs, permettant alors aux défunts de rejoindre le monde des morts et de vivre paisiblement. Malheureusement, les deux acolytes ont du retard, et par inadvertance, Perséphone se retrouve bloquée dans le pays des morts avec eux. La troupe va alors tout faire pour récupérer au plus vite le dernier soupir de Victor, afin de lui octroyer le repos éternel. Et par la même occasion, de permettre à Charles et Théophile de ne pas avoi un blâme…
Il y a une vie après la mort, voilà le pitch de base de ce livre, mais qui laisse la porte ouverte à d’éventuelles suites sur sa dernière page. Très clairement, c’est le sujet central de l’œuvre, qui ne voit pas la mort comme une finalité, mais comme une porte vers un monde meilleur, vivant en dessous de notre monde. Ici, les auteurs s’amusent à reprendre des expressions pour argent comptant, avec des morts qui mangent les racines de pissenlit par exemple. Mais derrière la légèreté de l’histoire et les saillies humoristiques de Charles et Théophile, il y a tout de même un sujet grave, celui de la peur de la mort, et de se dire qu’un jour, on va partir pour toujours. Un sujet grave et angoissant, mais qui est abordé avec finesse à travers le personnage de Perséphone, une jeune fille intelligente mais qui se pose des questions.
Cependant, si le sujet principal est extrêmement bien traité, on se rendra vite compte qu’autour, l’ensemble manque de sujets subsidiaires, ou tout du moins de réflexions sur d’autres sujets plus secondaires. Il y aura bien la découverte de ce monde qui a ses règles, de la Mort qui impose des contraintes au sein de ses employés, écho impitoyable de notre monde contemporain, mais il n’y aura que très peu de réflexions autour de la famille, de la destinée, ou encore sur l’univers visité en lui-même. Certes, c’est beaucoup de choses, et il faut tout rentrer dans un seul tome, mais on sent qu’il y avait de la matière à faire bien plus… Fort heureusement, on se rattrapera à l’ambiance gothique et aux vers macabres de certains poètes qui parsèment l’histoire comme autant de chapitres.
Et l’une des grandes forces de cette histoire, c’est finalement son graphisme. Jérémie Almanza possède un trait très particulier, que l’on pourrait croire tremblotant, mais qui sied parfaitement à cette histoire de fantôme, et de jeune fille bloquée dans un monde étrange. Les allusions à Tim Burton se justifient dans cet univers dense, bourré de références en tout genre, où l’on se perd avec amusement, aux doux chants macabres de certains squelettes, et à travers des dédales gigantesques. D’ailleurs, les grandes planches présentant des décors grandiloquents sont sublimes, faisant étalage de tout le talent du dessinateur, qui a dû se faire plaisir. Il arrive aussi à trouver un bel équilibre entre un univers glauque, mais pas trop, et un côté enfantin qui ne sombre pas dans la naïveté.
Au final, Les Royaumes Muets est une bande-dessinée qui est un excellent moment de lecture, et qui permet aussi de dédramatiser sur la mort. Si les références à Burton ne sont pas usurpées, les deux auteurs arrivent tout de même à trouver leur propre voie en créant un univers dense et intéressant, dont on serait curieux d’une nouvelle aventure. Et même s’il manque un peu de profondeur dans les sous-textes, on reste sur récit bourré de poésie, certes macabre, mais qui procure un vrai plaisir. Et puis c’est autant à destination des enfants que des adultes, alors pourquoi se priver ?
Note : 15/20
Par AqME